kalsarikännit

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Ainsi qu'il est désormais institué, je reprends mes chroniques. Après le confinement (avril, mai 2020), après le couvre-feu (janvier 2021), voilà... heu... Pardonnez-moi, je peine à définir les conditions de ce troisième opus, car honnêtement, je ne fais pas bien la différence, entre avant cette troisième vague et maintenant. Voilà pourquoi j'ai sous-titré cette partie :

Fantasmes et tribulations d'une pas tout à fait reconfinée assignée à résidence au grand air sous un masque, coiffée cette fois, mais pas pour sortir le soir sauf avec un billet de train qui ne dessert pas les zones exonérées d'attestation depuis les zones en tension. Tu la sens, la tension ?

Pour la postérité, précisons qu'en ce printemps 2021, le couvre-feu se décale à dix-neuf heures sauf motif dérogatoire élargi et envie de sortir quand même en l'absence de contrôles. Nonobstant, certains départements subissent un confinement à leur bordure, parce qu'après avoir prouvé que le virus passait les frontières nationales, on teste naturellement sa capacité à migrer de France à France. Dans cette gigantesque farce, et l'on dira ce que l'on voudra, mais le comique de situation vit ses plus belles heures depuis Molière, mon département est nominé comme tous ceux de l'Ile de France. J'ignore comment cela se passe en-dehors, dans le Morbihan, le Gard, ou la Garonne mais chez nous, les gens ne vont pas bien. Pas bien, pas bien. Pas bien du tout.

C’est le moment parfait pour vous rappeler qu’il existe le mot kalsarikännit en finnois, qui désigne le plaisir de se prendre une cuite seul-e en slip chez soi.

Un peu gros ! Drôle, mais un peu gros. Quoi que, connaissant la copine qui envoie la blague, ce serait bien le genre à avoir déniché une vraie info. Je vérifie :

LES « KALSARIKÄNNIT »

Traduit l’état d’esprit du Finlandais bien décidé à se bourrer la gueule… en caleçon !

Pour se prendre littéralement une « cuite en caleçon », c’est-à-dire tout seul chez soi, sans même sortir, il faut juste une bouteille d’alcool et un slip. Difficile de trouver une expression plus typiquement finnoise !

Tant que je suis sur Whatsapp, j’entame le rattrapage des discussions qui ont avancé sans moi. J’ai la flemme de les lire, la flemme aussi de les supprimer. La liste défile sous mon index. Un mot m’arrête : "charcut". Oh, oh, les messages se bousculent chez "Les amis de Cécile" (c'est niais, on est bien d'accord. La niaiserie est tendance). Conversation ouverte il y a des mois à l'occasion de son anniversaire. J’ouvre :

— La charcut', c’est pour nous !

— Moi je prends le pain. Quatre baguettes, mais cela ne suffira pas. Qui complète ?

— Quelqu’un s’est positionné sur le fromage, déjà ?

— Je loge à proximité d’une des meilleures boulangeries de la région. Je vous ferai déguster leurs chouquettes. Smiley, trois bisous love.

Céline ! La reine des courtepointes vieux rose. Elle y sera, la parano du masque ? Elle osera prendre ce risque de rencontrer des gens en vrai ? Et moi, j’y vais ou je n’y vais pas ? Juste pour le plaisir de voir mon texte s’afficher juste en dessous du sien, je me précipite, dans un style qui m’est propre :

— Pif et binouze !

Goûtez l’enchaînement linguistique des encadrés blanc et vert.

Soudain, une nouvelle notification. Une image arrive, "transférée de nombreuses fois". Rester prochloin des autres, c’est le condéfinement. Décomprenne qui pourra, il faut se préparer à la ferouvrance des bars. Référence à la nouvelle attestation. Les blagues de comptoir par voie satellitaire.

C’est vrai qu’on détient en France un savoir-faire reconnu, dans lequel la pandémie nous permet de briller : l’absurdité bureaucratique. Pas de promotion à faire le jour où on veut l'inscrire au patrimoine mondial de l’UNESCO, tant l'Univers entier se fout de notre gueule, et, j’en suis persuadée, nous envie secrètement cette exception culturelle. Nous, on maîtrise ce petit pas de côté, ce décalage juste nécessaire pour ne pas trop se prendre au sérieux face à un truc dramatique. Laissez croire à un Français qu’il garde son ironie et sa capacité à râler, et il se montrera docile comme un agneau au berceau. Je suis sûre que cela procède de cette atonie absolue qu’ils ont réussi à nous instiller. Allez, ces cons au gouvernement, ils ne peuvent pas être tout à fait méchants… Et pendant qu’on se moque, de Si-Beth (vous l’aviez oubliée celle-là, non ?) à Darmanin (celui-là, c’est son zizi qu’on a fort opportunément passé sous les radars), on reste obéissants.

Non, mais sans blague, il devient urgent de faire acte de résistance ! La bravoure de la meuf : se joindre à un pique-nique pas interdit, sur une base de loisirs ouverte. Non, ce qui serait efficace, c’est que tout le monde passe une nuit dehors, en signe de rébellion, et qu’ensuite on fasse tous appel de l’amende reçue. Inonder les tribunaux et obtenir une amnistie générale en même temps qu'un réveil des consciences. Des millions de réclamations, sur la base d'un motif impérieux : Article 1 de la Déclaration des droits de l’Homme : les hommes naissent et demeurent libres ! Mollo, la révolutionnaire. Tu te vois en meneuse, pancarte à l’épaule, seins nus (les femmes ne revendiquent plus que seins nus, c’est du féminisme, je n’ai pas bien intégré pourquoi, mais en tout cas c’est pour chier sur le pouvoir phallocrate, qui à mon avis se rince l’œil au lieu d’y voir une agression).

Bon, combien on sera, à cette Garden Party ? Je scrolle vers le début de la conversation. Ça fait un moment qu’ils prévoient leur coup. Ah ben oui, depuis l’annonce du « reconfinement », en fait, jeudi soir. Il y a une trentaine de contacts dans le groupe. Enlève les provinciaux. Ajoute les conjoints, amis et enfants. On risque de ne pas passer inaperçus quand même. Et si je taguais une banderole à accrocher à un arbre ? Ça tombe sous le coup de la loi, l’affichage sauvage dans l’espace public ?

Je marque « vin » sur ma liste pour le supermarché. Un élan de générosité qui ne va pas arranger mes finances. En sus du remboursement du prêt, le loyer court en bas pendant encore deux mois, alors que Ludo n’y habite même plus. Il a eu du nez de partir rejoindre sa molle ménagère, tant qu’on était en zone libre. Aujourd'hui il aurait été coincé sans motif impérieux. Mais j’y pense, dans les affaires qu’il n’a pas encore dégagées, il doit bien y avoir quelques bonnes bouteilles ?

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