chapitre 33
Semaine 5 Jour 5, jour J, Francis a un peu mangé, il a retrouvé un peu de force. Le matin, la jetée est encore déserte, j'en profite pour lui faire faire quelques pas.
-Comment vais-je mourir ? Ça f'ra mal ?
-un arrêt cardiaque.
Il hoche la tête, silencieux, le regard loin. Bertrand a annulé toutes mes opérations pour la semaine, pour que je m'occupe de ma famille.
Hier fut une journée difficile, Francis était agressif comme je l'avais prévu. Il a même failli me tuer. Ces yeux exorbités, ces menaces de tout dire à la presse, que c'était ma faute, qu'il était en parfaite santé, que j'ai gâché sa vie. Des vérités agressives. Il est vrai qu'avant Francis, les personnes étaient toutes malades. Il était là tranquille, n'avait rien demandé à personnes, alors pourquoi j'ai fais ça ? Un excès de zèle, Paul qui tourne autour de Chris, les dettes qui s'accumulent, Eddy dans le coma…
-Je suis tellement désolé Francis
- Faut bien mourir un jour…
Plus fataliste qu'hier, il ne m'en veut pu, je ne comprends même pas comment il fait. Francis se dit qu'il était là au mauvais moment, il n'a personne, aucun but, il n'a rien fait de sa vie, quand il avait pu vendre sa société pour la sauver de la faillite, il a préféré son orgueil et des centaines de personnes se sont retrouvés au chômage par sa faute. Au lieu de se battre jusqu'au dernier pour le divorce et perdre tout l'argent, il aurait du lâcher prise. Sa fierté et son égoïsme a eu raison de lui. Il était dans un tout autre mode de pensées. Cet homme comprend maintenant, il regrette, et le destin ou son karma qu'importe, l'a rattrapé. Donner pour recevoir, prendre pour ne pu avoir. Aujourd'hui est son dernier repas du condamné, son dernier rayon de soleil, sa dernière respiration. IL n'en veut pas au docteur Nelson non, il s'en veut à lui, de n'avoir rien fait pour rebondir après son divorce.
Pourtant, il se sent bien, bien mieux que ces derniers jours, comme le jour où il avait reçu le remède. C'est certainement le regain avant la fin. IL veut rester seul, je respecte ça. Pour autant, j'espère qu'il viendra faire une dernière prise de sang.
Eddy n'a donné aucunes nouvelles, ni Chris d'ailleurs. Est-ce à moi de l'appeler ? D'accord j'ai menti, j'ai caché des choses mais je n'ai fais aucun mal à nos enfants moi ! IL est vrai que c'est un peu ma faute quand même. Comme dit, je ne sais qui : « ne t'occupe pas de ta femme mais ne t'étonne pas que quelqu'un d'autre le fasse à ta place ».
Plus tard dans la matinée, je fais la prise de sang de Francis, puis nous passons une partie de l'après midi ensemble. J'aurai aimé le présenter à mes enfants, mais comment expliquer sa disparition soudaine. Christine, la laborantine m'appelle.
- Francis votre dernière prise de sang est excellente, tout est revenu à la normal !
Il me regarde sans trop comprendre, j'avoue que moi même je n'y comprends rien mais c'est comme ça.
- Vous n'allez pas mourir aujourd'hui !!! Je l'enserre par les épaules, tant je suis heureux. J'appelle Eddy pour lui dire la bonne nouvelle, Francis saute partout, comme s'il avait gagné au loto.
- Faut qu'j'vous dise, vot' ti coin pour dormir… crie-t-il, mais je lui fais signe d'attendre un instant. C'est la messagerie, mais tant pis, je laisse un message vocal, tout en fixant Francis, soulagé, la régénérescence c'est remis en marche avant que le cœur lâche.
Face à la clinique, quelques passants le regarde comme une bête curieuse, je suis devant le hall d'entrée à parler euphorique à un répondeur, le bruit des voitures n'aide pas à la compréhension mais j'espère qu'il aura compris l'essentiel, Francis est vivant et va le rester…
Un grand fracas, des crissements de pneus, les cris d'une femme projetée sur le trottoir et Francis qui me lance un dernier regard pendant une demi seconde, je tends le bras, il est sous les roues du bus.
Il s'est jeté pour sauver la femme et son bébé, mon téléphone s’éclate sur l'asphalte, le monde est ralenti, le souffle coupé, je n'arrive pas à y croire. Un attroupement, un brancard mais le corps est recouvert d'un drap blanc. Quelques personnes demandent si quelqu'un connaît cet homme. Je reste paralysé par le coup du sort.
**
Christal, Lyse, Liam et moi sommes attablés à un restaurant. Le docteur, nous a expliqué qu'un endroit neutre pour se voir tous ensemble serait plus favorable. IL m'a fallu des heures pour convaincre les enfants. L'ambiance est pesante, personne ne parle, tout le monde se toise par en dessous. Je n'ai pas très envie de discuter de toute façon, nettoyer toute trace de Francis dans le petit abri, m'a vraiment épuisé, envoyer son corps par les pompes funèbres dans sa ville m'a attristé. Il n'avait pas de papier, ses vêtements de quelques jours, sa barbe d'une semaine et son corps un peu affaibli de la veille, ont de suite fait penser à un SDF, personne n'a cherché plus. J'ai discrètement rempli les papiers pour son transfert, j'ai signé du nom qu'il m'a affublé une fois, comme un petit hommage, personne ne fera attention.
Il me manque, Eddy me manque, ils étaient mes deux nouveaux comparses. Le voyage d'Eddy se passe bien.
Liam et Lyse se zieutent, se sourient, ils mijotent quelque chose mais quoi ?
Christal cherche à épingler mon regard que je fuis volontairement. Le dessert, un cœur coulant chocolat et une crème anglaise, personne n'a déserré les dents, la fin du repas se profile sur la même lancée, morose, amère.
- Bon, on va sur la j'tée nous !
-ok, Dis-je, sans savoir que ce simple mot « jetée » allait produire un autre cataclysme. Comme un vent de sable que l'on voit de loin mais on ne se doute pas de l'ampleur de la tempête jusqu'à ce qu'elle s'abat avec force.
- En parlant de la jetée, je m’inquiète pour Francis, se préoccupe Christal. J'avale de travers en entendant Francis, la toux ne me quitte pas.
- Je le vois pu, ça va presque faire une semaine, je me demande si je devrais pas aller faire signaler sa disparition à la gendarmerie.
Mais de quoi elle se mèle ?! Et puis d'abord, comment elle connait Francis, comment ça elle l'a pas vu depuis une semaine. Mes pulsations ont fait un tel bond que j'ai du mal à respirer normalement.
- L'homme sur la jettée là ? Ouais, on l'a vu une fois, il est sympa. Dit Lyse en se levant pour partir, sac jeté sur l'épaule. Liam confirme de la tête en la suivant.
Mais Francis, ne connaissait personne ! Personne ne connaissait Francis !
-Sava P'pa, on peut t'laisser avec la dame ! Lyse est piquante quand elle veut, je fais signe que oui, en la grondant du regard. Elle hausse les épaules, m'embrasse la joue et prend le bras de son frère qui n'adresse aucun regard à sa mère en partant. Chris, cache une larme qui roule au coin de son œil. Et quoi de mieux pour oublier que de se concentrer que quelque chose d'autre.. comme la disparition de Francis.
- C'est toi qui a nettoyé l'abri ? J'avais laissé l'endroit à Francis depuis quelques semaines.
Rien a changé, mais j'ai l'impression que tout passe plus vite, que je peux voir les minutes s'écouler comme des secondes. Je me tape la poitrine, pour faire cesser la toux, avale un grand verre d'eau. Mon front perle, je crois que si je n'étais pas en si bonne santé, je craindrai une crise cardiaque.
-Je cherchais quelque chose, puis le fait de tout nettoyer, m'a fait du bien, il y avait personne… Hasarde-je en jouant dans le chocolat à coup de cuillère vengeresse.
-Bizarre, il lui est peut être arrivé quelque chose, ça m’inquiète.
- il est peut être rentré chez lui, laisse donc ce pauvre homme en paix !
-Pourquoi tu t'énerves ?
- Je m'énerve pas ! Au lieu de t'occuper de ta famille, tu cherches un homme qui vivait dans la rue et qui a soit disant disparu, il est peut être tout simplement parti ailleurs ! Claquant mes poings sur la table, elle sursaute, me dévisage cherchant le pourquoi de ma réaction aussi soudaine qu'inappropriée. J'essaye de ma calmer, les gens des tables autour, nous épient. La chaleur s'empare de moi, je sens mes joues rougir.
- Désolé, je.. hem.. je suis encore un peu chamboulé par notre situation familiale.
- Nan, ya autre chose, qu'est ce qui s'passe ?
Voilà, vivez avec quelqu'un pendant des années et vos moindres gestes, vos moindres réactions ne sont plus d'aucun mystère pour la personne avec qui vous partagez votre vie. Une main crispée dans mes cheveux, j'essaye de réfléchir, la vérité, un mensonge ?
- Il m'a dit qu'il voyait un méd.. Chris s'écrie d'un coup, C'EST PAS.. elle baisse la voix, vrai Will, c'est toi ?! Penchée vers moi, elle me fixe, stupéfaite par sa découverte, et avant que je ne puisse commander quoi que se soit, je réponds :
- Mais nan ! J'le connais pas ton Francis ! Mon cerveau a opté pour le mensonge. A force de mentir depuis des mois, voilà, le premier réflexe est de continuer à mentir.
-Tu vois donc aucun inconvénient à ce que j'aille à la police ?
- Aucun, à part que tu vas te ridiculiser, qu'ils vont rien faire pour un sdf, tu connais son nom ? Son âge ? Où il était avant ? Où il peut être maintenant ?
- ...Non mais, ils vont bien trouver des empreintes dans le local, te connaissant, le ménage a été fait en TRÈS gros.
Je hausse les épaules sans répondre, ma propre femme va finir par m'avoir des ennuis. Si en plus de Roger, on cherche Francis, ça n'aura pu rien d'une coïncidence leur disparition. Je me lève et paye l'addition puis lui dit :
- T'as pas que ça à faire, fais la paix avec nos enfants au lieu de chercher un SDF !
- On est devenu proche, il me l'aurait dit s'il était parti quelque part.
Elle se lève, s'approche un peu de moi, je peux sentir son odeur, mais son entêtement m'exaspère.
- Proche comme avec Liam… ?
Elle me gifle violemment, puis s'en va, je l'ai bien cherché, la joue me picote, elle n'y est pas allée de main morte. Main sur la mâchoire, je bouge ma mandibule, un peu plus et elle m'aurait déboité la bouche. Je regrette mes paroles, mais la laisse partir. Je sais qu'avec ça, elle ne pensera plus à Francis. Tous se sont arrêtés de manger, fourchettes ou sandwichs en suspend. Je n'ai plus qu'à détaler la queue entre les jambes. Mine de rien, elle a raison, je ferai mieux de nettoyer une seconde fois l'abri où Francis a dormi. La police va l'envoyer bouler de toute façon. Et puis, elle n'ira pas.. Je connais ma femme, ça l'a fais réfléchir ce que je lui ai dis, elle va laisser passer une semaine, puis elle oubliera, trop occupée à reconquérir la confiance de ses enfants.
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