chapitre 23

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Quand ils émergèrent enfin à l'air libre, l'aube pointait. Le ciel se teintait de rose et d'or, comme si la nuit elle-même se purifiait. Les oiseaux chantaient, pas leur chant habituel, mais plus intense, plus joyeux. Comme s'ils célébraient une victoire invisible. Un monde nouveau qui renaissait après la nuit la plus longue.

Alice s'effondra plus qu'elle ne s'assit sur les marches du perron. Ses jambes ne la portaient plus. Chaque muscle de son corps hurlait. Mais elle était vivante. Et Henri ne l'était plus.

Cette pensée la frappa de plein fouet. Elle porta les mains à son visage et pleura. Pas des sanglots déchirants, mais des larmes silencieuses qui coulaient entre ses doigts. Des larmes de chagrin, de soulagement, de reconnaissance.

Lucien vint s'asseoir à côté d'elle. Il posa maladroitement une main sur son épaule. Il avait le visage gris de fatigue, creusé par ce qu'il venait de voir, mais ses yeux brillaient d'une lueur nouvelle.

- Il l'a fait, dit-il doucement. Henri l'a vraiment fait.

Alice hocha la tête, incapable de parler.

- Il s'est racheté, continua Lucien. Après quarante-cinq ans... Il a trouvé le courage. Il a payé sa dette.

- Oui, souffla Alice en essuyant ses larmes. Il s'est racheté. Et il nous a sauvés.

Ils restèrent assis en silence, regardant le soleil se lever sur le village endormi. La lumière rasante caressait les toits, transformant les ardoises en or liquide. Quelque part, un coq chanta. Une charrette grinça sur le chemin. Le monde reprenait ses droits, paisible et indifférent.

Derrière eux, Moreau s'affairait autour des possédés inconscients. Il vérifiait leurs pouls, leurs pupilles, murmurant des instructions à lui-même. Antoine respirait régulièrement. Marthe gémissait doucement, comme quelqu'un qui se réveille d'un long cauchemar. Ils survivraient tous. Marqués, épuisés, mais vivants.

- Ils vont avoir besoin d'aide, dit Moreau en les rejoignant. Beaucoup d'aide. Ce qu'ils ont vécu... Ce qu'ils ont fait sous l'emprise du Cœur... ça ne disparaîtra pas facilement. Ils vont tous s'en sortir, annonça-t-il. Ils auront besoin de temps, de soins, peut-être de thérapie. Mais physiquement, ils sont intacts. Leurs cœurs battent normalement. Leurs pupilles réagissent. C'est presque... Miraculeux.

- Et mentalement ? Demanda Alice, redoutant la réponse.

Moreau hésita. Il retira ses lunettes, les nettoya machinalement, les remit.

- Ils se souviendront. De tout ce qu'ils ont fait sous l'emprise du Cœur. Antoine se souviendra d'avoir traqué des innocents. Marthe se souviendra d'avoir tenté d'étrangler une jeune femme. Ce ne sera pas facile pour eux. Certains ne s'en remettront peut-être jamais.

Alice hocha la tête. Elle le savait. Le pardon qu'ils avaient offert aux Gardiens, ces villageois devraient maintenant se l'offrir à eux-mêmes. Un long chemin les attendait. Un chemin qu'elle connaissait bien.

- On sera là, répondit Alice. Pour les aider. Pour leur rappeler que ce n'était pas leur faute.

Ambroise sortit à son tour du manoir. Le vieil homme s'appuyait lourdement contre le chambranle de la porte. Il semblait avoir vieilli de cent ans en une seule nuit. Ses épaules étaient voûtées, ses mains tremblaient, ses cheveux blancs collés par la sueur. Mais dans ses yeux brillait une lumière nouvelle. Une paix que personne ne lui avait vue depuis quarante-cinq ans.

Il traversa lentement le perron et vint s'asseoir lourdement à côté d'Alice. Posa sa casquette sur ses genoux d'un geste presque rituel. Ses doigts caressaient le tissu usé, comme s'il cherchait un ancrage dans quelque chose de familier.

- Quarante-cinq ans, dit-il d'une voix rauque, brisée. Quarante-cinq ans que je portais ce poids. Que je voyais leurs visages chaque nuit. Que j'entendais leurs cris. Et maintenant...

Il laissa la phrase en suspens, comme s'il n'osait pas formuler ce qu'il ressentait. Alice lui prit la main. Elle était froide, calleuse, tremblante. Elle la serra doucement. Ils n'avaient pas besoin de mots. Ils avaient partagé les ténèbres. Ils partageaient maintenant la lumière.

- Henri vous a libéré, chuchota-t-elle. En se libérant lui-même.

Ambroise hocha la tête. Une larme roula sur sa joue creusée, traçant un sillon dans la poussière et la sueur.

- Je ne pensais pas que c'était possible. Je pensais... Je pensais qu'on porterait ça jusqu'à la tombe. Que c'était notre punition. Mais Henri... il a trouvé le moyen. Il nous a montré le chemin.

Le village commençait à s'éveiller en contrebas. Des fumées s'élevaient des cheminées, fines colonnes blanches montant vers le ciel rose. Des volets s'ouvraient en claquant. Une femme sortit pour nourrir ses poules, son tablier flottant dans la brise matinale. Un homme poussa son vélo sur le chemin, sifflotant. La vie reprenait son cours, ignorante du drame qui venait de se jouer dans les profondeurs de la terre.

- Qu'est-ce qu'on va leur dire ? Demanda Lucien en désignant le village d'un mouvement de menton.

Alice réfléchit un instant, regardant les toits familiers, les rues paisibles.

- La vérité, répondit-elle. Une partie, du moins. Celle qu'ils peuvent entendre. Que le mal qui rongeait cet endroit a été vaincu. Que les disparus peuvent enfin reposer en paix. Que Henri Dufresne de la Vallière s'est sacrifié pour sauver le village.

- Et le reste ? Insista Lucien.

- Le reste, on l'écrira. Pour ceux qui viendront après. Pour que l'histoire des douze Gardiens ne soit jamais oubliée. Pour que le sacrifice d'Henri ait un sens.

Le soleil montait dans le ciel, chassant les dernières ombres de la nuit. Dans la lumière dorée du matin, le manoir semblait moins oppressant. Ses pierres grises prenaient des teintes chaudes, presque accueillantes. Les roses grimpantes qui couraient le long des murs semblaient s'être ouvertes pendant la nuit, offrant leurs pétales à la lumière nouvelle. Presque paisible.

Ambroise se leva péniblement, s'appuyant sur Alice pour garder l'équilibre. Ses côtes bandées le faisaient grimacer à chaque mouvement.

- Je vais... Dit-il avant de s'interrompre.

Il regarda vers le village, puis baissa les yeux. Sa maisonnette avait brûlé. Tout ce qu'il possédait était parti en fumée.

- Vous pouvez rester ici, proposa immédiatement Lucien. Le manoir a plus de chambres qu'il n'en faut. Henri aurait voulu que vous soyez en sécurité.

Ambroise hésita, puis hocha lentement la tête.

- Juste quelques jours. Le temps de... De trouver où aller. Et de me remettre de ces côtes cassées.

- Prenez tout le temps qu'il vous faut, dit Alice doucement. Vous avez besoin de repos. Pour la première fois depuis... je ne sais même plus.

Le vieil homme sourit. Un vrai sourire, franc et lumineux, pas comme ceux qu'il affichait habituellement pour masquer sa douleur. Un sourire qu'il avait probablement porté autrefois, avant la guerre, avant le Cœur, avant quarante-cinq ans de culpabilité.

- Peut-être que je ne ferai pas de cauchemars cette nuit,dit-il dans un souffle.

- Vous reviendrez pour l'enterrement ? Demanda Alice.

- J'y serai, promit-il. Henri mérite des funérailles dignes de ce nom. Des funérailles de héros.

Il remit sa casquette, ajusta les pans de sa veste poussiéreuse, et rentra dans le manoir d'un pas lent mais assuré.

Alice le regarda partir, une boule dans la gorge. Cet homme qui avait porté le poids du monde sur ses épaules pendant presque un demi-siècle marchait maintenant la tête haute.

Quand il eut disparu à l'intérieur, Alice se tourna vers Lucien.

- Pourquoi rester ? Demanda Alice, anticipant ce qu'il allait dire.

Lucien se leva lentement, s'approcha du bord du perron. Il regarda vers l'entrée scellée des souterrains, là où le Cœur battait encore, affaibli, mais vivant. Il y eut un moment de silence, puis il parla, sa voix calme mais déterminée.

- Pendant quinze ans, j'ai porté Louis comme un fardeau, dit-il sans la regarder. Je me suis convaincu que je devais mériter ma survie. Que chaque arrestation, chaque enquête résolue, chaque coupable derrière les barreaux me rapprochait du pardon.

Il se tourna vers elle, et dans ses yeux, Alice vit une clarté nouvelle.

- Mais Henri m'a montré autre chose. On ne mérite pas le pardon. On le choisit. Et une fois qu'on l'a choisi... on doit honorer ceux qu'on a perdus en vivant pleinement. En veillant. En s'assurant que leur sacrifice, même involontaire, ait un sens.

Alice hocha lentement la tête.

- Louis aurait été fier de vous.

- J'espère. Parce que tout ce que je fais maintenant, c'est pour lui. Pour que sa mort ne soit pas qu'une statistique de guerre. Pour qu'elle devienne... le début de quelque chose de beau.

Il regarda l'entrée scellée des souterrains.

- Je reste ici. Je veille. Je m'assure que plus jamais le Cœur ne dévore d'autres Louis, d'autres innocents. C'est ma façon de transformer ma culpabilité en vigilance.

- Vous n'êtes pas obligé de le faire seul, dit Alice.

- Je sais. Mais c'est mon choix. Louis m'a donné quinze ans de vie en surplus. Je les utilise pour faire le bien.

Il sourit, un sourire paisible.

- C'est ma façon de dire merci.

Moreau s'approcha, posa une main sur l'épaule de Lucien.

- Je passerai régulièrement, promit-il. Pour les examens médicaux des anciens possédés. Et pour vérifier que tout va bien ici. Que le lieutenant ne sombre pas dans la solitude.

Alice sentit une tension se relâcher. Ils ne l'abandonnaient pas. La veille continuerait. Pas dans la peur ou la culpabilité, mais dans la conscience tranquille du devoir accompli. Dans l'espoir que le sacrifice d'Henri ne serait pas vain.

Plus tard dans la matinée, ils descendirent au village. La nouvelle s'était répandue comme une traînée de poudre. Les familles des possédés se pressaient autour du cabinet du docteur Moreau où les malades avaient été transportés sur des civières de fortune. Des pleurs, des embrassades, des questions anxieuses. Des femmes qui s'accrochaient à leurs maris revenus d'entre les morts. Des enfants qui ne reconnaissaient pas leurs parents.

Alice circulait parmi eux, notant leurs témoignages dans son carnet.

Antoine, réveillé et confus, racontait des bribes de souvenirs fragmentés. Il pleurait en parlant, se griffait les bras comme pour arracher quelque chose sous sa peau.

- Je les voyais... Tous ceux que je traquais. Mais je ne pouvais pas m'arrêter. C'était comme... comme si quelqu'un d'autre actionnait mes membres. J'étais prisonnier dans mon propre corps.

Marthe pleurait dans les bras de sa nièce, répétant sans cesse : "Pardonne-moi, pardonne-moi." Sa nièce la berçait doucement, lui disant que ce n'était pas sa faute, que tatie était revenue maintenant.

Grégoire fixait ses mains comme s'il ne les reconnaissait pas, tremblant de tout son corps.

Tous parlaient d'un cauchemar dont ils émergeaient enfin. D'une nuit sans fin. D'une voix qui leur ordonnait d'obéir.

Le maire, complètement dépassé par les événements, convoqua une réunion d'urgence à la mairie. Toute la population s'y pressa, remplissant la salle des fêtes jusqu'à ce que les gens débordent sur le trottoir.

Alice y assista, debout près de la fenêtre, choisissant soigneusement ses mots quand le maire lui donna la parole. Elle parla d'une contamination psychique. D'un phénomène géologique rare dans les souterrains du manoir, des émanations de gaz qui pouvaient provoquer des hallucinations collectives, des comportements altérés. D'Henri Dufresne de la Vallière qui, avec l'aide du lieutenant Beaumont et du docteur Moreau, avait découvert la source et s'était sacrifié pour la neutraliser définitivement.

Ce n'était pas un mensonge. Pas vraiment. Juste une vérité simplifiée, traduite dans un langage que les gens pouvaient accepter. Celle que les gens pouvaient entendre sans devenir fous. Sans perdre la foi en l'ordre naturel du monde.

- Et les disparus ? Demanda une voix dans la foule. Les corps retrouvés ? Marie, Jacques, tous les autres ?

Alice prit une profonde inspiration.

- Ils étaient les premières victimes du phénomène. Le... la contamination cherchait à se nourrir. Comme un organisme. Henri a compris cela. Et il a mis fin à tout cela, au prix de sa vie. Grâce à lui, il n'y aura plus de victimes. Plus jamais.

Un silence respectueux, presque religieux, accueillit ces paroles. Des femmes se signèrent. Des hommes ôtèrent leurs casquettes.

Puis le maire se leva, la voix tremblante d'émotion.

- Nous devons honorer Henri Dufresne de la Vallière. Cet homme... Cet homme a sauvé notre village. Il a donné sa vie pour nous protéger. Il mérite notre reconnaissance éternelle.

Des applaudissements éclatèrent. Timides d'abord, puis de plus en plus forts, jusqu'à devenir assourdissants. Des gens criaient : "Vive Henri !" Des enfants agitaient des mouchoirs. Une vieille femme pleurait ouvertement.

Alice sentit les larmes monter. Henri n'entendrait jamais ces acclamations. Il ne verrait jamais ces visages reconnaissants. Mais peut-être, quelque part, il savait. Peut-être qu'une partie de lui, dissoute dans la lumière, transformée en lumière, sentait cette reconnaissance tardive.

Elle l'espérait de tout son cœur.

Les funérailles eurent lieu trois jours plus tard, sous un ciel d'un bleu profond, presque irréel. Tout le village était présent. Plus de trois cents personnes massées dans le petit cimetière qui dominait la vallée. Même ceux qui, quelques semaines auparavant, chuchotaient sur la malédiction des Dufresne de la Vallière. Maintenant, ils se tenaient tête basse, recueillis, reconnaissants.

Le cercueil était en chêne massif, simple mais élégant. Sur le couvercle, quelqu'un avait posé la médaille militaire d'Henri, celle qu'il avait reçue en 1915 pour "bravoure exceptionnelle face à l'ennemi". L'ironie n'échappa pas à Alice. Henri avait été décoré pour le pacte qui l'avait damné. Et maintenant, il était enterré en héros pour s'être libéré de ce même pacte.

La vie était cruelle. Mais aussi, parfois, juste.

Ambroise prononça l'éloge funèbre. Il se tenait près du cercueil, vêtu d'un costume sombre qu'il n'avait probablement pas porté depuis des décennies. Sa casquette était soigneusement pliée dans sa poche. Ses cheveux blancs brillaient dans le soleil. Sa voix tremblait, mais il tint bon.

- Henri était mon ami, commença-t-il, la gorge serrée. Mon frère d'armes. Nous avions vécu ensemble l'enfer de la guerre. Dans la boue, sous les obus, au milieu des corps. Nous avions survécu ensemble à des choses que personne ne devrait jamais voir.

Il marqua une pause, essuyant ses yeux d'un revers de manche.

- Et puis... nous nous sommes perdus. Pendant quarante-cinq ans, nous avons porté le même fardeau, mais séparément. Dans le silence. Dans la honte. Nous nous croisions au village, nous nous saluions poliment, mais nous ne parlions jamais de cette nuit. De ce choix terrible que nous avions fait. De ces douze hommes que nous avions condamnés.

Un murmure parcourut la foule. Les gens échangeaient des regards confus, mais Ambroise continua, imperturbable.

- Mais à la fin, Henri a trouvé le courage que je n'avais pas. Le courage de regarder son erreur en face. De l'accepter. De la porter. Et de s'en racheter. Il s'est donné pour réparer ce que nous avions brisé. Pour libérer ceux que nous avions emprisonnés. Et en faisant cela...

Sa voix se brisa. Il prit une profonde inspiration, les larmes coulant librement sur ses joues.

- En faisant cela, il m'a libéré aussi. Il nous a tous libérés. Henri Dufresne de la Vallière était un héros. Pas parce qu'il était parfait. Pas parce qu'il n'avait jamais fait d'erreur. Mais parce qu'il a eu le courage de réparer la sienne. Au prix de sa vie.

Il déposa une rose blanche sur le cercueil vide. Car il n'y avait pas de corps. Juste un symbole. Une pierre tombale pour un homme qui avait choisi de devenir lumière.

Alice s'approcha à son tour. Elle posa une main sur le bois lisse du cercueil, sentant sous ses doigts le grain du chêne poli.

- Henri, dit-elle doucement, assez fort pour que les premiers rangs l'entendent, j'espère que vous avez trouvé la paix. Celle que vous cherchiez depuis si longtemps. Merci de nous avoir montré le chemin. Merci de nous avoir appris que le pardon est possible. Même pour les plus grandes erreurs. Même pour les fautes qui nous hantent pendant des décennies.

Elle recula, laissant les autres villageois défiler. Un par un, ils déposaient des fleurs. Des roses blanches surtout, mais aussi des pivoines, des iris, des marguerites des champs. Le cercueil disparut peu à peu sous un tapis de pétales multicolores.

Lucien resta en retrait, en uniforme, saluant militairement. Le docteur Moreau se signa, bien qu'il ne soit pas croyant. Même Grégoire, Antoine et Marthe vinrent déposer leurs hommages, les yeux rougis, les visages marqués par ce qu'ils avaient vécu.

Quand la dernière personne fut passée, quand le cercueil fut descendu en terre dans un silence absolu troublé seulement par les sanglots étouffés, Alice resta seule près de la tombe. Elle regarda la terre retomber sur le bois. Chaque pelletée résonnait comme un adieu.

- Reposez en paix, Henri, murmura-t-elle. Vous l'avez mérité.

Ce soir-là, de retour chez elle dans son petit appartement qui sentait le café froid et le papier, Alice ouvrit son carnet. Sortit sa plume de son étui. Prépara son encrier. Alluma sa lampe de bureau.

Et elle commença à écrire.

"Chapitre premier : il y a dans les profondeurs de la terre des secrets que l'humanité ferait mieux d'ignorer. Mais ignorer n'est pas oublier. Et certains secrets, lorsqu'ils sont révélés, peuvent sauver autant de vies qu'ils en ont détruites."

Les mots coulaient, libérés. Fluides et naturels, comme si l'histoire se racontait d'elle-même à travers sa main.

L'histoire prenait forme sur les pages blanches. Celle des douze Gardiens sacrifiés. Celle d'Henri et de sa longue marche vers la rédemption. Celle d'Ambroise qui avait survécu à sa culpabilité. Celle de Lucien qui avait transformé son fardeau en vigilance. Celle du Cœur et de sa seule faiblesse : le pardon.

Elle écrivit toute la nuit. Sa plume crissait sur le papier, page après page. Le café refroidissait dans sa tasse. Les heures s'écoulaient, marquées par le tic-tac régulier de l'horloge murale.

Et quand le soleil se leva à nouveau, illuminant les pages noircies de son écriture serrée, elle sut que ce livre serait son œuvre la plus importante.

Pas parce qu'il serait lu par des millions de gens. Pas parce qu'il lui apporterait gloire et fortune.

Mais parce qu'il dirait la vérité.

Sur les ténèbres qui habitent le monde. Sur les choix impossibles que certains doivent faire. Sur les sacrifices nécessaires pour contenir le mal. Et surtout, sur la lumière que chaque être humain porte en lui.

Cette lumière qui même dans l'obscurité la plus profonde, même après quarante-cinq ans de culpabilité, même au bord du gouffre, ne s'éteint jamais complètement.

Tant qu'on choisit de la nourrir. Tant qu'on choisit de pardonner.

Alice posa sa plume. Regarda par la fenêtre.

Le village s'éveillait dans la lumière dorée du matin. Des fumées montaient des cheminées. Des voix d'enfants résonnaient dans les rues.

La vie continuait.

Elle sourit.

Henri serait fier.

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