Psycho Killer (contenu peut-être sensible)

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Dans mon lit tout neuf, je n’ai pas bien dormi. Trop dur, trop d’odeurs chimiques. Inhospitalier.

La bonne surprise est de m’y réveiller seule, un rayon de soleil sur la figure, du ciel plein la fenêtre. Malgré la mauvaise nuit, je me sens pleine d’énergie. Dans la tête, une chanson fait : psycho killer, qu’est-ce que c’est, fafafaFAfafafafafa, better… run, run, run, run run, run awayyyy. Oh, aille, aille, aille… Je mets un instant à réaliser que ma main droite masse doucement mon entrejambe, dans le pantalon de pyjama. Je soupire de bonheur avant de la retirer. Qu’est-ce que j’ai fait ce soir-là, réalisant mon espoir… Et puis pourquoi pas ? Je referme les yeux, tout scrupule évacué. Les doigts tardent à y retourner, ils me narguent, commencent par effleurer le nombril, résistent à glisser le long de l’aine sous l’élastique. Soudain, la main gauche empoigne largement un sein. Saisi de désir, mon corps cherche, et trouve, le plaisir. Souffle et cœur sur le même tempo, qui s’accélère. Je me sens partir. Un cyclone. La poitrine, gonflée, le ventre, palpitant, la nuque, raidie, unissent leurs impulsions. Décollage dans trois. Deux. Je veux jouir de ce moment à fond.

Je me rate. Retour au sol, désabusée et furieuse. Je suis loin de la maîtrise tantrique de la masturbation en pleine conscience, moi ! Je le sais pourtant, que je dois lâcher prise ! Un sextoy aurait aidé. À une époque, j’en avais quelques-uns, je leur avais donné des noms : Kaa et Baloo étaient mes favoris, du fait de leur forme et, je l’avoue, de leur goût. Depuis, la simple odeur du caoutchouc me chatouille les entrailles, et il y a un outil à l’atelier que j'affectionne particulièrement pour cette raison. Kaa se présentait sous la forme d’une verge des plus réalistes, quoiqu’un peu surdimensionnée. Avec du relief, juste comme il faut. Je l’ai choisi jaune canari, sans pile, parfaitement écolo. Baloo, par contre, était électrique, c’était une sorte d’œuf que j'enfilais pas trop profond. Il me secouait le bas du dos en ronronnant. Je l’adorais parce que je n’avais aucun effort à faire. Il en faut PEU pour être heureux… Un peu de temps et d'abstraction : orgasme discret assuré. Parfait dans mon lit qui grinçait, parfait aussi assise à mon bureau. Le parfait leurre familial. Je n’aurais pas dû m’en débarrasser. Sans mes jouets, me voilà fort dépourvue, lorsqu'onanisme est revenu.

Trêve de cynisme, le sexe est toujours plus facile en couple. Lâcher prise...

J’y retourne, déterminée. Pas question de me dessécher comme toutes ces célibataires arides. Varier les approches et les rythmes. Débrancher. Sans l'avoir vu venir, je renoue peu à peu avec les délicieux émois de ma chambre d’enfant. L’oreiller se retrouve coincé entre mes cuisses. Je le chevauche et atteins un orgasme tel que je n’en ai pas souffert depuis longtemps. Les vagues refluent, je me frotte encore doucement d’avant en arrière et me rendors, bienheureuse.

C’est samedi. Cécile se décide à passer, elle me prévient par messagerie, sans dire qu’elle sera accompagnée. Quand j’ouvre, elle entre, tandis qu’une fille que j’ai rencontrée à son anniv fait le pied de grue dans le couloir. Comment elle s’appelle déjà. Karine, Corinne, Caroline ? Je me souviens juste qu’elle s’était chargée du « cadeau commun » : une « courtepointe » « vieux rose » hors de prix. Sûr que si tu veux une courtepointe pour ton anniversaire, tu ne me confies pas la cagnotte. Cette meuf m’insupporte, me rappelé-je quand elle ouvre la bouche :

— Tu ne mets pas de masque ?

— Non, pas chez moi, non.

Elle s’avance avec réticence, s’assied sur un coussin à bonne distance de Cécile.

— Bière, ça te va ?

— Non, merci. C’est un peu tôt pour moi.

— Un thé, un café ?

— Non, non… je ne veux pas enlever mon masque. Ce n’est pas prudent.

Qu’est-ce qu’elle vient me gonfler, celle-là ? On t’invite à boire un coup, soit tu viens pas, soit tu bois un coup. En tout cas, t’emmerdes pas le monde ! Elle interprète mes messages corporels, à base de lourde indifférence, et prend congé rapidement.

Je me retrouve copieusement assaisonnée par mon amie .

— J’ai annulé un shopping avec elle pour venir te voir, tu pourrais au moins faire un effort d’amabilité ! Tu ne tournes pas rond en ce moment ma pauvre ! D’ailleurs, qu’est-ce que c’est que cette histoire, tu largues Ludovic ? Et en plus je l’apprends par ta mère ?

Bidule, la pouffiasse, Céline : Au secours, reviens steup ! Je me défends :

— Justement, c’est aussi pour ça que je voulais te voir, pour qu’on se parle un peu. Ce n’est pas arrivé souvent qu’on se retrouve toutes les deux depuis que tu es avec Sylvain.

— Allez !!! Moi aussi j’en prends pour mon grade ? Tu vas encore m'envoyer que je fais une connerie avec Sylvain ?

Ah ben si, je lui avais dit ce que j’en pensais, de Sylvain, apparemment. Foutue franchise, c’est comme ça que je perds tous mes amis. Autant se suicider proprement :

— Je ne vois pas ce que tu lui trouves.

— Il est beau.

J’en reste baba. Cécile et moi, on n’a jamais eu le même type d’homme, mais là, quand même, on frôle le n’importe quoi ! Il faut que je réponde quelque chose ?

— Ouais. Peut-être que selon les expressions du visage… avec un certain éclairage… il ressemblerait de loin à Brad Pitt… Mais tu sais bien que je n’aime pas les blonds.

Elle sourit, enfin ! On trinque. Elle a raté des fringues en soldes ? J’ai mieux à lui proposer ! Je lui raconte, pour mon fantasme de sextoys.

Un peu de fantaisie lui fait du bien. Elle reprend des couleurs, retrouve ses fossettes, devant les modèles présentés sur le site. Sachant que je n’échapperai pas à une explication, je profite de ces meilleures dispositions pour défendre mon choix de vivre seule. Je vois bien qu’elle ne comprend pas. Nous sommes dans un move inversé toutes les deux : j’ai souffert de la vie conjugale ; elle en a marre du célibat. C’est quand elle m’accuse de rendre Ludo malheureux que je ne peux pas retenir la risposte. Je lui reproche de se racornir déjà au contact de Sylvain. Zut, zut, un diable parle à ma place ou quoi ? On dirait bien que j'ai gratté là où ça fait mal ! Je tente de rattraper le coup en plaisantant :

— Forcément, tout est sec, chez Sylvain, lui, ses légumes, et jusqu’à son shampooing.

Trop tard, elle me fait une crise de désespoir. C’est déjà arrivé. Cécile est un soleil la plupart du temps, mais parfois elle craque. Et alors là, ce sont les grandes eaux. Pas les gentilles fontaines de Versailles. Les chutes du Niagara. Plus qu’à éponger :

— Excuse-moi, ma puce. Tu me connais, je suis méchante. Tu aimes qui tu veux bien sûr. T’inquiète, si tu es heureuse, tout va bien, je ferai avec.

Elle répond, mais si bas que je lui fais répéter :

— C’est le premier.

Elle m'offre des yeux embués, un sourire crispé, les lèvres pleines de morve :

— Si tu ris, je te jure, je te tue !

Je me lève, m’assieds à ses côtés, lui tends les bras. Elle s’y blottit. Pull bon pour la lessive, l’amitié ne recule devant aucun sacrifice. L’incompréhension me dévore :

— Le premier ? Tu veux dire que tu n’as jamais… ?

— C’est la première fois avec Sylvain. Tu ne peux pas savoir. Il m’aime, il est gentil et il me répare.

— Mais… et les autres ? Tous ces hommes que tu m’as présentés ?

Elle secoue la tête :

— Jamais pu.

— Aucun ?

Elle nie vigoureusement.

— Pourquoi tu ne m’as rien dit ?

— Je ne sais pas, j’ai trop honte.

Elle suffoque au rythme de ses confessions. Je devrais la bercer, attendre qu’elle se calme, mais la curiosité est la plus forte :

— C’est quoi le problème ? Tu n’as pas envie ?

— Avec Sylvain, ça va.

— « Ça va ? » C’est tout ? Et ça te suffit ? Il en dit quoi, ton psy ?

— On ne parle pas de ça.

— Tu fais une analyse et tu ne parles pas de tes problèmes avec les hommes ? C’est quoi l'intérêt de lâcher cinquante patates par semaine ?

— Écoute, ne me pousse pas, d’accord ? J’avance. Doucement. J’ai besoin de toi, mais pas que tu me juges.

— Tu veux me cracher le morceau ?

— Non. Pas encore. Dès que je pourrai, promis.

Oh ben mince. Ma puce, mon amie de cinq ans, que je pensais connaître à fond. Qu’est-ce que j’ai loupé ? Comment est-ce possible : une fille aussi joyeuse et séduisante ? Ça me dépasse. Je me sens mal, j’ai l’impression d’une imposture. Comme un enfant trahi en apprenant le mensonge du père Noël. Pour le moment je la laisse, mais les suppositions vont bon train. Qu’est-ce qu’elle a ? Un truc physique qui la bloque ? Ou alors elle a subi des choses dans sa jeunesse ? « On n’entend que ça », comme dit Madeline Fleury que les atteintes sexuelles contre des enfants horrifient par-dessus tout.

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