Prologue
L'homme poussa un hurlement d'une intensité inhumaine, une explosion sonore semblant provenir des tréfonds d'une autre dimension. Le cri résonna dans l'obscurité humide de la cave, une vague prête à tout submerger, avant de se couper net dans un hoquet. Sa tête bascula en avant, tombant inerte, contre sa poitrine.
Il était là, attaché à une chaise, les bras solidement ligotés derrière lui. Les liens lui mordaient la chair, creusant des lacérations dans ses poignets. Le sol de pierre suintait d'humidité.L'obscurité s'infiltrait sous sa peau, s'insinuait dans les pores de son esprit déjà morcelé.
L'espoir avait déserté ce lieu depuis bien longtemps. Ici, le salut n'existait pas. Dieu avait tourné le dos à cet endroit maudit. Et dans le silence froid et poisseux de la cave, le diable régnait en maître absolu.
Un nouveau coup plongea dans son abdomen. La tige métallique, froide,épaisse et acérée, s'enfonça dans sa chair comme un serpent venimeux. Il sentit ses muscles se tordre, ses organes céder sous l'effet de la pression. Son corps se cambra, luttant désespérément contre l'inéluctable. Un éclair de chaleur intense irradia tout son être .
Et tout à coup, le néant. Ses yeux se fermèrent. La réalité de son supplice disparu, l'espace d'un instant.
Une onde glaciale lui explosa à la tête. L'eau déversa son flot avec une violence nouvelle. Chaque goutte, froide comme l'acier, traversa son crâne jusqu'à son âme. Il se réveilla, haletant, étouffé par la brutalité du retour. La trêve avait pris fin. La souffrance reprit sa domination, encore plus féroce.
Son esprit essayait de se raccrocher au réel, à n'importe quel repère,mais il était incapable de formuler la moindre pensée cohérente.Tout se dissolvait sous l'emprise de la douleur. Il ne savait plus qui il était, ni où il était. Il ne restait plus rien de lui,sinon cette enveloppe de chair dévastée.
Et pourtant, dans cet abîme de souffrance, une étincelle subsistait.Infime, presque imperceptible, mais là. À l'intérieur de lui, dans un coin reculé de son esprit, une minuscule lueur persistait. Une flamme vacillante, frêle, mais présente.
Avec tout ce qui lui restait de force, il tendit son esprit vers cette lueur. Pour la première fois à partir de ce qui lui semblait, une éternité, la flamme en lui résistait. Elle prit un peu de vigueur,se redressa, brilla un peu plus fort. Mais dans un dernier murmure,elle s'éteignit.
Le silence retomba dans la cave, lourd, oppressant. Plus aucune lumière,plus aucun espoir. Et dans cette obscurité, l'homme renonça pour de bon.
Des bruits de pas résonnèrent. Lents, mesurés, sinistres. Des semelles frappant le sol avec un poids calculé. Deux ombres émergèrent de la pénombre, s'approchant avec une tranquillité glaciale. Ils étaient là, dés le début. Ils avaient observé chaque spasme deson corps, chaque cri écorché, savourant le vin rare de son agonie.
L'un des hommes s'arrêta juste devant lui. Grand et mince, vêtu d'un manteau noir qui semblait absorber la lumière, il incarnait le contrôle absolu. Son visage était dissimulé par les ombres, mais ses yeux brillaient d'un éclat malveillant, presque surnaturel, deux braises dans une cheminée éteinte depuis longtemps.
L'autre homme, plus petit, trapu, portait un tablier de cuir couvert de taches sombres. Ses mains épaisses et calleuses se crispaient autour de la tige métallique plantée dans le ventre de leur victime.C'était lui l'exécuteur, l'artisan de la souffrance. Un sourire torve étira ses lèvres, un sourire vide de toute humanité.
Le grand homme s'accroupit, ses yeux brillants de cet éclat carnassier.
-Tu as encore tenu. Contre toute attente. Un véritable survivant.
Le bourreau hocha la tête en silence, admirant son œuvre. Il s'approcha du corps affalé sur la chaise, son sourire s'élargissant alors qu'il tirait sur la tige enfoncée dans l'abdomen de l'homme.
-Coriace, oui. Mais tout le monde a ses limites.
Il laissa la phrase en suspens, tournant peu à peu la tige dans la plaie béante.
-Et lui... il n'en est pas loin.
Le grand homme se pencha plus près, jusqu'à ce que son souffle chaude ffleure la peau de son prisonnier.
-Qu'est-ce qui te fait encore tenir ? Pourquoi lutter ? Il n'y a rien pour toi ici. Rien que de la douleur. Le néant.
La lame aiguisée de sa voix transperçait le silence.
-Tu devrais l'accepter.
Le grand homme se redressa d'un mouvement fluide, se tourna vers son acolyte.
-Va chercher ce que j'ai préparé. Nous allons voir combien de temps,il tiendra encore.
Le bourreau s'éloigna, ses bottes frappant le sol avec un bruit sourd.Le grand homme s'approcha davantage de leur victime.
-Tu penses que la douleur a des limites ? Sa voix n'était qu'unmurmure, ses lèvres presque collées à son oreille. Elle n'en apas. Elle est infinie.
Sesdoigts effleurèrent la joue ensanglantée de l'homme, un gestepresque tendre.
-Et moi, je suis là pour m'assurer que tu comprennes bien cela.
Le bourreau revint avec un plateau d'outils. Chaque instrument,d'apparence rudimentaire, semblait fait pour infliger une souffrance précise, conçue pour durer. Le grand homme se tourna vers le plateau, un sourire satisfait éclairant brièvement son visage.
-Commençons.
Il prit un couteau mince, à la lame fine et effilée. Avec une précision chirurgicale, il traça une ligne le long de l'avant-bras de leur victime, pas assez profonde pour être mortelle, mais juste assez pour réveiller chaque nerf.
L'homme attaché gémit. Ses muscles se contractaient sans le vouloir, son souffle devenait saccadé, mais son esprit, bien que fragmenté,restait conscient. Le bourreau observait avec un intérêt presque scientifique.
-Fascinant, n'est-ce pas ? Comment le corps continue à lutter, même quand l'esprit a presque abandonné.
Le grand homme fit tourner la lame entre ses doigts.
-Mais ce n'est qu'une question de temps. Bientôt, il lâchera. Ils lâchent toujours.
Un silence terrifiant s'installa, sans prévenir, l'homme sur la chaise ouvrit la bouche, pour parler. Ses lèvres tremblaient, ses mots se brisant avant même de prendre forme. Le grand homme se pencha,curieux.
Mais aucun mot ne vint. Juste un long râle. La flamme qui avait résisté, vacillante, s'éteignit enfin.
Le grand homme se redressa, satisfait. Il jeta un dernier regard à la silhouette brisée.
-Le Cœur sera content. Cette culpabilité est... exquise.
Il désigna son acolyte d'un geste de la main.
-Prépare-le pour la récolte.
Le bourreau acquiesça, sortit un bocal de verre du plateau. Le grand homme s'éloigna vers l'escalier,s'arrêta. Se retourna.
-En définitive, susurra-t-il dans l'obscurité, tout le monde cède.
Ses pas résonnèrent dans l'escalier.Ce fut le silence. Un silence absolu.
Dans la cave, le Cœur pulsait à peine. Invisible. Patient. Affamé.

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