chapitre 8
Alice et Lucien restèrent un moment immobiles sur le chemin de gravier devant la bibliothèque.
- Qu'est-ce qu'il voulait dire ? Demanda Lucien.
Alice serra les plans contre elle.
- Je ne sais pas. Mais j'ai l'impression qu'il nous a caché l'essentiel.
Le vent souffla dans les branches du poirier tordu. Dans la lumière déclinante, ses branches ressemblaient à des mains griffues.
Ils rejoignirent la voiture de Lucien en silence. Une fois à l'intérieur, Alice se tourna vers lui.
- On y va maintenant, dit-elle. Ce n'était pas une question.
- Au souterrain ?
- Oui. Maintenant. Avant que la nuit ne tombe complètement.
Lucien la regarda, surpris par la détermination dans sa voix. Puis il acquiesça lentement.
- D'accord.
Le trajet jusqu'à l'étang se fit dans un silence pesant. Alice regardait défiler les champs par la fenêtre sans vraiment les voir. Elle pensait aux galeries maudites, aux Mangeurs de Larmes, à ces marques étranges sur les corps.
Lucien conduisait vite, les mains crispées sur le volant. Son esprit d'enquêteur refusait encore de tout accepter. Des confréries sombres ? Des galeries qui remontent à des temps anciens ? C'était difficile à croire. Et pourtant... les marques sur les corps. Les disparitions. Quelque chose se passait.
La voiture quitta la route principale, s'engageant sur le chemin de terre qui menait au parc de l'étang.
Ambroise les attendait devant le portail, visiblement mécontent. Il leur ouvrit sans un mot, le visage fermé, puis s'écarta pour les laisser passer.
Alice et Lucien se tenaient devant l'entrée du souterrain. Ambroise, un peu à l'écart, jetait des regards derrière lui, visiblement ennuyé d'être là. L'eau miroitait et scintillait sous le soleil déclinant. Rien ne laissait supposer qu'un cadavre pourrissant avait été sorti récemment de cette eau si belle.
- Je vous l'avais bien dit, lieutenant. Regardez, là ! Ce sont bien des traces de pas récentes, déclara Alice, triomphante.
Elle prenait un malin plaisir à montrer à Lucien qu'elle avait raison.
- Oui, en effet, elles semblent fraîches, admit le gendarme en s'accroupissant pour les observer de près.
- Il semblerait qu'il n'y ait qu'une seule personne, ajouta-t-il.
La lampe d'Alice éclairait les empreintes dans la poussière.
- Nous devrions explorer cette galerie, proposa-t-elle, afin de savoir où elle mène. Nous découvrirons sûrement d'autres indices.
Elle pointa le faisceau de sa lampe dans l'obscurité du tunnel. Il peinait à percer cette obscurité épaisse et visqueuse.
Lucien éprouvait un sentiment désagréable. Un mélange d'inquiétude à l'idée de s'aventurer plus avant dans le noir, et de volonté de montrer à Alice qu'il était le patron. Toujours ce même schéma, pensa-t-il. Son ego lui souffla : oui, bonne idée. Tu vas lui montrer ton courage et tu pourras la protéger si nécessaire... Et qui sait... L'image lui plut.
— D'accord, allons-y. Monsieur Donadieu, vous resterez à l'entrée et nous attendrez.
Ambroise n'en demandait pas tant. Rien que l'idée de patauger dans le noir avec ces deux incapables lui retournait l'estomac. Il s'installa au bord de l'eau pour observer les nuages se reflétant dans l'étang. Parfait.
— Pas de problème, marmonna-t-il.
Il regarda Alice et le lieutenant disparaître dans l'obscurité. Un coude, à quelques mètres, les avala. Il se demanda un instant s'il n'aurait pas dû insister pour les accompagner. Puis il s'assit, et les oublia.
Alice se retourna après le coude. Ils étaient plongés dans une obscurité dense. Heureusement, la vaillante petite lampe faisait un bon travail. Aucun risque de se perdre : il n'y avait qu'une seule galerie. Le sol sablonneux étouffait le bruit de leurs pas. Ils en vinrent à chuchoter, comme si, inconsciemment, ils craignaient de réveiller ce qui dormait dans les ténèbres.
Dans les ténèbres, des lèvres se retroussaient lentement sur des dents pointues.
L'odeur de moisi dans le souterrain était intense. Elle avait envahi leurs narines dès les premiers mètres. C'était comme le souffle fétide d'un corps oublié sous terre. Le nez pincé, Alice ouvrait la voie, tendant sa lampe devant elle. Malgré son assurance apparente, elle ne se sentait pas à l'aise. Oppressée. Le noir la dérangeait depuis l'enfance, une peur primaire enracinée dans ses os.
Tous les cinq pas, elle jetait un regard furtif derrière elle, comme si un bruit étrange la suivait. Une respiration. Un frôlement. Lucien, derrière elle, n'avait rien dit, mais il observait ses gestes de plus en plus nerveux.
- Peut-être devrions-nous faire demi-tour et revenir plus tard avec des renforts ? Ce souterrain a l'air immense, proposa-t-il.
- Mais non, rétorqua Alice un peu trop vite. Continuons encore un peu. Nous allons bien finir par trouver des indices.
Sa voix était montée dans les aigus sans qu'elle ne s'en rende compte. Elle se racla la gorge, agacée par son propre stress.
Soudain, Alice s'arrêta.
- Regardez ça...
Sur la paroi, des gravures anciennes zébraient la pierre. Des croix, des spirales, des symboles grossiers, tracés à même la roche.
Lucien s'approcha.
- Des gamins ?
- Non. C'est bien plus ancien. On dirait des prières... ou des avertissements.
Le silence qui suivit sembla plus lourd encore.
Les parois suintaient d'humidité noire et grasse. Les marques des outils des carriers étaient visibles partout, témoins d'un travail titanesque, long et oublié. L'eau qui tombait du plafond glissait le long des murs en filets lents, remplissant les fissures. Elle formait à leurs pieds des mares stagnantes qui dégageaient une odeur âcre, presque métallique.
Lucien avait déjà vérifié que son arme était bien chargée. Mais il savait que, dans cette obscurité, s'en servir à temps serait illusoire. Il se sentait vulnérable. Presque aveugle.
Quelques mètres plus loin, un bruit étrange se fit entendre. Pas un courant d'air, non.
Un souffle. Régulier.
Alice braqua la lampe vers le fond. Rien.
- Le vent, dit Lucien, sans conviction.
Mais Alice, blême, savait que ce n'était pas le vent. Le souffle suivait leur rythme. Comme une respiration parallèle à la leur.
La galerie descendait en pente douce, et les rares traces de pas dans la poussière s'effaçaient peu à peu. L'obscurité, percée uniquement par le faisceau de la lampe, avalait tout autour d'eux. Leurs ombres s'étiraient sur les murs, difformes, inquiétantes.
Puis, Alice s'immobilisa brusquement.
- Vous avez entendu ?
Elle avait les yeux écarquillés, les joues rougies par un afflux soudain de sang.
- Non. Qu'est-ce que c'était ? Demanda Lucien en fronçant les sourcils.
- Mon prénom... Quelqu'un m'appelle. Derrière nous. Vous êtes sûr de ne pas avoir entendu ?
Lucien se retourna lentement, scrutant l'obscurité.
- Passez-moi la lampe. Laissez-moi regarder.
Il dirigea le faisceau vers l'arrière. La lumière semblait se heurter à un mur de ténèbres impénétrables.
- Je ne vois rien. Peut-être que nos pas ont créé un écho. Vous avez cru entendre une voix.
- C'est ça, prenez-moi pour une cruche ! Je sais ce que j'ai entendu !
Elle reprit la marche d'un pas sec, la mâchoire crispée. Lucien la suivit sans un mot. Elle bougonnait, mais en elle, la peur faisait rage. La voix avait été réelle. Son prénom avait été prononcé avec une horreur froide, grinçante, comme soufflé par une gorge inhumaine.
Aliiiiiice...
Une part d'elle voulait hurler, courir à l'opposé, retrouver la lumière du jour, le vent, le chant des oiseaux... Mais elle tint bon. Elle avait appris à maîtriser ses peurs. À les dominer. Et cette voix, aussi glaçante soit-elle, n'allait pas l'arrêter.
Ils marchèrent encore longtemps. Le tunnel paraissait interminable, comme s'il se prolongeait au-delà de toute logique. Le faisceau de la lampe vacillait parfois, les forçant à s'arrêter, figés dans le noir. Un silence pesant régnait, troublé seulement par leurs pas et les gouttes tombant dans l'eau.
Enfin, la galerie s'élargit, débouchant sur une vaste salle circulaire. Les parois, d'abord rugueuses, étaient devenues lisses, polies par une main ancienne. Elles brillaient légèrement, constellées de minuscules fragments réfléchissants. Lucien posa la main sur le mur : il était tiède, presque vivant. Pourtant, l'air ambiant était devenu glacial.
Des chaînes rouillées pendaient des murs, entremêlées de débris noircis. Une table renversée au centre de la pièce tendait ses pieds vers le plafond comme une offrande obscène. Le bois était couvert de traces sombres, indéchiffrables, rongé par le temps.
Alice s'approcha de la table. Sous elle, gravé dans la pierre, un cercle complexe la fit frissonner.
- Regardez ça...
Lucien s'agenouilla. Des symboles, mêlés de lettres anciennes et de dessins ésotériques, recouvraient le sol. Il n'en reconnut aucun.
Un bruit discret les coupa net. Un frottement... Puis un grincement. Comme un tissu traîné sur la pierre.
Alice tourna vivement la lampe. Une forme se mouvait, là-bas, dans l'ombre.
Tout bruit s'éteignit soudain. Plus de gouttes, plus de souffle. Même l'air semblait suspendu.
Alice sentit sa peau se hérisser.
- Vous entendez ?
- Justement, non, répondit Lucien.
Le faisceau de la lampe vacilla deux fois, puis se stabilisa.
C'est alors qu'ils la virent.
Un être humanoïde, maigre à faire peur, se tenait debout, figé. Sa peau grise, parcheminée, semblait collée aux os. Il portait des haillons en lambeaux. Ses yeux, noirs, sans pupilles, les fixaient.
Lucien recula d'un pas.
- Merde...
Alice braqua le faisceau sur son visage. Les yeux brillèrent d'un éclat surnaturel, mais la créature ne bougea pas. Elle semblait attendre.Ou dormir.
- On doit sortir. Maintenant, dit Alice d'une voix basse, mais sans appel.
Lucien hocha la tête. Ils reculèrent pas à pas, sans quitter la créature des yeux, puis se retournèrent... et se figèrent.
La galerie n'était plus là.
Un mur de matière visqueuse et pâle, comme un organe vivant, obstruait le passage. Une masse palpitante, suintante, les séparait de la sortie.
- Ce n'est pas possible... Balbutia Lucien, les yeux agrandis.
Il posa la main contre la chose. Elle était molle, chaude. Et elle pulsait lentement, comme un cœur vivant.
Derrière eux, un bruit mou se fit entendre. Lent, glissant, organique. Des créatures rampaient.
Alice se retourna.
La créature n'était plus seule.
D'autres silhouettes s'étaient éveillées dans l'ombre, leurs yeux noirs allumés comme des feux sans chaleur.
Très vite, Alice dirigea le faisceau de sa lampe dans toutes les directions. Trouver une issue, pouvoir s'échapper. Cette litanie vibrait dans sa tête, l'obsédait.
En face d'eux, les créatures semblaient glisser, par à-coups. Elles se dirigeaient vers eux, attirées par la clarté de la lampe. Des insectes. Leurs corps maigres, tendus, évoquaient des branches mortes animées par un souffle intérieur. Leurs yeux noirs, sans éclat, se tournaient vers eux dans un même mouvement, parfait, inhumain. Elles se rapprochaient, toujours en glissant.
Derrière eux, le mur organique continuait de battre, gonflant et se contractant comme une membrane respirant à leur place. Un souffle chaud, humide, sortait de ses anfractuosités. L'air lui-même avait une odeur de chair.
Lucien avait sorti son arme, avec la conscience aiguë que ces créatures étaient bien trop nombreuses.
- Là ! Hurla Alice. Regardez, un passage !
La vaillante petite lampe éclairait un renfoncement qui leur avait échappé jusqu'à présent.
- Allons-y !
Ils se précipitèrent, s'engouffrèrent dans la faille étroite. Dans leur précipitation, Alice fit tomber la lampe. Elle vacilla, puis s'éteignit.
Ce fut le noir. Total. Épais. Presque solide.
Dans ce silence dévorant, un son se fit entendre : un battement régulier, profond, comme celui d'un cœur colossal, enterré sous des tonnes de pierre.
La panique, intense, dévorante, déferla à l'intérieur du cerveau d'Alice. Ses mains battirent l'air à la recherche de Lucien, comme celles d'une noyée en perdition au milieu d'un océan de ténèbres.
- Je suis là ! Rugit Lucien.
Leurs mains se trouvèrent, et leurs corps se joignirent dans une étreinte éperdue. Ils avaient réussi à échapper aux créatures glissantes pour le moment. Mais leur situation était critique : dans le noir, sans repères, tout pouvait arriver.
- Nous allons suivre la paroi, souffla Lucien en lui tenant la main. Je passe devant.
Il posa sa main sur la roche, mais la retira aussitôt. C'était tiède. Et sous la surface, la matière pulsait. Il étouffa un cri.
- Qu'y a-t-il ? S'inquiéta Alice.
- C'est étrange... il semblerait que la paroi respire, qu'elle soit vivante.
- Mais que dites-vous ? C'est impossible !
Elle posa doucement sa main sur le mur de la galerie. En effet, il frémissait, comme s'il reconnaissait sa présence. Et toujours ce battement, régulier, comme un métronome, qui résonnait autour d'eux.
Une lumière rougeâtre s'alluma brusquement dans le fond du tunnel. Ce n'était pas un feu, plutôt une luminescence interne qui semblait émaner du sol même. La matière autour d'eux s'ouvrait par endroits, révélant des veines translucides où circulait un fluide sombre.
- Mon Dieu... Mais qu'est-ce que c'est que ça ?
Ils avancèrent, attirés malgré eux, fascinés par cette respiration continue qui montait du sol.
Chaque pas faisait vibrer le sol d'une onde molle.
L'impression d'évoluer dans un organisme vivant s'imposait à eux, irrésistible : les parois palpitaient, les fissures luisaient d'un éclat humide, et dans le lointain, un souffle montait.
Alice, sentit sa gorge se serrer :
- Ce n'est plus une galerie, c'est... Quelque chose d'autre.
Lucien hocha la tête, incapable de parler.
Son instinct d'enquêteur, son sens de la logique, tout cela se dissolvait dans cette moiteur étrangère.
Ils s'arrêtèrent au bord d'un gouffre circulaire.
Le sol s'ouvrait comme une plaie, laissant apparaître un vide rougeoyant.
Du fond montait une vapeur lourde, chargée d'une odeur métallique.
Au centre, une masse battante, semblable à un cœur de pierre, pulsait lentement.
Chaque battement faisait vibrer l'air, envoyant dans leurs os une onde sourde.
Alice voulut reculer, mais ses jambes refusèrent d'obéir.
Une volonté étrangère l'appelait dans ce rythme, une musique enfouie qui résonnait au plus profond d'elle.
Elle crut reconnaître des voix dans le souffle du gouffre : des murmures, des syllabes anciennes.
Son prénom, encore, déformé, grinçant.
Aliiiiice...Aliiiiiice...
Lucien la tira en arrière, brusquement.
- Ne l'écoutez pas ! Cria-t-il.
Elle chancela. Le battement cessa.
Lucien la tenait par les épaules.
- Reprenez-vous !
Alice secoua la tête, comme pour chasser un mauvais rêve.
- Ça va aller, souffla-t-elle. Nous devons nous éloigner d'ici. Ces voix... Me contrôlent.
- Suivez-moi, il y a une galerie juste à droite. Elle doit bien mener quelque part. Il faut absolument que nous sortions de là.
La lumière rouge émanant du sol et des murs leur permettait de savoir où ils mettaient les pieds.
Ils s'engagèrent prudemment dans le passage étroit, leurs mains collées à la paroi vivante, chaque vibration les avertissant du moindre mouvement de l'organisme qui les entourait.
Au bout de quelques minutes, ils débouchèrent dans une vaste salle, où l'air semblait moins oppressant.
Mais au centre, une nouvelle forme se dessinait : un amas de matière sombre, mi-solide, mi-fluide, qui se mouvait lentement, comme si elle les attendait...
Leur regard se fixa sur l'amas sombre. Il pulsait faiblement, comme une masse organique endormie, mais chaque pulsation semblait résonner avec le battement lointain du cœur de pierre.
Alice agrippa le bras de Lucien.
- Lucien... Est-ce que... est-ce que ça bouge ?
- Oui... Répondit-il à voix basse, la main crispée sur son arme. Restez derrière moi.
Ils avancèrent prudemment. Chaque pas semblait faire onduler la matière autour d'eux, comme si la salle entière respirait en synchronie avec l'amas. Le souffle métallique et humide emplissait leurs poumons, les faisant tousser, les étouffant presque.
Soudain, un filet de lumière rouge se concentra sur eux depuis le plafond organique. Leurs ombres s'allongèrent sur la surface mouvante et, sous cette lumière, la masse sombre se mit à se redresser. Lentement, des formes indistinctes apparurent : des tentacules fins et souples, des sortes d'yeux brillants dans la pénombre, et un mouvement qui ressemblait à une bouche béante, muette mais terrifiante.
Alice recula, trébuchant sur une protubérance du sol, mais Lucien la retint.
- Ne vous laissez pas paralyser ! Souffla-t-il. On doit trouver une sortie.
- Mais... elle... Elle nous regarde ! Chuchota Alice, la voix tremblante.
Le silence se fit, seulement troublé par le battement du cœur de pierre et le léger clapotis du fluide qui s'écoulait dans les veines translucides du sol. Puis un son faible, mais distinct se fit entendre : un murmure guttural, presque humain, mais déformé, qui semblait provenir de l'amas.
- Lucien...je... je crois qu'elle... Communique avec nous, balbutia Alice.
- Ne l'écoutez pas ! Cria-t-il, en la tirant à lui. Nous devons avancer, maintenant !
Ils se glissèrent le long de la paroi vivante, essayant de garder le contact avec le sol, de sentir chaque vibration avant que quelque chose ne les surprenne. Mais à chaque pas, le murmure semblait les suivre, se faire plus précis, plus insistant. Alice avait l'impression que chaque mot était un ordre qu'elle ne pouvait pas refuser.
Une main glacée effleura son épaule. Elle cria et se retourna, mais il n'y avait rien.
- Restez calme ! Ordonna Lucien. Continuez à marcher.
Ils atteignirent enfin une ouverture étroite, à peine plus large qu'eux, qui descendait en pente douce. La lumière rouge s'atténuait, remplacée par un gris sombre. L'air devenait plus respirable, moins chargé de cette odeur métallique.
Mais alors qu'ils pensaient enfin trouver un répit, un grondement sourd retentit derrière eux. La masse sombre avait pris conscience de leur fuite. Des tentacules surgirent de l'ombre, frappant le sol, les murs, faisant vibrer la roche autour d'eux.
- Courez ! Hurla Lucien.
Ils se précipitèrent dans le tunnel, glissant sur le sol humide. Le battement du cœur colossal s'intensifiait, martelant leurs tempes. Le tunnel semblait s'allonger à l'infini, et chaque pas devenait plus lourd, comme si l'organisme tout entier voulait les retenir.
Puis, au détour d'une courbe, une lumière blanche éclatante surgit : la sortie. L'air frais et sec les frappa comme un fouet. Lucien attrapa la main d'Alice et, ensemble, ils bondirent hors du passage, loin de la galerie vivante. Ils tombèrent lourdement sur l'herbe, le corps secoué de tremblements. Leurs vêtements trempés de sueur et d'une substance visqueuse.
Alice roula sur le côté et vomit. Encore et encore. Une bile acide qui sentait le métal et la peur.
Lucien resta figé, le regard perdu dans le vide. Il tremblait, mais sans un mot, sans une larme. Comme si ses yeux reflétaient encore des images que seul lui pouvait voir.
Derrière eux, dans l'obscurité du souterrain, le battement continuait.
Sourd.
Régulier.
Inexorable.
Comme le cœur d'un monde qui ne leur pardonnerait jamais.

Annotations
Versions