Je pensais pouvoir m'en séparer, de ce carnet, l'ultime, dans lequel j'écrivais il y a des années. Celui qui a goûté mes larmes, mes maux et cette peur latente qui souvent me laissait agonisante. Étendue, longtemps, sur un parquet flottant où mes sanglots faisaient germer des perles de sang, des fleurs maudites aux racines déjà mortes avant d'éclore. C'était le fruit de mon malheur, de ces heures passées à imaginer un monde meilleur dans lequel mon esprit dessinait de jolis leurres. Ceux auxquels j'ai tenté de m'accrocher pour ne pas davantage sombrer. Ceux qui me faisaient respirer lorsque le monde m'anéantissait.

Je pensais pouvoir les brûler, ces croquis dans lesquels s'endormaient d'obscures vérités. Celles tracées de jolies courbes noircies par mes humeurs, ces cris silencieux – ou pas – que je dispersais dans mes paysages aux sombres couleurs, mais que personne ne semblait entendre. Peut-être qu'ils ignoraient ma douleur pour ne pas sécher mes pleurs. C'était une trop grande responsabilité, un fardeau qui pesait sur mes frêles épaules et qui se reflétait dans la psyché, semblable à une camisole recouverte d'aiguilles qui m'arrachaient la peau. Entre les quatre murs d'une chambre bien trop grande, j'ai enfermé les monstres que mes cauchemars engendraient, ceux de ces mots empoisonnés de mes tristes maux.

Je pensais pouvoir m'en débarrasser, de ces souvenirs bien trop ancrés mais les lignes que j'ai si longuement travaillées sont indélébiles sur mon cœur atrophié.

Mes cahiers souillés seront les mémoires d'une enfant traumatisée, d'une jeune femme assassinée qui pourtant n'a jamais été enterrée.

J'ai l'âme en deuil.