Blessure
— Mais vas-y, quoi ! s’impatienta Mara.
Kohga ne répondit que par un grognement, agacé et concentré.
— Je fais ce que je peux !
L’épée accrochée au mur se décala de quelques millimètres. Kohga était en sueur, les dents serrées, la langue légèrement tirée. Mara montait la garde à l’entrée de l’armurerie, prête à donner l’alerte si quelqu’un s’approchait, bien qu’elle ne savait pas du tout ce qu’elle ferait ensuite.
C’était la première fois qu’ils faisaient une vraie bêtise.
— Bon, elle vient, cette épée ? J’veux leur prouver qu’je suis une vraie Yiga !
Kohga soupira et tenta à nouveau de déplacer l’arme. C’était la première fois qu’il s’essayait à la télékinésie et, de toute évidence, il n’avait pas encore pris le coup de main.
— J’y arrive pas… haleta-t-il.
— Essaie encore !
Mara sursauta en entendant des cris dans le couloir. Sa mère la cherchait, appelant son nom, fouillant tout le repaire dans l’espoir de la trouver.
Kohga se redressa, la main toujours tendue vers l’épée accrochée au mur, et ferma les yeux. Il se concentra à nouveau, du mieux qu’il pouvait.
— Ça marche ! l’encouragea Mara. Continue !
En entendant l’arme se décrocher, Kohga rouvrit les yeux et tendit la main. Un instant, les secondes semblèrent s’étirer, Mara voyait au ralenti les mouvements de son ami et la chute de l’épée.
— Kohga ! Attention !
Puis le temps reprit son cours. Le fils du chef de Clan tenta vainement de rattraper l’arme, mais elle lui glissa des mains. Il hurla.
La paume de sa main droite était profondément entaillée.
— J’vais chercher de l’aide ! déclara Mara, déjà sur le point de partir.
— Non, s’il te plaît ! Si tu le dis à un adulte, on va être punis !
Son amie haussa un sourcil, le regard toujours fixé sur la main de Kohga.
— Ça pisse le sang ! gémit-elle.
— Oui, merci, j’ai vu !
— Je vais chercher de l’aide, répéta-t-elle.
Avant que Kohga puisse lui dire quoi que ce soit, elle ajouta :
— Chai pas pour toi, mais moi je préfère avoir un blâme plutôt qu’de te regarder t’vider d’ton sang ! Tu peux marcher ?
— Bah oui, je me suis blessé à la main, pas à la jambe !
Cela ne l’empêcha pas de s’appuyer sur l’épaule de Mara, comme un guerrier revenant d’une bataille aux portes de la mort.
Étrangement, ils ne croisèrent personne sur le chemin de l’infirmerie. Mara poussa la porte et ils entrèrent.
L’infirmerie était presque vide. Deux femmes et un homme, tous en blouse blanche, s’occupaient des quelques patients restés en observation pour la nuit. Marika, la mère de Kohga, remballait son matériel.
En voyant son fils, la main ensanglantée, appuyé sur l’épaule de Mara, elle frémit.
— Kohga ! Mais qu’est-ce que-
— On a fait une connerie, voilà ! coupa Mara. ‘fin… j’ai fait une connerie et il s’est blessé à cause de moi.
Marika prit la main de Kohga et observa la blessure. La plaie avait déjà commencé à cicatriser, et c’est précisément ce qui l’inquiétait.
— Assieds-toi là, ordonna-t-elle, en indiquant une chaise.
Elle versa un peu de désinfectant sur un coton et entreprit de nettoyer la coupure. C’était profond et, d’une manière ou d’une autre, une grande quantité de poussière et de sable salissait la plaie.
— Aïe ! couina Kohga Aïe ! Ça pique !
Marika n’y prêta pas attention.
— Tu es blessée, Mara ?
Elle secoua la tête.
— Alors va retrouver ta mère, elle était morte d’inquiétude.
Le départ de Mara laissa Kohga seul avec sa mère et les bruits ordinaires de l’infirmerie.
— Ça devrait être bon, dit finalement l’infirmière en chef. Kiko, tu m’apportes des bandages ?
L’apprentie marcha jusqu’à la table la plus proche, saisit les bandages et les rapporta à Marika.
— Bon, en revanche, tu ferais mieux de ne pas trop utiliser ta main pendant un jour ou deux.
— Quoi ?! toussota Kohga. Mais demain, je voulais participer à l’animation de combat !
— Tu vas devoir faire une croix dessus !
— Oh non, s’te plaît !
Marika soupira. Elle connaissait bien une technique qui accélèrerait la guérison, mais cela allait lui coûter…
Elle ne pouvait rien refuser à son fils.
— Il y a bien quelque chose que je pourrais faire, mais ça ne sera pas très agréable…
— Ça m’est égal !
— Mais il y a une condition. Dis-moi comment tu t’es blessé.
Kohga hésita, mais l’envie de participer à l’activité l’emporta.
— Avec Mara, on a voulu voler une épée dans l’armurerie, mais je me suis coupé avec… expliqua-t-il, penaud.
Marika soupira.
— Cette vieille épée Hylienne décorée avec des rubis et du tissu bleu ?
— Oui.
— Pleine de rouille. Il va falloir te refaire tes vaccins…
Kohga gémit.
En entrant dans l’infirmerie, le Grand Kohga trouva sa femme assise sur une petite chaise de bois, son fils sur les genoux.
— Marika, enfin, ça fait dix minutes que la fête a commencé !
— Chut ! Il dort enfin !
Le chef des Yigas s’approcha. Effectivement, Kohga dormait. Il ronflait, même.
— Magie de guérison ? demanda-t-il en apercevant la large cicatrice violet sombre dans la main droite du Yigling.
— Oui.
L’infirmière en chef tendit la main vers sa sacoche. Elle en sortit un petit flacon de remède vert, le déboucha et en avala le contenu d’une traite.
— Tu n’aurais pas dû. Je sais bien que ce n’est pas facile, mais il faut le laisser affronter les conséquences de ses bêtises !
Marika hocha la tête.
— Il a été plus que puni.
— Tu en es sûre ?
Elle acquiesça une seconde fois.
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