5 heures de marche

5 minutes de lecture

deux objectifs de smartphones, luisants de curiosité sont braqués à 10 cm de mon nez. Emergeant de mon demi sommeil, je peine à réaliser la situation. L'insistance de ces influenceurs en quête de buzz m'a sauvé la mise. Je dois saisir cette opportunité. Ne pas foirer ma stratégie etablie en deux secondes.

Il s'agit de maintenir leur intérêt pour moi tout en gardant les paupières baissées le temps de m'emparer de mon I-phone, de lancer l'appli "D-dommage", effleurer l'onglet " visuel délit"et..... Mathéo et Victor, deux collégiens plus maladroits que malhonnêtes, séchant le cours d'espagnol, ont été localisés par satellites judiciaires.

Leurs appareils respectif émettent une alarme dont la tonalité est assez similaire à une alarme antivol.

" Violation droit à l'image" lisent-ils, la mine déconfite. Piégés ! Mathéo lâche mollement : " c'est quoi ce bordel?"

Victor décontenancé, a repris de l'assurance s'accrochant à une logique matérielle : " Les satellites se sont trompés, ils ne se déplacent jamais pour un clochard. Pis quand t'es sdf, les gens ont le droit de les filmer et en échange ils recoivent des aides quoi ". Mathéo tremble malgré les explications approximatives mais justes de Victor. En 2067, l'état se trouvait dans l'incapacité de stopper la recrudescence exponentielle dun nombre d'habitants se retrouvant sans activité et en fin de droits. Le RSA ayant été purement supprimé suite au référendum de 2027, l'urgence d'une solution a été instaurée :

Tout "inactif" se voyait dépossédé de son image et recevra automatiquement des allocations de 500€/ mois pour son usage publique. En contrepartie, l'inactif ne bénéficiera pas des apports financiers potentiels si son image est plébiscitée. Cette mesure contribue à faire l'economie de mannequins, acteurs trop onéreux. L'avantage pour l'I.A : un vivier d'images réelles de quelques milliers d'inactifs pour générer des combinaisons infinitésimales de scénarios de films, eux-mêmes engendrant des milliards de bénéfices.

Le calcul est vite fait.

Or il se trouve que je ne suis pas dans la situation d'un sans-abri. En tant qu'actif, la juridiction m'autorise le signalement d'une violation de droits à l'image et ma réclamation d'un dédommagement.

Vous pourriez deduire que je suis un moralisateur un peu extrême. Ce n'est guère mon intention.

Un profiteur?

Non plus.

Les motivations sont plus pragmatiques: je suis un actif ......SANS ABRI! Hors la loi ( les domiciliations n'existent plus excepté virtuellement sous conditions de critères tres élitistes).

Je risque de perdre mon emploi et par la même occasion, mon image.

Les indiens ont perçu le danger de la photo capturant nos âmes ! ( documentaire visionné sur Arte qui m'a obnubilé pendant des mois).

Evitant le sourire narquois que je réprime avec force par respect face à mes pauvres victimes- cas de legitime defense bien que je ressens une honte d'avoir utilisé ce guet apen improvisé contre ces deux pauvres gosses pas bien mechants - je daigne ouvrir mes stores à cils pour planter mon regard ( pas de qualificatif puisque je n'ai pas de visu sur mes propres yeux) sur leur faces blêmes qui ont fermés la boutique farces et attrape.

Trois alternatives s'offrent à eux:

- Soit leurs parents me versent le dédommagement et ils pourront faire le deuil des joies de leur jeunesse,

-Soit ils quittent l'ecole pour occuper un emploi dans un domaine souffrant du manque de recrutement dans l'optique de me rembourser par mensualités la somme indue,

-Soit je détermine moi-même les conditions de dédommagement. La question est vite répondue. Les deux proies optent pour la derniere solution. Sincèrement, je ne voulais pas en arriver à de telles extrémités, l'ironie du sort a jetée son ombre sur Matheo et Victor. Aleatoire. Je suis l'instrument activant cette cruelle manigance. Injuste. Mais justifiée :

l'arroseur arrosé. Cet événement portera un impact qui sera apprécié selon leurs tempéraments, vécus, leur angle d'approche de la vie etc.....et un lien est indéfectiblement tissé entre nous.

La toile s'est resserrée. D'une voix, la mienne, j'impose: " L'un de vous deux m'hébergera sur un temps indéterminé et gratuitement."

C'est à partir de cet instant precis que ces deux jeunes au cerveau en grande partie externalisés dans leur téléphone, que leur globe oculaire ont réellement visualisé, scruté ma personne. Un contact direct sans objectif interposé. Ils ont l'air figés, glacés par cet échange humain qui est tout sauf chaleureux, manque de bol ! La négociation est à proscrire-il le faut!- et j'ose espérer qu'ils se retrouvent dans une telle impasse qu'ils ne puissent refuser ma proposition. A detailler plus attentivement leurs champ lexical, leurs expression corporelle, leur équipements ( et non les vetements souvent trompeurs, beaucoups de personnes aux ressources amoindries portent des marques pour cacher leurs infortune encore plus infortunée par les depenses onereuses de vetements ostentatoires). Je les situerais dans la classe sociale moyenne.

Victor semble plus hardi, se laisse difficilement désarçonner. En revanche, son temps de réactivité face à un contexte imprévu et complexe démontre un goût prononcé et exercé à la routine et la sécurité. Soit fils unique soit l'aîné. L'enfant-roi. Ce ne sont que des hypothèses avérées ou erronées. Le jugement hâtif fait partie de notre nature. C'est inné. Quelques années auparavant, un chorégraphe animant des cours collectifs de danse m'a affirmé piuvoir jauger en quelques secondes la personnalité d'une personne dans sa façon d'approcher l'autre, d'occuper son espace. Quant à Mathéo, plus démonstratif, nerveux, intuitif ( rappelez-vous ses tremblements), il semble plus craintif et timoré, moins confiant en ses choix craignant de décevoir ses parents. Surement le cadet d'une fratrie nombreuse ( ce qui signifie une promiscuité inversement proportionnelle à la tranquillité, ce qui m'horripile au plus haut point, oui j'ai l'air de camper un personnage assez antipathique et d'obédience sociopathe, méfiez-vous des apparences.....).

Pourtant, j'ai essayé de trouver un endroit propice à m'accueillir provisoirement: toutes les structures dédiées à l'hebergement des sans-abris, des précaires etc ..... la reponse est recurrente, implacable : " pas de places et vous n'etes pas prioritaire puisque vous avez un emploi." Une bénévole m'a toisé du regard, me demandant expressément de " foutre le camp, sale égoïste de profiteur". Les hôtels tiennent un registre numérique transmettant toutes les réservations aux employeurs, sachant qu'un salarié se retrouve dans hôtel est tres mal vu dans le monde du travail. Ça laisse une image dégradante de l'employé dépravé, saltimbanque aux moeurs douteuses. Les standarts ont changés depuis 2027.......

Les camping sont situés trop loin de mon lieu de travail pour que je puisse tenir le rythme en évaluant la durée de trajet à quatre heure de train ( deux correspondances) et deux heures en voiture que je n'ai pas.

Désespéré, j'ai envisagé de dormir au sein de la gare SCF( sans chemin de fer). La technologie a progressée: les trains sont propulsés par des moteurs à aimants sur routes dites conventionnelles.

Malheureusement, les bancs ont ete conçu d'une telle façon à empêcher toute activité non productive ou consommatrice telle que la sieste. Autre obstacle: à 21:30, les portes se ferment, nous poussant gentiment vers la sortie.

Toutes ces démarches, cette longue marche qui ne marche pas bien et qui devient progressivement douloureuse, mâchoires de plus en plus crispées, marmonnant ma fureur et mon desespoir, au bout de 5 heures de recherches, mon transit gronde méchamment sa faim. Je prends n'importe quelle ligne de bus et m'aplatis sur un siège bleu poussiéreux. Affreux reflet de ma peau pâle, mes cernes creusées, les commissures des lèvres dessinant des dénivelés de déceptions interceptant les cascades de la vallée des larmes. Barbe naissante mais décente. "Maison vendue".

Je quitte le bus. Banc. M'y asseois. Piège. Mathéo accepte le marché.

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