1 - OWEN « Joyeux Noël »

3 minutes de lecture

— Et un cappuccino bien chaud de chez La Mie Câline ! chantonnai-je en déposant le gobelet cartonné sur le bureau d’un aîné.

En guise de remerciement, il m’accorda un grommellement, sans lever les yeux de la peinture graphique qu’il devait rendre à la fin de la semaine pour le nouveau projet de l’entreprise. Je bouillais, mais en bon petit employé, je conservai mon rictus pincé et m’en allai vers mon bureau.

Du haut de mes vingt-six ans, j’avais enfin décroché un emploi fixe comme assistant dans une boîte de concepteur de jeux vidéo. Un rêve d’enfant qui se réalisait depuis quatre mois... du moins en partie, car j’espérais devenir graphiste et non la bonne à tout faire.

Il faut démarrer au bas de l’échelle... comme le clamaient les anciens avec une fierté teintée de moquerie.

Je ne faisais plus partie des jeunes fraîchement diplômés qu’ils accueillaient avec bienveillance, mais je n’étais non plus un homme assez expérimenté pour entrer dans leurs bonnes grâces. Je me réconfortais néanmoins de travailler parmi l’une des plus grandes entreprises. Elle me laissait entrevoir l’espoir de gravir les nombreux échelons au sein de sa hiérarchie, noyée sous le flot d’argent virtuel qu’elle emmagasinait à chaque sortie de jeux. Mais ce qui égaillait réellement mes journées, restait de côtoyer ma senior, Natasha. Une femme d’une trentaine d’années, dont la bonté n’avait d’égale que son talent. Elle était ma supérieure directe, même si nombre de ses collègues profitaient de ma gentillesse de petit nouveau qui cherchait à s’intégrer pour me commander sans honte...

Mais je ne pouvais réellement les détester, le directeur leur mettait une pression colossale sur les épaules qui pouvait rendre aigris même le plus attentionné des graphistes. Et les illustrations que je devais trier, organiser et étiqueter m’emportaient dans des mondes si enchanteurs que mon cœur en oubliait tous les tracas quotidiens.

À tel point que je ne vis pas les heures défiler. Je sursautai quand Natasha posa une main sur mon épaule.

— Tu devrais rentrer, m’intima-t-elle en désignant l’horloge murale d’un index à l’ongle sublimement peint.

— Dix-neuf heures ! soufflai-je ahuri.

Ma surprise la fit rire.

— Tu es un vrai passionné. Ça fait plaisir à voir dans l’équipe. Viens ! Je t’offre un verre.

J’acceptai poliment, et laissai un sourire benêt étirer mes lèvres dès qu’elle se retourna pour récupérer son manteau.

Quelle magnifique soirée en perspective !



Dehors, l’hiver nous honorait de sa neige immaculée pour les fêtes. Chaudement emmitouflée dans son long manteau de chaperon rouge, Natasha repoussa une mèche rousse qui tombait devant ses yeux sombres. Je me laissai à rêver d’un Noël en sa compagnie. Après tout, c’est elle qui m’avait invité !

Mon cœur jubilait, mais je conservai un air de façade posé... quand un cri perça au-dessus de trafic embouteillé par ce temps glacial.

— Au voleur ! gronda une vieille femme.

Au bout de la rue, un homme remontait le trottoir à vive allure, un sac sous le bras. Son visage dissimulé sous sa capuche molletonnée, les caméras ne l’identifieraient jamais. Et personne n’intervenait, regardant simplement le malfrat zigzaguer entre eux.

Il ne tarderait guère à nous croiser.

Pris d’un élan d’altruisme, gonflé par le désir d’impressionner Natasha, je décidai d’agir.

D’un bond, je barrai la route du voleur. Il pila et m’insulta sans attendre. D’une tête plus petit que moi, il semblait aussi bien frêle. Je n’étais pas un catcheur et comptai encore moins une carrure de rugbyman, mais je restais un sportif qui courrait régulièrement en montagne. Un homme sec, aux muscles vifs !

Confiant, je gardai mes positions alors que le malfrat se jeta sur moi.

Quel mal m’en prit...

Certes, il était petit et probablement maigrichon sous son manteau molletonné bien trop grand pour lui, mais un couteau ne faisait guère de différence entre un corps entraîné et celui d’une loque. La lame froide qui se planta dans mon ventre me le rappela douloureusement.

Je tombai au sol, mon manteau clair se tachant doucement de mon sang. Les passants hurlèrent, tandis que le voleur s’enfuit à nouveau.

— Mon Dieu ! Owen ! gronda Natasha, horrifiée, qui s’agenouilla à mes côtés.

D’une main tremblante, elle extirpa son portable de sa poche et composa le numéro des urgences. Un homme s’accroupit à sa droite et tenta d’appuyer sur ma blessure dans l’espoir fou de stopper l’hémorragie.

Je dois baigner dans une belle marre de sang pour qu’il agisse ainsi, pensai-je, presque tenté de laisser un sourire ironique remonter les coins de ma bouche.

Moi qui rêvais d’un noël en la douce compagnie de la femme qui me plaisait, voilà que je me retrouver à me sentir bien au chaud sur le trottoir gelé. Sûrement emporté par la fatigue de tout ce sang perdu, je n’étais même pas en colère. Ni même effrayé.

Non...

Je m’enfonçai avec sérénité dans un doux rêve.

Au côté de cette belle rouquine qui criait au téléphone.

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