Emma

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Emma s'installait dans la chambre 426 au SRC, Service de Recherche Clinique, à l'extrémité du service d'oncologie médicale. Son état de santé précaire avait conduit les médecins à lui proposer les cures de chimiothérapie en hospitalisation. Son état réclamait une surveillance plus attentive que la prise en charge ambulatoire dont elle avait bénéficié jusqu'à présent.

Le médecin lui avait annoncé avec ménagement la nécessité d'une chimiothérapie à vie. « À vie », l'expression restait imprimée dans sa mémoire, trop sympathique pour être honnête. La chimiothérapie avait permis une rémission, rémission « complète » avait précisé son oncologue référent, quatre ans plus tôt. Le soulagement de cette annonce avait pourtant suscité un doute : quelle différence entre rémission complète et guérison ? Elle n'avait pas posé la question, peut-être avec raison. Elle mesurait à présent toute la subtilité du propos.

Emma avait mobilisé toutes ses forces contre la maladie. Attentive à des règles d'hygiène de vie drastiques, elle avait accepté, non sans réticences, l'administration des substances toxiques qui allaient inonder son corps pour sauver sa peau. Elle avait lutté contre les effets secondaires, l'alopécie, les troubles digestifs, les lésions cutanée, les douleurs neurogènes... Aujourd'hui, sa vie ne tenait plus qu'à l'administration de ce poison. Elle en voulait à tous ces auteurs de bouquins à succès qui prétendaient prévenir ou éviter la récidive du cancer avec des poudres de perlinpinpin. L'ennemi, elle le pressentait, était bien trop malin.

Lutter était une seconde nature. Ainée d'une fratrie de dix enfants, elle avait consacré toute sa jeunesse à l'éducation de ses frères et soeurs. Son affection, sa maturité et ses capacités de pédagogue avaient conféré à la jeune femme une place centrale au sein du cercle familial. Son dévouement leur avait permis de rester unis malgré les défaillances parentales. Même lorsque ses frères et soeurs consentaient à l'appeler par son prénom, ils marquaient une intonation entre les deux syllabes "Eh - Ma", interpellant avec humour la figure maternelle de leur aînée.

L'expérience d'une relation parentale dévorée par l'addiction énolique et le conflit conjugal avait eu raison de ses choix de vie. Aucun modèle ne trouvait crédit à ses yeux. Les scènces conjugales avaient nourri, chez elle, un profond dégoût pour toute forme de soumission. A quatorze ans, elle avait endossé le rôle d'une mère de famille nombreuse. Plus tard, elle avait fait le choix affirmé de ne pas fonder la sienne.

Ce choix et son attention pour les autres rendaient ses relations amoureuses tumultueuses. Aucun homme n'acceptait bien longtemps son esprit libre, pas plus que son investissement auprès des plus démunis. Ses conjoints l'accusaient vite de carence affective, lui reprochaient son manque d'exclusivité au profit d'un altruisme débordant pour des inconnus.

Hypersensible à la souffrance d'autrui, Emma avait choisi d'intégrer l'équipe du SAMU social, une manière de s'investir activement contre les affres de la misère devenue invisible dans une société riche. Emma s'indignait, s'indignait tout le temps des injustices que ses concitoyens considéraient comme une simple fatalité.

Le désastre de sa dernière relation amoureuse n'en finissait pas de la questionner. Un soir, Paul avait patiemment attendu son retour tardif. Encore absorbée par la noirceur de la rue, son compagnon s'était approché d'elle sans qu'elle ne mesure son intention. L'insistance de ses lèvres sur sa bouche, la force de l'étreinte, l'insistance de ses caresses sur son corps rebelle, l'avait soudain rendue folle. Elle s'était dégagée avec une force insoupçonnable. Son regard blessant fixait la turgescence monstrueuse de l'amant éconduit. Sa voix glaciale lui intimait l'ordre de disparaitre. Sors de chez moi ! Tire toi !

Emma souffrait de l'échec répétitif de ses relations qui se terminaient dans l'indifférence ou, pire, dans la violence. Après un demi-siècle de vie, elle cherchait toujours désespérément ce lien d'amour indéfectible qu'elle imaginait autre.

« Une chimio à vie » pourquoi pas, si la vie lui réservait cette rencontre.

Même si l'amertume gagnait parfois son humeur, Emma n'était pas prête à baisser les bras.

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