Chapitre 2 – Et si la justice n’était pas juste ?

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(Un silence pesant s’installe. L’humain ne répond plus. Il baisse les yeux, visiblement secoué. Le diable, lui, tourne autour de lui, les mains croisées dans le dos, comme un professeur qui attend une réponse que l’élève n’a pas.)

— Tu t’accroches aux lois, comme un naufragé à une planche de bois.

(Il fait une pause, puis reprend, plus bas.)

— Mais cette planche est pourrie.

(L’humain relève lentement la tête, la gorge sèche. Il se raccroche à ce qu’il connaît, ce qu’on lui a appris, ce qu’il n’a jamais osé remettre en cause.)

— C’est… c’est tout ce qu’on a…

— Non. C’est tout ce qu’on t’a donné. Et tu t’en contentes.

(Le diable s’approche, son ton devient plus tranchant.)

(L’humain fronce légèrement les sourcils, comme si quelque chose en lui luttait. Il cherche une faille dans le discours du diable, mais ce qu’il entend fait écho à des réalités qu’il a vues, parfois même subies.)

— Dis-moi… pourquoi appelles-tu “justice” un système qui condamne plus facilement un pauvre qu’un riche ?

(L’humain ne répond pas. Il déglutit. Il ne nie pas, il doute. Il doute de lui, du monde, de la vérité qu’on lui a servie toute sa vie.)

— Pourquoi celui qui vole un pain pour nourrir ses enfants finit enfermé, pendant que celui qui détourne des millions s’offre des vacances au soleil ?

(Le diable fait les cent pas, comme s’il déroulait un réquisitoire que personne n’avait jamais osé écouter.)

(À ce moment-là, l’humain serre les poings. Pas de colère contre le diable. De frustration. Car il sait que ça existe. Il l’a vu à la télévision. Il a lu ces histoires. Et il n’a rien dit. Comme tout le monde.)

— Pourquoi l’agresseur riche paie une amende et repart en voiture de luxe… alors que le pauvre, lui, écope de dix ans sans appel, sans bruit, sans soutien ?

(Il marque un silence lourd.)

— Tu appelles cela la justice. Moi j’appelle ça un privilège déguisé.

(Il s’arrête net.)

— Même la peine a un prix. Et certains peuvent l’acheter.

(L’humain serre les dents. Sa voix sort plus sèche, plus brisée.)

— Ce n’est pas toujours comme ça…

— Non. Pas toujours. Mais assez souvent pour que ce ne soit plus un hasard.

(Le diable le fixe.)

(L’humain baisse la tête. Sa respiration se fait plus lente. Dans ses yeux, il n’y a pas de haine. Juste un vertige. Celui de réaliser que l’idéal qu’il défendait n’est peut-être qu’une façade.)

— Tu veux un exemple, humain ? En voilà un.

Un homme, chez lui, reçoit une visite inattendue. Des hommes masqués, armés, le forcent à ouvrir la porte. Ils le torturent, le passent à tabac, violent son intimité, volent ses codes bancaires. Ils n’épargnent rien ni personne. Ses amis sont battus. Sa dignité piétinée. Et que fait cet homme ? Il survit. Il rampe jusqu’à son fusil. Il tire. Trois tombent. Trois multirécidivistes. Trois prédateurs.

(Le diable marque une pause, mais cette fois, l’humain relève la tête. Son regard est chargé. Il n’est plus passif. Il réfléchit. Il comprend trop bien ce que ça veut dire.)

— Et tu sais ce qu’il récolte ? Vingt ans de prison.

Parce qu’il a osé se défendre. Parce qu’il n’a pas attendu qu’on le sauve. Parce qu’il a agi avant d’être enterré.

(Il recule d’un pas.)

— Voilà ta justice. Une justice qui préfère condamner un survivant… plutôt que d’admettre qu’elle est arrivée trop tard.

(L’humain murmure, plus pour lui-même que pour répondre.)

— C’est insupportable…

(Le diable ne dit rien. Il n’a plus besoin de convaincre. La graine est plantée.)

(Le diable s’éloigne lentement, les mains dans le dos. Il ne se retourne pas.)

— Et toi, lecteur…

— Combien de fois as-tu détourné les yeux en te disant : « Ce n’est pas mon affaire » ?

— Combien de fois as-tu cru à la justice… parce que tu n’en as jamais eu besoin ?

(Silence.)

— Jusqu’au jour où ce sera toi, à genoux, face à l’injustice. Et là… tu comprendras.

(Le chapitre s’achève sur cette voix lointaine, suspendue. Elle laisse un goût métallique dans la bouche. Une question sans réponse. Une vérité que l’on préférerait ne jamais entendre.)

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