2 - OWEN « Renaissance express »

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Je me sentais reposé. L’âme en paix… le corps léger.

L’ambulance a dû arriver à temps, pensai-je avec volupté.

Je me laissai à sourire tel un benêt et m’étirai. Pour un homme allongé dans un lit d’hôpital, le ventre perforé, je ne ressentais pas la moindre douleur.

Sûrement une bonne dose de morphine.

Curieux, j’ouvris les paupières. Au-dessus de moi s’entremêlaient des ramures variées de feuillus carmin et de palmiers au ton pamplemousse, une aura dorée détourant leurs contours sous une toile noire. Un trompe-l’œil ? Le peintre de cet hôpital était-il un graphiste refoulé ?

Mais pour cela, il aurait fallu que je sois dans une chambre… et d’un regard sur les alentours, je ne vis rien de tel. Je dormais à même le sol, dans une herbe rase pourpre que de rares tulipes d’un bleu phosphorescent éclairaient par points diffus.

Ils ont dû me coller une sacrée dose de morphine, pensai-je en clignant des yeux.

Malgré mes battements de cils de diva, le décor ne mua pas.

Je m’assis et tâtai l’herbe d’une main. Elle semblait aussi douce que du coton sous mes doigts. Je l’abandonnai du regard et relevai la tunique blanche qui remplaçait mes vêtements d’hiver. Mon ventre était intact, sans cicatrice ni points de suture.

Je suis bien dans un rêve, conclus-je.

Plus curieux qu’inquiet, je me levai et explorai les environs. J’imprégnai ma mémoire de chaque détail, décidé à peindre ce paysage hors norme dès mon réveil. De hauts arbres aux feuillages passant par tous les tons de rouge, subtilement illuminés de dorures plus brillantes qu’une pépite d’or poli par l’eau, s’étiraient en une forêt dense. Les palmiers n’étaient pas en reste avec leurs tiges ligneuses cuivrées, piquées tantôt de bleu sombre, tantôt de clair qui s’élevaient au-dessus de la canopée. Ils portaient des noix de coco semblables à des boules dorées, dont je me méfiais du poids.

Peut-on s’évanouir, assommé dans son propre rêve ? me demandai-je une main grattant mon menton imberbe.

Je ne me risquai pas à tenter l’expérience et m’éloignai de leur tronc, préférant un maigre sentier de terre battue. Du moins, ce sol brun, presque noir, semblait en être.

— Vous voilà enfin ! siffla une voix claire, qui m’extirpa de ma contemplation d’un sursaut.

Je relevai les yeux, mais plutôt qu’une femme, je découvris une… petite chose bipède. Comment mon esprit en était-il venu à imaginer une créature si étrange ? Pas plus haute qu’un enfant de quatre ans, elle s’affichait sous un poncho de blanc et de bleu ciel, une tête de batracien, ornée d’une paire de bois, dépassant du tissu. Et comble du tout, cette bestiole bipède me rabrouait d’une voix de jeune femme à l’accent typique de ma région.

Les médicaments sont très puissants… ou ai-je reçu un coup sur la tête en plus du poignard dans le bide ? Je me suis assommé sur le trottoir… peut-être…

— Allez ! Dépêchez-vous ! me héla la créature, mécontente de me voir planté au milieu du sentier sans daigner la suivre.

Dérouté, et ne semblant guère avoir d’autres choix d’après son caractère explosif, je lui emboîtai le pas. Ses pattes dodues martelaient la terre avec empressement, tandis qu’une queue enflée s’agitait à travers un trou de son poncho. Avec une corde autour de sa peau luisante, elle m’aurait remémoré un saucisson… Mais aussi étrange fût-elle, je la quittai des yeux pour les lever sur un dôme de verre colossal qui se dressait au travers de la végétation luxuriante.

— Quel est votre nom ? m’enquis-je alors que la créature entrouvrit un voile clair qui délimitait l’entrée du bâtiment.

Elle plissa les yeux et m’examina quelques instants.

— Vous avez dû recevoir un sacré choc pour vous inquiéter de mon nom avant de me demander ce que je suis, trancha-t-elle en me pressant de passer le seuil. D’habitude, les Animas hurlent au monstre.

Anima ? Sa langue avait-elle fourché et me traitait-elle de bête ?

L’ironie du sort de se faire insulter de simple animal par une chose qui ressemble à un gecko cornue…

Je grimaçai, un brin vexé, et tentai de passer outre, tandis que cette demoiselle écailleuse, au nom trop mystérieux pour daigner me le dévoiler, s’engageait dans un jardin botanique. Des étiquettes fleurissaient au milieu des plantes, non pas sur des écriteaux de bois ou de plastiques, mais en bulles de savon qui voletaient au-dessus de la végétation. Les caractères inscrits sur leur surface aqueuse m’étaient étonnamment clairs, même si je restai incapable d’en comprendre le sens.

Vicatus magalius… Encore ces noms latins à couper au couteau.

— Vous voici enfin ! souffla une femme qui m’extirpa de mes pensées.

Au bout de l’allée, pavée de pierres ocre qui contrastaient avec la terre brunâtre, se tenait une dame habillée d’une robe en voile blanc qui aurait réchauffé le cœur de beaucoup d’hommes. Je me raclai la gorge et tentai de rester professionnel, alors qu’elle braquait sur ma personne ses prunelles larimar courroucées.

— Non content de détruire mes plantes dans votre monde, vous vous permettez de tomber n’importe où dans mon jardin !

— Mes… excuses, lâchai-je, désarçonné par ses accusations. J’ignore comment je suis arrivé ici.

La femme soupira bruyamment.

— Encore un qui n’a pas saisi qu’il est mort.

À ses mots, je pouffai.

Un réflexe bête… de survie.

Quoique si je comprenais bien, je n’avais pas vraiment survécu…

Non, je dois délirer.

— Et en plus c’est un fou, siffla la belle blonde à la robe échancrée. Bref. Ne perdons pas de temps ! Mes enfants demandent encore beaucoup d’attention. Surtout que je dois aussi rabibocher ceux que vous maltraitez avec votre expansion ingérable dans votre monde pollué jusqu’au noyau.

Elle semblait un peu trop empressée de m’envoyer paître…

— Attendez une minute ! soufflai-je. Expliquez-moi ce qu’il se passe ! Vous balancez toujours comme ça aux gens qu’ils sont morts ?

— En général non. Les Animas passent rarement devant moi sous leur forme humaine. Mais il a fallu que vous jouiez au héro avant de mourir. Je suis donc dans l’obligation de vous offrir une nouvelle vie dans un autre monde.

Je restai bouche bée, mon esprit tentant de digérer les informations qu’elle me jetait au visage telle une vulgaire serviette sale.

Ceci n’était pas un rêve… J’étais décédé. Si je ne rêvais pas que j’étais mort !

Ma tête allait exploser.

— Êtes-vous une déesse ? m’enquis-je d’une voix enrouée.

— Je suis ce que vous confondez avec vos dieux, m’avoua la femme d’un air distrait, préférant caresser les feuilles d’une de ses nombreuses plantes. Je suis responsable du monde dans lequel vous êtes mort. Si les lois familiales ne me l’interdisaient pas, j’aurais rasé depuis longtemps votre civilisation pour repartir de zéro ! Vous êtes si envahissants que les autres écosystèmes étouffent. Et vous teintez votre monde de tant de noirceur que je dois quémander auprès de mon frère pour déverser le surplus de lumière du sien.

Plus elle parlait, et plus je me sentais fébrile. Ses explications me paraissaient claires, tout en conservant une part de ténèbres que mon esprit ne parvenait pas à encaisser.

« Puisque vous semblez désirer jouer les héros, vous pourriez redresser un peu la barre dans le monde de ma cadette, continua-t-elle en se redressant brusquement.

— Je suis… un élu ? m’enquis-je, dérouté.

Je doutai d’autant plus de mes mots tandis que la déesse pouffa derrière sa main.

— Les humains et leurs rêves de grandeur. Je suis affublée de votre apparence tant vous vous prenez pour des êtres suprêmes. Mais non, je suis désolé, vous n’êtes pas plus spécial que les autres Animas qui traversent ce lieu. Néanmoins, votre dernier acte de bravoure vous offre la possibilité de faire un choix. Je peux vous renvoyer dans votre monde, où vous vous réveillerez après un long coma si vos proches ne vous débranchent pas, ou bien vous pouvez démarrer une nouvelle vie dans un tout autre paysage. Celui de ma cadette, par exemple, qui aurait bien besoin d’un Anima qui veut jouer les héros.

— Un tout autre paysage ? répétai-je perplexe. Un Nouveau Monde, vous voulez dire ?

La femme roula des yeux.

— Oui ! Bien entendu. Vous êtes tellement terre à terre.

— Quel monde est-ce ?

Enjouée par mon intérêt, elle tapota ses mains entre elles.

— Nous allons pouvoir reprendre nos activités respectives ! chantonna-t-elle. Sinduine est un monde où la magie prédomine sur la technologie. Je suis sûre que vous allez adorer ! Et pour faciliter votre insertion, je vous offre la connaissance de la langue dominante du continent sur lequel je vous envoie.

Je ne la contredis pas, laissant un sourire étirer mes lèvres au doux rêve d’un foyer pittoresque dans une ville tout aussi unique. Mais je déchantai dans un sursaut, comme si une claque glaciale venait de s’abattre sur ma joue, tandis que la déesse me souhaitait bon voyage. Je n’aurais pas été surpris si sa langue avait fourché en bon débarras.

— Attendez ! grondai-je alors que mes extrémités s’effritaient sans bruit comme des feuilles sèches balayées par le vent. J’ai d’autres quest…

Ma phrase s’évanouit dans un espace au noir absolu où je ne percevais rien.

Ni son ni lumière.

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