" Comment décrire un son quand il n'y a plus personne pour l'entendre ? "

Telle est l'étrange pensée de THX-Fr1end quand il émerge de sa longue veille.

Dans les tréfonds de ses circuits, une diode s'allume puis une autre. D'abord hésitantes, elles gagnent rapidement en éclat. Un premier flux d'informations remonte le long de ses synapses électroniques. Ses organes de vue s'ouvrent et se ferment plusieurs fois, le temps de faire la mise au point. L'ampoule au sommet de son crâne de laiton scintille. L'espace d'un instant, le filament de cuivre brille faiblement avant de luire dans les ténèbres marécageuses de la maison éventrée.

L'orage magnétique est à présent au-dessus du pavillon de banlieue. THX-Fr1end comprend que c'est la tempête qui l'a sorti des limbes où il se reposait. Il n'a pas encore emmagasiné assez d'énergie pour réussir à se mouvoir ; aussi sonde-t-il les alentours du quartier au maximum que lui permettent ses capteurs tandis qu'un ronronnement presque imperceptible s'agite dans ses entrailles. Son moteur interne et les batteries nucléaires se remettent à tourner.

Ce réveil est comme une naissance.

Lentement, il se souvient, à mesure que le courant se rétablit dans ses neurones, que la graisse noire sirupeuse contenue dans de minuscules capsules sous sa peau de métal irrigue ses articulations. Il était le robot-compagnon de Jimmy. Avec ses parents qui ne rentraient jamais à la maison avant la nuit la plus profonde, il fallait quelqu'un pour aller chercher l'enfant à l'école, s'occuper de lui à la maison et l'aider dans ses devoirs. Jouer avec lui le week-end tandis qu'une multitude d'appareils géraient le quotidien de la famille, de Kitchener-3000 toujours derrière les fourneaux à Gary, le cyborg-jardinier qui taillait les buissons et tondait la pelouse quand le papa de Jimmy était absent. Et qui d'ailleurs le faisait également quand il était là.

Mais, à trop se reposer sur la robotique, l'humanité s'était prise à son propre piège. Quand l'intelligence artificielle avait émergé, les humains n'avaient pas vu le danger. Au contraire, ils s'étaient précipités dans la toile de leur inéluctable annihilation. Le monde avait éclaté sous les bombes atomiques. Qui les avait envoyées ? Les Russes, les Chinois, le programme automatisé de défense de l'armée ? On ne le sut jamais avec certitude. Ceux qui avaient pu s'étaient enfuis, mais leur course semblait sans issue. D'autres, privilégiés, purent se réfugier dans d'immenses bunkers sous-terrains. Juste avant le blackout généralisé, des professeurs de diverses universités à travers le monde s'étaient exprimés, mais il était trop tard. La Terre s'éteignit et retourna à un âge sombre sans technologies.

THX-Fr1end attend patiemment que l'orage s'éloigne. À travers les échardes de verre, il observe ce qu'il reste de Boston. Un silence de mort règne. Seul le vent dans les branches décharnées apporte un semblant de mouvement. Autant que cela soit possible pour un robot, l'inquiétude le gagne. Y a-t-il encore des humains quelque part ? Et Jimmy vit-il toujours ? THX-Fr1end ne souffre d'aucune obsolescence dans son programme. Son unique mission : assurer le bien-être du garçon. Où qu'il se trouve, peu importe le nombre d'années qui se sont écoulées depuis leur séparation ou la distance qui les sépare. Mû par cette unique motivation, le robot se met en route. Mais quelle route emprunter ? Une éternité s'est écoulée et les capteurs de l'androïde restent désespérément muets.

Alors, il choisit une direction au hasard et entame une marche au milieu des décombres d'une contrée en déliquescence sous un ciel de plomb. L'air a un parfum où se mélangent pétrole, suie et marécage, mais THX-Fr1end avance de toute l'énergie que lui permettent ses batteries d'uranium.

Tout à coup, alors que les ombres s'allongent sur les ruines, une voix retentit et vient troubler le sépulcre voilé qui s'étend de part et d'autre de la perception de l'être de laiton :

 " Hé, toi ! Tête d'écrou ! Qui es-tu et qu'est-ce que tu viens fouiner par ici ?

 - Je m'appelle THX-Fr1end et je suis à la recherche de... répond le robot à la lumière intense braquée sur son visage.

 - OK, Freddy ! Tu restes où tu es. Pas de geste brusque ou je te désintègre. "

Le lointain souvenir d'un film policier lui revient en mémoire et il lève les bras au-dessus de sa tête. Freddy ? L'autre l'a-t-il vraiment appelé Freddy ? Et d'ailleurs, qui est cet autre ? Un humain ? Un robot ?