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Lorsqu'il quitte le chevet de Myranda, Maïeul n'est pas tout à fait là, mais pas tout à fait ailleurs. Il est complètement perdu, il ne sait pas ce qu'il ressent. Tout se mélange. L'excitation du premier baiser. La terreur à l'état brut à la vision de Myranda crachant du sang. La joie de lui offrir un peu du monde extérieur si inaccessible pour elle. La fierté d'un cadeau qu'il croyait minable finalement réussi. Et tellement, tellement plus.
En rejoignant Archibald et les autres, il ne peut pas s'empêcher de s'effleurer les lèvres du bout des doigts, sans oser vraiment les toucher de peur d'y enlever la présence si douce et apaisante pour lui de Myranda.
— Vous vous êtes bien amusés là-haut avec Myranda, les garçons ?
En cet instant, Maïeul est reconnaissant d'avoir emmené Archibald avec lui dans cette galère, alors qu'il est le seul fautif de la fenêtre brisée de la chambre de Myranda : son petit frère répond avant même qu'il ne puisse ne serait-ce qu'ouvrir la bouche.
— Oui, Monsieur Perrier ! Ryman... Myrna... Myranda est très cool ! déclare Archibald avec enthousiasme. Ça donne une raison de venir faire les corvées ici alors que j'avais vraiment vraiment pas envie alors que Maïeul... reprend-il après un silence, avant d'être brusquement interrompu par la main de Maïeul qui se plaque contre ses lèvres pour l'empêcher d'en dire plus.
Maïeul est écarlate de gêne : hors de question que les Perrier découvrent que lorsqu'il a découvert que leur mamie avait fait une tarte pour que lui et Archibald aillent s'excuser, il avait accouru pour sonner à leur porte et qu'il s'était empressé d'accepter de venir tous les jours pour entretenir le jardin uniquement dans l'espoir de pouvoir monter à l'étage voir Myranda !
— C'est bon Bald, on a compris l'idée ! Tu parles toujours beaucoup trop : on doit finir d'aider assez pour ce matin et pas arriver à la bourre pour manger avec papi et mamie, tu sais qu'elle est réglée comme un coucou et qu'elle fait sa vieille chouette quand ça la prend !
À cette remarque, Monsieur Perrier éclate de rire et Madame Perrier, quant à elle, fronce les sourcils, l'air réprobateur. Maïeul rougit encore davantage à leurs réactions. Discrètement, il fait les gros yeux à Archibald, qui lui renvoie un regard d'excuse.
Le reste de la matinée se déroule dans le silence pour Maïeul. Autour de lui, le monde n'existe plus : il ne peut que penser à l'incroyable baiser. SON incroyable premier baiser.
Maïeul, depuis toujours, est populaire, sans se forcer, en restant simplement lui-même, et il est arrivé à plusieurs reprises que certaines et certains camarades de classe aient le béguin pour lui. Il a toujours été très gentil au moment de leur annoncer qu'il ne les considère que comme des amis, et même s'il est parfois arrivé que quelqu'un ou quelqu'une tente de lui ravir un baiser, il est toujours parvenu à l'éviter. Pour lui, le premier baiser est un acte sacré, qui devrait être rempli d'un amour pur, sincère et réciproque.
Et il le sent dans son âme, c'est exactement ce baiser sacré qu'il a eu avec Myranda, même s'il était tout à fait imprévu.
— Hey, y a que Maille qui Maïeul, ici la lune ! Ça fait huit mille ans qu'on te dit de venir ! Il est midi cinq, on aurait dû être partis à moins dix, mamie va criser ! s'exclame Archibald, le faisant sursauter et le ramenant par la même occasion au monde qui l'entoure.
Maïeul se mordille la lèvre inférieure, gêné d'avoir été surpris planté, tout immobile, comme un glandu, au milieu de la cour, à rêvasser à sa dulcinée prisonnière de sa tour.
Il lance un dernier regard reconnaissant en direction de la fenêtre condamnée : s'il ne l'avait pas brisée, il n'aurait jamais pénétré par effraction chez les Perrier et n'aurait jamais fait la rencontre de Myranda.
Puis il s'avance vers les Perrier et Archibald.
— Bon appétit. À quelle heure revient-on cet après-midi ?
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