Hôtel Dunygoroth (partie 2)

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 Le pendule réagit de façon extraordinaire dès que Harry l'approcha de la tête du lit, comme pris de folie. Assurément, quelque chose dans le meuble troublait les ondes ; quelque chose de puissant qui faisait faire des bonds désordonnés au pendule. Il était presque comique de voir le détective, une force de la nature, ouvrir de grands yeux médusés en tenant un si petit objet qui tressautait et tournait dans tous les sens au bout de ses doigts épais.

 Sans faire de réel effort physique, le détective entreprit de décoller du mur le lit en chêne massif. Il y eut bien quelques craquements de protestation mais le mobilier capitula facilement, et lorsque l'enquêteur de l'étrange se pencha pour examiner le bois, il éprouva un choc à la vue des innombrables stries parallèles qui griffaient le panneau du côté du mur. Curieusement, les traces étaient convexes au toucher, et donnaient plutôt l'impression que le bois avait été endommagé de l'intérieur. Comme si quelque chose avait voulu sortir du lit lui-même. S'agissait-il d'un parasite, insecte ou champignon, ou bien d'un défaut du matériau, ou même de dégâts occasionnés par un client ? Perplexe, Harry songea que les traces étaient trop régulières pour être l’œuvre de la nature. Elles traduisaient une sorte de frénésie et d'acharnement inquiétants. La nuit risquait d'être agitée. Mais l'heure du dîner approchait cependant et Harry rangea ses affaires avant de se laver les mains puis de se rafraîchir le visage. Il disposa sur le bureau une bible en mauvais état, une fiole d'eau bénite et son journal d'où émergeait quelques coupures de presse sur un incendie dans une tour de Boston, un drame qui avait coûté la vie à de nombreuses personnes. Harry n'eut pas le courage de retirer complètement le morceau de papier et se contenta de le renfoncer du bout du doigt entre les pages de son journal. Distraitement, il feuilleta ensuite un énorme volume recouvert de cuir dans lequel il avait laborieusement recopié quelques passages traduits du Liber Ivonis et de l'ouvrage de Wilhelm von Juntz : le célèbre Die unaussprechlichen Kulten. Par ailleurs, on y trouvait également certaines recettes du Clavicule de Salomon et du Petit Albert ainsi que des extraits du Malleus maleficarum. Finalement, il replaça la précieuse source de savoirs ésotériques et son journal intime dans sa valise qu'il verrouilla et rangea dans la penderie, elle-même bouclée et dont il glissa la clé dans sa poche. Avant de descendre, il prit soin de voiler un antique miroir piqué de taches noires accroché face au lit, à l'aide d'une couverture trouvée dans la penderie. Il opéra rapidement, sans se placer devant la surface réfléchissante.

 Le dîner, pris au coin d'une haute cheminée dans laquelle flambait un bon feu, fut succulent. Peu de clients séjournaient encore à cette période de l'année, et d'ici à la fin du mois, ils se feraient encore plus rares. Pour l'essentiel, il s'agissait de couples âgés de touristes étrangers, des habitués qui revenaient chaque été dans l'hôtel pour profiter des paysages splendides de la côte écossaise.

 Comme la pluie avait cessé, Harry Hunt sortit fumer un cigare dans la cour. Les arbres en topiaire plantés dans de grands pots étaient encore détrempés. Le détective suivit le chemin pavé qui le mena derrière le bâtiment. Il se serait bien assis sur le banc disposé sous un vénérable érable, mais la pluie avait imbibé le bois, malgré l'abondant feuillage qui le protégeait.

 Finley fit signe au détective d'approcher lorsque ce dernier rejoignit la réception. Le vieillard se frottait les mains nerveusement. "Êtes-vous sûr de vouloir passer la nuit dans la chambre seize, Monsieur Hunt ? Ne serait-il pas plus prudent que vous dormiez dans une autre chambre et que vous... comment dire... que vous expérimentiez les... heu problèmes de la pièce... pendant une heure ou deux, plutôt que toute une nuit ? Parce que je ne voudrais pas qu'un accident comme celui du commis voyageur se reproduise, et...

_ Non non, ne m'en dites pas plus, Monsieur Finley, l'interrompit le détective en levant la main. Je dois me faire ma propre idée. Pour le moment, ce que vous m'avez raconté au téléphone suffit : les drames nocturnes, les siestes qui finissent mal, les cauchemars, tout cela est bien assez pour suspecter une présence malveillante dans cette chambre. Je ne veux pas que des récits plus détaillés faussent mes perceptions. Et il est nécessaire que je passe une nuit complète dans cette pièce, sans quoi, le phénomène risque de ne pas se produire.

_ Oh rassurez-vous, Monsieur Hunt, les phénomènes se produiront. Ils se produisent toujours. Cela n'a jamais manqué depuis dix ans, se désola le propriétaire. En tout cas, je vous en conjure, au moindre problème cette nuit, quittez les lieux. Je laisserai la chambre dix ouverte, elle est libre, et si vous voulez vous y retrancher, faites-le."

 Sa voix ne fut plus qu'un murmure quand il ajouta : "Et, s'il vous plaît, quoiqu'il se passe cette nuit, hum, essayez de ne pas trop attirer l'attention des clients... Vous comprenez, je ne voudrais pas que cela nuise davantage à la réputation de mon établissement. Il m'est déjà assez pénible de recevoir de temps en temps des curieux qui demandent à occuper cette chambre ou qui me questionnent avec un air suffisant, comme si tout cela n'était qu'un canular."

 Harry Hunt rassura le propriétaire avec un demi-sourire : "Je serai aussi silencieux qu'un fantôme."

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