Chapitre I
Le général Shall marchait d’un pas lourd dans un immense champ de blé. Son regard perçant s’évader à l’horizon. Puis, une forte brise balaya le champ sur toute sa surface. Le courant d'air fit onduler sa crinière anthracite. Il s’arrêta pour profiter de la douceur de ce vent descendant, ferma les yeux, ses pensées dirigeaient vers Ghana, sa femme. Il se retourna pour mettre fin à ses plus beaux souvenirs, le vent redoubla alors d’intensité et emporta avec lui une perle chargée d’une partie de son âme déchue. Lorsqu’il les rouvrit, un bleu roi domina le jaune de ses iris et il reprit sa marche d’un pas plus lourd, plus déterminé, plus obscur. Plus haut dans le ciel émeraude, s’annonçait un duel céleste contrasté entre la nuit noir marine et le ciel vert de jade. En cet horizon deux astres opalins vinrent troubler ce duel nuancé, l’un arrivant du Sud-Est et l’autre du Sud-Ouest.
Le Général Shall pénétra dans un bois, épuisé par de nombreuses heures de marche et il ne comptait pas y passer la nuit. Alors qu’il cheminait dans cette forêt clairsemée par les rayons lunaires. Il passa non loin d’une chaumière éclairée. À l’instant où il allait reprendre sa route, une odeur vint chatouiller ses narines et lui mit l’eau à la bouche. Il ouvrit sa sacoche en cuir et plongea sa grosse patte velue, mais il se rendit compte qu’il avait épuisé ses dernières réserves de gras et un gargouillis gronda de son estomac. Un ricanement se fit entendre à proximité :
— Tes réserves sont-elles sèches, mon ami ?
Shall chercha d’où venait cette voix, mais ne la repéra pas. Il lui sembla juste qu’elle venait du la cime des arbres.
— Je suis là, à ta droite ! déclara-t-elle.
— Mais que ? s’interrogea Shall.
Dès qu’il vit cette créature, il la fusilla du regard et s’emporta :
— Arrêtez ça tout de suite, sinon je vous serre entre mes griffes ! lança-t-il en mimant ses propos.
La créature se stoppa net méfiante, s’inclina tout en disant :
— Mon humour vous aurait-il vexé par hasard, Monsieur le mage ?
— Fermez- la, vieux lynx à la langue moqueuse ! répondit Shall en montrant les crocs.
En voyant son agressivité, le lynx comprit que sa faim obstruait son raisonnement et il sortit de sa besace un morceau de viande.
Shall hésita à prendre cette denrée. Mais son estomac hurla de nouveau. Aussitôt, l’inconnu posa le morceau dans le creux de sa patte et lui tendit, tout sourire. Shall accepta l’encas, le porta dans sa gueule et l’avala et put enfin échanger avec cet inconnu autrement. Il l’invita alors à poursuivre au chaud de sa petite demeure.
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Bien au-delà du refuge du Lynx en cette sombre nuit qui affichait ses plus belles nuances de jais. Le temps d’un instant, les lunes de Kuarha n’allaient faire plus qu’une. Cette union astrale admirée par de nombreux habitants de la vallée Shine, était le seul endroit où l’on pouvait contempler ce phénomène dans sa totalité. Plus à l’ouest, dans le royaume des Faucons là où les rochers volaient, un être vêtu d’une cape vert impériale semblait attendre quelque chose qui ne tarda pas s’annoncer. Il se matérialisa un vortex pourpre où un coffret rouge maroquin en sortit. Lorsqu’il le saisit, il disparut ne laissant plus qu’une nuée opaque derrière son passage.
Il réapparut devant un sinistre manoir. Il s’avança et se retrouva sous le porche d’entrée où dominait une porte acajou. Soudain, un puissant éclair fendit le ciel et illumina les alentours. Un vent glacial se leva à l’Est, emporta avec lui de nombreuses brindilles, puis le tonnerre retentit.
L’être encapuchonné saisit le heurtoir et susurra : (a voir). Une bourrasque s’en suivit qui hotta sa large capuche et révéla son visage de lionne. Elle entra et il se mit à pleuvoir des trombes. La créature se trouva dans un hall obscure vidé de ses meubles. En face d’elle, s’imposait un grand escalier. Au sommet de celui-ci, une lumière jaunâtre émanait. La lionne s’avança. Sa longue cape traînait sur le sol et le son de ses pas était étouffé par le bruit de l’averse accompagné, par les flashs et les grondements du tonnerre.
À l’étage, elle emprunta un long couloir illuminé par des lanternes murales. Elle tenait entre ses pattes de velours le coffret. Arrivée dans son laboratoire, la pièce s’alluma. Elle s’avança vers un plan de travail sur lequel reposait des verreries de chimies et elle posa le coffret rouge maroquin. Elle balaya avec ses yeux verts de sinople la pièce. Ensuite elle mit sa patte sur le coffret et l’autre près de son menton en faisant un "U" en langage des signes et susurra une incantation. Soudain, quatre anneaux d’énergie apparurent sur le coffret et de ceux-ci distinguaient des serrures. De son cou la lionne attrapa un pendentif orné de clefs d’or. Elle inséra les clefs une par une et les verrous se rassemblèrent pour ne faire plus qu’un. Or à voir sa grimace il semblait manquer un autre élément afin que celui-ci s’ouvre et de rage, la magicienne tapa du poing sur la table.
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