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 Une silhouette aux contours flous apparaît dans la distance.

 J'arrive. Plonge dans son dos.

 Quand Frans se retourne, il a le visage inondé de sueur et les yeux exorbités.

 Je n'y avais pas pensé avant, maintenant je réalise : c'était moi. Lorsqu'il me tournait le dos un instant auparavant, Frans était occupé à regarder quelqu'un lui aussi. Et ce quelqu'un - cela relève de l'évidence, maintenant - c'était moi. Le barbare debout dans l'étendue blafarde.

 Nous nous regardons sans prendre feu, sans s'évanouir sous un voile de poussière, sans être baignés d'une lumière divine. Rien de tel ne se produit. Nous nous regardons avec stupeur, aussi stupéfiés par cette rencontre que par son absurde simplicité.

— Qu'est-ce que tu vois ? (J'ose enfin dire quelque chose.)

 Une goutte de sueur glisse le long de sa mâchoire, s'écrase contre le sol. Il cherche quoi répondre, le regard profondément ancré dans le mien.

— Peu de choses. Tu es une ombre à peine humaine.

— Menaçante ?

— J'en ai l'impression.

 Puisque je ne réponds rien, il explique :

— Tu ne me considères pas comme un Homme. Et ce qui n'est pas humain, on n'a pas de mal à l'écraser.

— Peut-être qu'en effet, je ne t'ai jamais vu comme un Homme.

— Tu me trouves pathétique. (Ce n'est pas un reproche qu'il m'adresse. Au contraire, il commence à s'apaiser.) Je t'entends quand tu y penses. Je t'entends car, toi, tu n'es pas un Homme. Tu n'es même pas le centième d'un Homme. Alors si tu ne me comprends pas, je t'en veux pas. Ce n'est pas ton rôle.

— Mon rôle ?

— À toi de me le dire. Tu viens ici et tu saccages. Tu glisses sur moi, sur les autres, glisses sur tous ces moments qui composent l'existence, passes là où personne n'a jamais su se tenir et tu dis ces choses que je n'ai jamais su dire. Je crois qu'au fond, tu es convaincu que tu te débrouillerais mieux que moi, dehors. Moi, je ne le crois pas.

— Il existe un passage vers le dehors ?

— J'aimerais que tu comprennes que j'avais le droit de traverser. Les gens trouvent ça moche. Trouvent ça dommage. Trouvent ça triste. (Il esquisse un petit sourire, le genre qu'on esquisse avant de s'éclipser mystérieusement.) Tout cela me dépasse. Le bien, le mal, peut-être que ça existe. Peu importe au final. Connaître la limite ne m'intéresse pas. C'était ma décision. Et personne n'a le droit de me juger pour cela.

— Attends, s'il te plaît, je te vois t'éloigner... Existe-t-il un passage vers le dehors ?

— Ce passage, tu le connais sans doute mieux que moi.

— Je suis perdu. Où sommes-nous, exactement ?

 Il hausse les épaules et fait mine de partir. Je parle pour le retenir.

— J'aimerais vraiment comprendre ce qui nous a menés ici, à nous connaître. J'aimerais savoir s'il y a du sens derrière tout ça. Au fond, je sais que ce face-à-face a toujours existé. Sous différentes formes, en différents endroits. C'est un moment indissociable de nos existences respectives. J'aimerais comprendre pourquoi. Et j'aimerais te comprendre, toi. Tu sais, voir par tes yeux.

— Et glisser sous ma peau, m'ouvrir le crâne, toucher, salir avec mes mains. Embrasser avec mes lèvres, courir avec mes jambes. Vivre toutes ces choses pour comprendre. Je sais tout cela. Fais donc.

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