3 - L'envole de l'Etoile Brisée

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Perchée sur un réservoir oxydé, Adda scrutait l'horizon morcelé de l'astroport de Kharg. Sous elle, le dédale de ferraille s'étendait à perte de vue, une jungle de métal où les lois de la survie régnaient en maîtres. Les premières lueurs du jour perçaient timidement l'obscurité, révélant les contours des territoires des clans.

À l'est, les "Oiseaux de Récifs" dominaient les hauteurs. Ces enfants agiles et silencieux étaient des maîtres de l'escalade, se mouvant avec une grâce presque surnaturelle parmi les structures délabrées. Leur chef, un garçon aux yeux d'aigle nommé Kito, veillait sur son domaine depuis le sommet d'une tour de communication.

Plus bas, les "Ferrailleurs" régnaient sur les décharges, un territoire d’acier et de machines cassées. Leurs brassards de métaux polis scintillaient dans la lumière naissante, signe de leur rang et de leur force. Ils étaient les gardiens des trésors enfouis, des reliques du passé que Kharg avait avalées dans ses entrailles.

Au nord, les néons des "Filous du Néon" commençaient à s'estomper avec l'aube. Leur territoire était un labyrinthe de ruelles éclairées de lueurs artificielles, un monde où les trafics et la délinquance régnaient en maître. La chef, Siouxie, une jeune fille à l'allure féline, couverte d’holo-tatouages, surveillait son domaine depuis son “Palais du Vice”, veillant sur ses ouailles et ses affaires secrètes.

Mais Kharg n'était pas seulement le territoire des enfants. Des animaux dangereux rôdaient parmi les décombres, des créatures mutées par les radiations et les produits chimiques qui s'étaient infiltrés dans l'écosystème. Les "Griffes Rouillées", des félins aux pelages hérissés de morceaux de métal, chassaient en meutes, leurs yeux luisant dans l'obscurité.

Certains secteurs étaient marqués par une radioactivité rampante, La Cité Rouge, le domaine des mutants, des êtres déformés par leur environnement, vivant dans les marges, craints et évités par tous. Et puis, il y avait les repaires de contrebandiers et de pirates, nichés dans les profondeurs de l'astroport, des endroits où seuls les plus audacieux ou les plus désespérés osaient s'aventurer.

Un grondement lointain attira l'attention d'Adda. Une navette orbitale rafistolée, bricolée avec des pièces de récupération, s'élevait lentement vers le ciel, crachant des flammes et de la fumée. Sur sa carlingue crasseuse une “Etoile brisée par un éclair” était peinte. L’engin fit un tour sur lui même avant de prendre la direction du Nord. En observant la navette s’éloigner, Adda ressentit le désir ardent de liberté, le rêve de quitter Kharg pour les étoiles, un rêve que beaucoup chérissaient mais que peu atteignaient.

Autour des campements, des colonnes de fumée s'élevaient, signe que la vie s'éveillait. Des odeurs de nourriture réchauffée sur des feux ouverts se mêlaient à l'air frais et brumeux du matin. Le cliquetis des ustensiles, les rires des enfants et les cris des plus grands commençaient à remplir l'espace, une symphonie de vie au milieu des ruines.

Adda, absorbée par ce spectacle, ressentait à la fois la beauté tragique et la dure réalité de Kharg. Ici, chaque jour était un défi, mais aussi une leçon de résilience et d'ingéniosité. Elle savait que pour survivre, pour protéger les siens, elle devait être aussi astucieuse et forte que les habitants de ce monde déchu. Avec un soupir, elle se prépara à descendre dans l'arène de Kharg, prête à affronter un autre jour dans la toile des bas-fonds.

Dans le campement des Escamoteurs, le jour commençait à se lever, dissipant les dernières ombres de la nuit. Autour des feux qui crépitaient doucement, des enfants et des adolescents s'affairaient, certains attisant les flammes, d'autres mangeant les rares vivres disponibles. Des groupes se formaient, discutant et riant, échangeant des histoires sur leurs exploits de la veille.

Adda, en rejoignant le camp, sentait déjà l'effervescence dans l'air. Le troisième jour du mois de Yandi était toujours spécial. C'était le jour du grand Marché des Teknos dans le quartier Est. Elle savait que les ruelles seraient bondées, une marée humaine de visiteurs venus des quatre coins de Kharg, une occasion parfaite pour ceux qui, comme elle, savaient tirer parti du chaos pour dénicher de bonnes affaires et profiter furtivement du contenu de certaines bourses.

Alors qu'elle envisageait déjà son itinéraire à travers le marché, un brouhaha naissant la tira brusquement de ses pensées. Le camp s'agitait, un groupe d'enfants se rassemblant autour d'une petite fille en pleurs. La nouvelle tomba comme un couperet : P'ti Luang avait disparu. Le petit garçon, connu pour sa malice et son sourire espiègle, était sorti pendant la nuit et n'était jamais revenu. Sa sœur jumelle sanglotait à chaude larme.

Immédiatement, le camp s'organisa. Des équipes de recherche se formèrent pour fouiller chaque recoin des Bas-Fonds. Déjà des murmures accusateurs se répandirent : Janjans le Banni, connu pour sa rancœur et sa brutalité, était le coupable désigné.

Adda, le cœur serré, se tourna vers Jax.

« On doit le retrouver, Jax. Avant qu'il ne soit trop tard. »

Ils partirent rapidement, suivant les dernières traces connues du garçon. D’autres leur avait déjà embouté le pas sans succès, et revenait au camp. Armé de bâton et de pierre, les plus hardis criaient “Janjans, on va te faire la peau !". Adda croisa plusieurs groupes qui se dirigeaient vers la “colline des bannis” à la recherche du coupable.

“Et si ce n’était pas Janjans !”, cria Adda.

“Tant pis pour lui, il l’a bien cherché !, lui répondaient les enragés en brandissant leurs massues improvisées.

Adda tira Jax par la manche.

“Il faut vite retrouver P’ti Luang. Janjans est une brute, mais je suis certaine qu’il n’aurait pas fait de mal à Luang !”

“Excuse moi de te dire ça Adda, mais tu es naïve ! Cependant, tu as raison. Il faut en avoir le cœur net”

Remontant la piste, leur recherche les mena à une petite clairière où des traces de lutte étaient visibles : la terre foulée, des branches cassées. Et là, au milieu du désordre, le bâton d'une sucette, celle qu'Adda avait donné à P'ti Luang la veille.

« Regarde, » murmura Jax, pointant vers un objet à demi enfoui sous les feuilles. C'était un gant de cuir noir, visiblement conçu pour une main large et forte. Adda le ramassa, examinant la texture et la taille. Ce gant était bien trop grand pour la main de Janjans.

“J’avais raison”, s’exclama-t-elle

“Il nous faut de l’aide”, répondit simplement Jax.

“Khaad le Chasseur...”, souffla-t-elle.

Ils savaient qu'ils auraient besoin d'un expert que seul le jeune limier du clan des Baroudeurs, pouvait leur offrir. Adda l'admirait pour son habileté et sa détermination, une admiration qui n'était pas sans éveiller une pointe de jalousie chez Jax.

Ils traversèrent les bas-fonds en direction du campement des Baroudeurs, un lieu connu pour son atmosphère rude et sauvage. Leur camp était dressé à l’écart des bas-fonds. Tandis qu'ils approchaient, la cacophonie de l’astroport s'estompaient.

Le campement était un amas de tentes et d'abris de fortune, construits avec des matériaux récupérés. Chaque structure racontait une histoire de survie et d'ingéniosité. Des peaux d'animaux mutants, ornés de symboles de chasse, étaient tendues en guise de toits, et des armes bricolées ornaient les entrées.

Les jeunes Baroudeurs, vêtus de cuirs et de tissus renforcés, vaquaient à leurs activités, certains aiguisant leurs couteaux, d'autres réparant leurs filets ou leurs pièges. Leurs regards étaient durs, forgés par la nécessité de la chasse et la connaissance du danger.

C'est dans cette ambiance de vigilance et d'autosuffisance que Khaad les aborda, sa démarche assurée trahissant une confiance acquise sur le terrain. Ses yeux brillaient d'une lueur sauvage, et son équipement, composé d'une arbalète artisanale et de divers couteaux, attestait de son statut.

« Jax, Adda, » les salua-t-il, un sourire en coin. « Que faites-vous dans notre tanière ? »

Jax, bien que légèrement tendu, répondit avec un respect évident.

« Nous avons besoin de ton aide, Khaad. C'est pour P'ti Luang. »

Adda prit le relais, expliquant la disparition du petit garçon et leur besoin d'un traqueur expérimenté. Khaad écouta attentivement, hochant la tête à plusieurs reprises.

« J'ai entendu parler de ces disparitions, » révéla-t-il. « Quelques-uns des nôtres ont également disparu sans laisser de traces. Et Jairo... » Sa voix se brisa un instant. Jairo était le frère ainé de Khaad. « Jairo, des Oiseaux de Récifs, est aussi introuvable. »

Le lien entre les disparitions semblait se renforcer et après un moment de réflexion, il acquiesça.

« Je vous aiderai. Nous ne pouvons pas laisser ce mystère non résolus. Surtout si cela concerne les nôtres. »

Jax, malgré sa jalousie latente, ne put s'empêcher de ressentir de la gratitude envers Khaad. Adda, quant à elle, sentit son admiration pour le jeune chasseur grandir.

Khaad parti s’équipé, laissant Jax et Adda seul quelques minutes.

« On dirait que tu as un faible pour le grand chasseur, » lança Jax avec un sourir de coin.

Adda rougit légèrement, mais rétorqua sèchement.

« Concentre-toi sur la traque, Jax. P'ti Luang est notre priorité. »

Khaad revint. Il portait une corde, enroulée autour de ses épaules, et deux outres d’eau. Sans un mot, il les tendit à Jax et Adda, ainsi qu’un couteau à la lame impressionnante pour Jax. Pour Adda il avait choisi une ceinture de cuir dans laquelle était fiché trois dagues, équilibrée et destinée à être lancée.

Armé de son arbalète artisanale et d’un javelot de chasse, Khaad fit un signe et se mit en route. Jax fit une moue significative, Khaad n’était pas bavard, mais son silence imposait le respect.

De retour sur la scène du drame, le chasseur observa avec attention les indices invisibles que les évènements avait laissé. Avec une précision stupéfiante il mima certains gestes, reconstituant le court affrontement qui s’était déroulé ici, dans la nuit. Puis, sans crier garde, il s'élança dans la direction du Nord.

“Venez”, ordonna t-il

Il les guida avec assurance. Ses yeux perçants scrutaient le sol, déchiffrant chaque marque, chaque indice. Adda fut impressionnée par sa capacité à lire les signes les plus infimes.

« Par ici, » indiqua Khaad, désignant des traces fraîches. « Deux hommes, l'un portant un fardeau. »

Ils progressaient avec prudence depuis plus d’une heure lorsque Khaad s'arrêta net, un doigt sur les lèvres. Un grondement sourd résonna, suivi de la silhouette menaçante d'une Griffes Rouillée. L'animal, un félin mutant aux griffes acérées, couverte de plaque métallique couleur rouille, fixait le groupe avec une faim sauvage dans les yeux.

Avant qu'Adda ou Jax n'aient eu le temps de réagir, Khaad arma sa redoutable arbalète. Un carreau siffla à travers l'air, se plantant avec précision entre deux plaques.

“Courrez !”, cria Khaad en rechargeant son arme.

Les secondes qui suivirent le feulement terrifiant de la Griffes Rouillée s'étirèrent comme des heures. Le félin, blessé mais loin d'être vaincu, se lança dans une course effrénée, ses griffes acérées raclant le métal, produisant des étincelles à chaque bond.

Adda et Jax, pétrifiés, regardèrent le monstre fondre sur eux.

"Courrez !" réitéra Khaad, son arbalète déjà rechargée. Mais Adda savait qu'ils ne pouvaient pas simplement fuir. La bête était trop rapide, trop féroce.

Dans un réflexe de survie, Adda se détourna, filant vers une carcasse de vaisseau proche. Derrière elle, le grondement de la créature résonnait, un son primal qui gelait le sang dans ses veines. Elle entendit Jax crier, tentant désespérément de distraire le félin, sa voix portée par l'adrénaline.

Adda atteignit une alcôve de réacteur, un abri étroit fait de titane. Elle se glissa à l'intérieur, son cœur battant à tout rompre. De l'extérieur, les griffes du félin raclaient le métal, cherchant une prise, mais le titane résistait, formant une barrière impénétrable.

Jax, dans un acte de bravoure, attira l'attention de la bête, courant en zigzag, criant pour la détourner de Adda. Khaad, positionné plus haut, visait avec précision, attendant le moment propice pour tirer.

Le félin, dérouté par les cris de Jax, changea de cible et se lança à sa poursuite. Jax, poussé par le désespoir, grimpa sur une pile de débris, tentant d'échapper aux griffes mortelles. Le carreau de Khaad siffla blessant le félin pour la seconde fois. Dans sa hâte, Jax glissa, entraînant la bête avec lui dans sa chute.

Un fracas assourdissant retentit lorsque les deux corps s'écrasèrent au sol. Adda, depuis son abri, criait le nom de Jax, la terreur étreignant son cœur. Khaad, d'un geste rapide et sûr, décocha un dernier carreau, mettant fin à la menace de la Griffes Rouillée.

La créature s'effondra, inerte, son corps massif recouvrant Jax. Adda sortit précipitamment de sa cachette, courant vers son ami. Lorsqu'elle atteignit le tas de ferraille et de chair, son cœur se serra. Jax était sous l'animal, immobile.

Avec l'aide de Khaad, ils retirèrent le corps du félin. Jax était assommé, mais vivant, respirant faiblement. Il avait une estafilade sanglante sur l'épaule et son corps portait les marques de la chute. Adda le secoua doucement, appelant son nom.

Les yeux de Jax s'ouvrirent lentement, un gémissement de douleur s'échappant de ses lèvres.

“j'ai... J'ai réussi à le distraire ?, marmonna-t-il en grimaçant, un faible sourire sur ses lèvres contusionnées.

Adda, les larmes aux yeux, laissa échapper un soupir de soulagement, mêlé à un rire nerveux.

“Oui, Jax. Tu as été incroyable.”

Khaad surveillait les environs, son visage durci par la bataille mais ses yeux révélant un respect nouveau pour Jax.

"Les Griffes rouillées ne chasses pas en solitaire. Il faut partir”, dit Khaad.

La panique passée, ils reprirent leur progression, suivant les traces laissées par les ravisseurs de P'ti Luang. Khaad, imperturbable, guidait le groupe avec une assurance qui contrastait avec la terreur qui avait un instant étreint le cœur des deux autres. Ils arrivèrent finalement à une clairière dans la jungle de métal, un endroit isolé où les traces de décollage d'une navette étaient évidentes. Le sol était retourné, marqué par les brûlures et la calamine.

Adda se rappela alors la navette qu'elle avait vue s'élever dans le ciel au petit matin. « C'était eux, » murmura-t-elle, une pointe d'espoir mêlée à la frustration dans sa voix. « Ils ont emmené P'ti Luang vers le Nord. »

Jax, regardant les traces, serra les poings. « On doit le retrouver, Adda. On ne peut pas les laisser emmener l'un des nôtres. »

Khaad, remettant son arbalète en bandoulière, acquiesça. « Je vous aiderai. Nous retrouverons P'ti Luang, quel qu'en soit le prix. »

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