Hôtel Dunygoroth
Harry Hunt prit sa valise posée à ses pieds tandis que le taxi faisait demi-tour et quittait la cour. Hôtel Dunygoroth. C'était bien là. La photographie sur le dépliant qu'il tenait en main était assez fidèle à la réalité. On y voyait un austère édifice blanchi à la chaux, accroché à la lande écossaise et tourné vers la mer. Sur le papier, le ciel était d'un bleu extraordinaire, presque méditerranéen, et le feuillage des plantes en pot alignées contre la façade s'épanouissait sous un soleil estival. Ce jour-là, tout était conforme à l'image, à part la météo : la pluie avait accompagné le détective durant tout le trajet en taxi depuis la gare. De lourds nuages fuyaient en nuées épaisses, poussés par un vent qui l'obligeait à cramponner son chapeau. En revanche, dès le seuil franchi, l'intérieur était particulièrement cosy et coquet par contraste. Les boiseries soigneusement cirées, les tapis de qualité mais aux tons défraîchis, le feu dans la cheminée bien que l'on soit encore en septembre, tout concourait à faire oublier aux voyageurs transis la désagréable météo. Le visiteur s'écarta du miroir suspendu au mur près de l'entrée et traversa la pièce.
Derrière le comptoir de la réception, un vieil homme griffonnait dans un épais registre. Le nez chaussé de lunettes en demi-lune, il s'interrompait parfois pour caresser un gros chat roux qui dormait, roulé en boule sous le halo multicolore d'une lampe Tiffany.
Lorsque Harry se présenta, Malcolm Finley l'accueillit avec empressement : "Je suis tellement heureux de vous voir, si vous saviez ! Je vous attendais avec impatience." Il baissa la voix pour confier au détective : "Nous n'avons pas eu d'autres incidents à déplorer depuis l'été dernier, mais je vous avoue que m'assurer, chaque jour, que le personnel n'approche pas de cette chambre, surtout durant la saison, m'épuise de plus en plus. J'ai beau garder la clé en permanence avec moi, il y a toujours quelqu'un pour me demander pourquoi on ne fait jamais le ménage dans la chambre du troisième. Parfois, ce sont les clients des chambres du dessous qui viennent se plaindre à cause de... grattements qui les dérangent dans la nuit. Je sais que vous êtes un habitué de ce genre de situation et votre réputation n'est plus à prouver, mais tout de même... C'est qu'il y a eu quelques drames dans cette pièce. Mes parents tenaient cette ancienne auberge, et lorsque j'ai repris l'affaire familiale à leur décès, tout allait pour le mieux. Seulement voilà : depuis une dizaine d'années..."
Le chat souleva une paupière languide lorsque Harry le gratta entre les oreilles et se rendormit aussitôt. Cela faisait un mois que le propriétaire de l'hôtel avait pris contact avec l'un des plus brillants détectives occultistes d'Europe, venu tout spécialement sur les lieux afin d'ajouter un autre succès à son palmarès.
"Mathusalem ne va jamais là-haut, fit remarquer Monsieur Finley, l'air songeur. C'est pourtant un grand chasseur de souris. On pourrait croire que les combles seraient son terrain de chasse préféré, mais il n'y met jamais une patte. Remarquez, les souris non plus..."
Le viel homme sortit de la poche de son lourd gilet une clé attachée par une courte chaîne à une petite boule de cuivre gravée du nombre seize. Il appela une employée pour le remplacer à son poste et précéda son visiteur dans les escaliers. Parvenu au troisième étage, Malcolm Finley reprit son souffle avec difficulté. "C'est que je ne suis plus tout jeune, moi. Et lorsqu'il faut aller faire le ménage dans cette pièce, je peux vous assurer que je n'en dors pas de la nuit qui précède. Mais depuis qu'une femme de ménage été retrouvée morte sur le lit de cette maudite chambre, je ne laisse personne d'autre que moi se charger de cette corvée. C'était il y a huit ans, en 1951, le 16 août. Jamais je n'oublierai cette date..."
Harry Hunt rassura le vieil homme et ouvrit lui-même la porte. Il annonça qu'il descendrait pour le dîner à dix-neuf heures et observa Monsieur Finley qui se pressait vers les escaliers, de toute la force de ses maigres jambes. Une fois la porte verrouillée, il inspecta les lieux. Le ménage avait été fait, la chambre était confortable et spacieuse. Harry nota cependant la présence d'un miroir dans la chambre et la salle de bain attenante. Cependant, le charme du mobilier massif ainsi que la vue sur la mer depuis l'étroite fenêtre en chien assis invitaient au repos et à une certaine volupté. Il devait s'agir d'une des rares chambres de l'établissement dotée d'une cheminée. Finley y avait allumé un feu et le détective mesura tout le mal que s'était donné le pauvre homme pour rendre la pièce accueillante. Bien que l'endroit ait été aéré dans la journée, Harry Hunt y détectait cependant une vague odeur de renfermé que le bouquet de roses, posé sur une console, ne parvenait pas à masquer. Le détective se donnait une semaine pour résoudre l'affaire, et, comme il avait coutume de le faire à chaque fois qu'il arrivait sur des lieux psychiquement actifs, il sortit d'un étui en velours son précieux pendule et entreprit de faire le tour de la chambre, l'œil rivé sur les girations et les oscillations de l'objet.
Ses déambulations le conduisirent rapidement près du lit.
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