Chevrette au pays des neiges.

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Il était une fois, une chevrette prénommée Citrouille qui rêvait de voir la neige. Éprise de voyages, d'aventures, elle quitta son logis de soleil, et partit sur les chemins menant en des pays glacés. Citrouille rencontra bientôt un cheval noir, tout d'écume et de fureur ; prudente, elle lui laissa la place, mais lui demanda :

— Ô toi, dont la colère assombrit le pas et baigne le poil, sais-tu où se trouvent les pays immaculés ? Là où le silence règne, où l'air est immobile, où les arbres se parent de cristaux étincelants et le sol de névés.

— Comment le saurais-je ? Crois-tu que je n'ai que cela à faire de songer à d'autres contrées ? Je suis attendu au champ de courses, je dois y gagner la coupe du sprinter le plus rapide du monde.

Impressionnée, elle répondit :

— Je suis sûre que ce sera le cas, bel étalon.

Flatté, il consentit à dire :

— Pour aller en des terres de froidure, tu es dans la bonne direction, le nord, toujours le nord.

Elle le remercia et hâta le pas jusqu'au moment où elle croisa deux vaches bicolores, le pis lourd et le mufle mugissant, elles s'empressaient en haletant. Elle les interpella :

— Dignes Dames des prés, pardonnez-moi, mais laissez-moi vous parler. Je cherche les pays immaculés, là où le silence règne, où l'air est immobile, où les arbres se parent de cristaux étincelants et le sol de névés ?

L'une d'elle la snoba, l'autre répondit :

— Crois-tu que nous ayons le temps de converser ? À la laiterie, nous sommes attendues pour y livrer sans retard le lait qui nous alourdit.

Compatissante, elle admit :

— Chères Dames, je comprends votre inconfort, et je m'en voudrais de vous retarder davantage.

Touchées, elles balancèrent la tête et celle qui n'avait pas parlé lui assura :

— Au prochain croisement, prends le sentier louvoyant à gauche, il te mènera à la colline du hibou et à un autre chemin qui conduit directement en ces terres que tu recherches.

Elle la remercia et hâta le pas. À la fourche, elle arriva, à gauche, elle bifurqua, sur un raidillon sinuant, elle s'engagea. Confiante et sautillante, chantante aussi, elle se laissait bercer par les chants des oiseaux. Distraite parfois par quelque insecte bourdonnant, elle heurta même, dans une flaque, un crapaud coassant. Il bougonna :

— Ne peux-tu pas faire attention, ce chemin n'est pas qu'à toi seule !

— Désolée, ami sautillant, je ne voulais point t'incommoder, mais j'essaie de me rendre aux pays immaculés, là où le silence règne, où l'air est immobile, où les arbres se parent de cristaux étincelants et le sol de névés.

— Vraiment ? Quelle idée de vouloir se geler alors qu'il n'y a rien de mieux qu'une mare miroitante, riche d'insectes bruissants, et de feuilles de nénuphars pour se reposer. D'ailleurs, j'y vais à l'instant, ne préférerais-tu pas m'accompagner ?

— Hélas, j'ai une quête à mener.

— Tant pis pour toi, continue ton voyage alors et, si tu changes d'avis, tu me retrouveras à la mare, par là.

Il lui désigna une laie aqueuse qui se perdait dans un sous-bois et d'où émanaient des odeurs d'humus. Cela ne sembla pas très engageant à demoiselle chevrette. Mais poliment, elle le remercia puis reprit sa marche.

Elle parvint au sommet de la colline. Là, un arbre solitaire patientait. De rares feuilles ornaient ses branches dénudées, noueuses et tordues, tel un vieillard ayant trop vécu. Sur l'une d'elle était perché un hibou aussi déplumé que l'ancêtre sur lequel il demeurait. Il sommeillait, les yeux clos, immobile, car le soleil dans le ciel était encore haut.

Citrouille se dit qu'il était bien dommage qu'il soit endormi, parce qu'il aurait pu la renseigner. Mais elle se garda de le sortir de sa torpeur diurne. À la place, elle porta son regard aussi loin qu'elle le pouvait. Un paysage de vallons, de forêts et de collines s'offrait à elle. Quant au chemin dont lui avait parlé dame vache, en fait, il descendait, se divisait, puis chacun d'eux prenaient des directions différentes.

— Hou hou !

Le bruit la fit sursauter, elle fit volte face.

— Hou hou… À gauche, tu dois aller !

Elle leva la tête et rencontra les yeux aussi grands que des soucoupes du volatile juché.

— Est-ce vous qui m'avez parlé ?

— Quelqu'un d'autre ici, vois-tu ?

— Non, bien sûr, pardonnez-moi Maître Hibou.

— Hou hou !

— Alors, je vais à gauche ?

— Sourde es-tu ? À gauche oui ! Jusqu'au pays glacé de névés que tu recherches, tu ne t'arrêteras plus.

— Comment le savez-vous ?

— Hou hou ! Sage, je suis.

Puis comme si cela expliquait tout, il referma les yeux et se tut. Citrouille ne chercha pas plus loin. De gauche, elle prit le chemin.

Elle marcha, marcha longtemps. Par monts et par vallées, par bois et par forêts, par fleuves et par ruisseaux, sous un ciel qui s'ennuageait. Elle arriva enfin dans une cité des hommes. Sombre était la pierre, les véhicules de fer et les chemins noirs d'asphalte. Pourtant, à l'entrée, il y avait une pancarte. Elle y lut :

"Ici, vous entrez dans les pays glacés et de névés, tous de cristaux parés."

Mais elle ne voyait que laideur. Son regard se noya de chagrin, de pleurs. Une dame portant une citrouille s'adressa à elle et lui dit :

— Sèche tes larmes et viens chez moi, je cuisinerai une soupe et nous la partagerons. Puis, nous attendrons ensemble la venue des présages.

— De quels présages parlez-vous ?

— Les sorcières du pays ont annoncé la venue de Dame Hiver, elle portera manteau de névés, bijoux de cristaux et air de transparence.

Ravie, Citrouille sécha ses larmes et suivit la dame.

Ce fut une belle soirée, la soupe, onctueuse, était délicieuse, les rires et les chansons emplissaient la maison. Le soir tomba, le feu joyeux brûlait dans l'âtre. Puis Chevrette regarda par la fenêtre et là, elle les vit, les premiers flocons qui virevoltaient et s'écrasaient sur les carreaux refroidis.

Sans attendre, elle se précipita dehors, imitée par la dame. Sous le regard émerveillé de la chevrette, la pierre devenait blanche, les véhicules disparaissait sous la poudreuse, et les chemins d'asphalte se transformaient en sentes immaculées.

Citrouille, le nez en l'air, redressée, se mit à danser. Puis, de ses pattes elle façonna six petits bonhommes de neige.

Son bonheur était complet. Sa quête, elle avait réalisé.

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