6 - Le bâton et la fronde
L'abri, un recoin oublié dans les entrailles des bas-fonds de Kharg, était baigné dans une pénombre apaisante. Là, loin du tumulte incessant du souk, Adda contemplait silencieusement la flamme vacillante d'une lampe à huile. Ses pensées vagabondaient, se perdant entre l'excitation de leur futur départ et l'appréhension qui serrait son cœur. Chaque ombre dansante sur les murs semblait lui murmurer des histoires de dangers et de mystères anciens.
À ses côtés, Jax, Janjans et Khaad se tenaient dans une attente respectueuse, comprenant qu'Adda, avec sa sensibilité aiguë et sa perception profonde, méritait ce moment de réflexion. La pièce, spartiate, était meublée de caisses en bois et de couvertures rapiécées.
Finalement, Adda rompit le silence, sa voix douce mais ferme résonnant contre les parois métalliques.
« Je ne peux m'empêcher de penser à toutes les légendes sur la Cité Rouge... et à ce que nous pourrions y trouver. »
Jax, s'adossant contre un pilier rouillé, répondit avec un optimisme mesuré.
« C'est vrai, les histoires parlent de dangers, mais aussi d'anciens secrets. C'est notre chance de découvrir la vérité. »
Le regard d'Adda se tourna vers Janjans, qui jouait distraitement avec un couteau.
« Et Garvax... Après tout ce temps, que sait il vraiment ? Et si ses souvenirs sont trop douloureux pour qu'il les partage ? »
« On ne saura jamais si on n'essaie pas, » dit Jax, cherchant à rassurer Adda. « Et on le fera ensemble. C'est ça qui compte. »
Khaad, dont les yeux avaient suivi les mouvements d'une araignée métallique grimpant le long du mur, intervint doucement.
« La Cité Rouge a ses mystères, mais j'ai vu pire dans les forêts de ferraille. On a les compétences pour ça. »
Adda acquiesça, absorbant leurs paroles.
« Alors préparons-nous. Chaque détail compte. Chaque pièce d'équipement, chaque information que nous pourrons rassembler. »
Khaad proposa,
« On devrait d'abord cartographier les zones les moins irradiées. J'ai entendu parler d'un ancien réseau de tunnels qui pourrait nous y conduire. »
Adda hocha la tête, inspirée par l'idée.
« Et pour en savoir plus sur la Cité Rouge, je propose qu'on aille au Souk, dans le quartier des “Pages Perdues”. Mama m'a souvent parlé d'Hobo le Bibliothécaire. Il connaît des légendes et des histoires qui pourraient nous aider. »
« Bonne idée, » acquiesça Jax. « Et moi, je vais préparer des gadgets qui pourraient nous être utiles. Un drone espion, peut-être, et d'autres outils pour nous faciliter notre exploration. »
Janjans, réfléchissant à son tour, ajouta :
« Je connais une ancienne Ferrailleuse qui a rejoint les Baroudeur. C’est une pro des techniques de combat ! Cela pourraient nous être utiles contre les créatures mutantes. Zarra pourrait nous entraîner. »
« Parfait, » conclut Adda. « Chacun de nous sait ce qu’il a à faire. Avec une bonne préparation, on peut faire face à n'importe quel danger. »
Le lendemain, dans une clairière reculée du cimetière d’épave, un fragment secret du clan des Baroudeurs, l'air matinal était encore frais, chargé de promesses et d'espoirs. C'était ici que Zarra la Téméraire avait convoqué ses protégés pour un entraînement qui promettait d'être aussi rigoureux qu'enrichissant.
Janjans fut le premier à arriver, son cœur battant d'excitation à l'idée de croiser le fer. Du temps où Zarra appartenait au clan des Ferrailleurs, il l’avait toujours admirée pour sa force brute mêlée à une élégance sauvage, une combinaison rare dans les bas-fonds. Adda et Jax le rejoignirent peu après.
Zarra les accueillit avec un sourire éclatant, ses muscles roulant sous sa peau bronzée. Elle brandissait un bâton d'entraînement.
« Bienvenue, jeunes guerriers, » lança-t-elle. « Aujourd'hui, vous apprendrez la danse du bâton, le rythme de la survie. »
L'espace était vaste, entouré d'épaves centenaires, leurs structures formant un dais protecteur. La lumière du soleil filtrait à travers les cloisons ajourées, créant des motifs de lumière et d'ombre qui dansaient sur le sol.
Zarra brandit un long bâton, son arme de prédilection, avec une aisance qui trahissait des années de pratique.
« Le maniement du bâton, » commença-t-elle, sa voix ferme et claire, « est un art qui requiert à la fois force et grâce. »
Elle se lança alors dans une série de mouvements fluides, presque hypnotiques. Chaque rotation, chaque frappe était exécutée avec une précision et une élégance qui donnaient l'impression que Zarra et son bâton ne faisaient qu'un. Les flaques de lumières environnantes semblaient danser au rythme de ses mouvements, créant une mélodie visuelle qui captivait les spectateurs.
« Le bâton est un prolongement de votre bras, une extension de votre volonté, » expliqua-t-elle. « Vous devez le sentir, le laisser guider vos mouvements. Ne luttez pas contre lui ; dansez avec lui. »
Janjans, impressionné et un peu intimidé, saisit son propre bâton. Ses premiers essais furent maladroits, ses mouvements hésitants et désynchronisés. Il semblait lutter contre le bâton plutôt que de s'harmoniser avec lui. À un moment, alors qu'il perdait l'équilibre, Zarra s'approcha rapidement, sa main forte saisissant la sienne pour ajuster sa posture. Leur proximité soudaine fit monter une chaleur inattendue dans les joues de Janjans. Zarra lui offrit un sourire encourageant, ses yeux pétillant d'un mélange de malice et d'approbation.
« Relax, Janjans. Respire. Sent le poids du bâton, son équilibre. Laisse le devenir une extension naturelle de votre corps, » dit-elle doucement.
Autour d'eux, quelques enfants des clans voisins s'étaient rassemblés, attirés par le bruit de l'entraînement. Ils observaient avec admiration, chuchotant entre eux. L'un d'eux, un jeune garçon aux yeux écarquillés, murmura à son ami : « Regarde comme elle bouge… C'est comme si elle dansait avec le vent. »
Encouragé par les conseils de Zarra et les regards curieux des spectateurs, Janjans recommença, cette fois avec plus de fluidité. Il commençait à sentir le rythme, la musique du bâton dans l'air, son corps répondant naturellement aux mouvements. Zarra recula, un sourire de satisfaction sur les lèvres, observant son élève commencer à maîtriser l'art du bâton.
À l'écart de l'intense entraînement de Janjans, Adda et Jax se concentrée sur le maniement de la fronde. Dans leurs mains, l'instrument humble mais redoutable semblait prendre vie. Les boulons qu'ils lançait sifflaient dans l'air, traçant des arcs presque parfaits avant de frapper, ou pas, les cibles improvisées - des boîtes de conserve et des bouts de ferrailles alignées sur un vieux capot d’aéro-taxi
Chaque tir était un spectacle en soi, attirant l'attention des enfants curieux qui s'étaient rassemblés pour observer. Ils chuchotaient entre eux, émerveillés par la dextérité d'Adda, commentant chaque coup réussi avec des exclamations admiratives.
« Regarde ça ! Elle ne rate jamais sa cible, » murmura l'un d'eux, ses yeux écarquillés d'étonnement.
Adda, entendant les murmures, ne laissait pas la distraction la perturber. Elle chargeait la fronde avec un nouveau boulon, ses yeux se plissant légèrement. Avec un mouvement fluide et gracieux, elle lâchait le boulon qui filait dans les airs pour venir se loger exactement où elle l'avait prévu.
« J'ai toujours eu l'œil pour ça, » dit-elle, un sourire triomphant illuminant son visage alors qu'elle se tournait vers Jax. L'admiration était claire dans le regard de Jax, qui avait observé chaque tir avec une attention croissante.
Il l'applaudit, enthousiaste.
« Tu vas nous sauver la mise avec cette fronde, Adda. Je n'ai jamais vu quelqu'un d'aussi doué que toi. »
Adda rougit légèrement sous le compliment, mais ses yeux brillaient d'un éclat de fierté.
« Eh bien, espérons que ça nous serve dans la Cité Rouge. »
Les enfants spectateurs s'étaient rapprochés, certains osant même demander à Adda de leur montrer comment elle faisait. Avec une patience et une gentillesse surprenantes, Adda accepta, expliquant les bases de la fronde et les principes de la visée.
« C'est tout dans le poignet et dans l'œil, » expliqua-t-elle, montrant comment tenir la fronde et comment mesurer la trajectoire du tir.
Les enfants, écoutant attentivement, tentaient de reproduire ses mouvements, leurs premiers essais étant maladroits mais déterminés. Adda les encourageait, corrigeant leurs postures et leurs prises.
La matinée touchée à sa fin. À l'ombre bienfaisante d'un grand panneau arcbouté, les enfants s'assirent en cercle pour une pause bien méritée. Zarra sortit de son sac quelques provisions - des fruits secs, des galettes de Spou et une gourde d'eau - et les partagea avec Janjans, Adda et Jax. Ils accueillirent la nourriture avec gratitude, leurs estomacs gargouillant après l'intense entraînement du matin.
« Alors, prêts à affronter le marais des mutants ? » demanda Zarra en croquant dans un fruit sec.
Janjans, voulant impressionner, bomba le torse. « Les mutants ne me font pas peur. Je suis prêt à affronter n'importe quel défi. »
Zarra lui lança un regard amusé et lui prit la main. « La bravoure est une chose, Janjans, mais la prudence en est une autre. J'ai exploré les abords du marais une fois. C'est un endroit… étrange. »
Adda, intéressée, s'approcha. « Comment c'est, là-bas ? »
Zarra, les yeux perdus dans le lointain, semblait revivre ses souvenirs alors qu'elle décrivait les marais des mutants. Elle prit une profonde inspiration, ses mots chargés d'une intensité qui captiva immédiatement son auditoire.
« Imaginez un monde abandonné, un labyrinthe chaotique de ferrailles et de structures effondrées, » commença-t-elle, sa voix prenant une teinte mélancolique. « Là-bas, la nature et la machine se sont entremêlées de manière étrange, créant un paysage surréaliste. »
Elle fit une pause, rassemblant ses souvenirs.
« Lors de notre expédition, nous avons traversé des champs de métal tordu, où des plantes mutantes s'enroulaient autour des carcasses de vieux véhicules. Ces plantes... elles avaient des veines pulsant d'un liquide fluorescent, presque comme si elles étaient vivantes. »
Les enfants l'écoutaient, suspendus à ses lèvres, imaginant le paysage étrange qu'elle dépeignait.
« Et les animaux, » poursuivit-elle, « c'était comme si chaque créature avait évolué pour survivre dans ce désert de métal. Nous avons vu des oiseaux, mais pas comme ceux que vous connaissez. Leurs ailes étaient partiellement métalliques, battant avec un son cliquetant. Ils planaient au-dessus de nous, leurs yeux brillant d'un éclat étrangement mécanique. »
Janjans, intrigué mais également effrayé, demanda :
« Et vous avez vu des Ronges-fer ? »
Zarra hocha la tête. « Oui, des rats aussi gros que des chiens, avec des dents acérées comme des lames de rasoir. Ils se déplaçaient en bandes, dans l'obscurité des tunnels. Il fallait être extrêmement prudent pour ne pas attirer leur attention car ils ne détestent pas un peu de chair fraiche à l’occasion. »
Zarra continuait, décrivant comment son groupe avait dû naviguer avec précaution à travers ce labyrinthe post-apocalyptique, évitant les dangers cachés et les pièges mortels.
« On sentait… on sentait que ce lieu avait ses propres règles, » conclut-elle. « C'était à la fois terrifiant et fascinant. Comme si chaque pas nous rapprochait d'un secret ancestral, enfoui sous les strates de ferraille. »
Les enfants restèrent silencieux un moment après que Zarra eut terminé son récit, digérant les images et les sensations que ses mots avaient évoquées. Leur perception du marais des mutants, et de la Cité Rouge au-delà, était désormais teintée de respect, de crainte et de curiosité.
Zarra, sa voix soudainement plus basse, attira l'attention des enfants avec une gravité nouvelle.
« Et puis, il y a le Maître du Cervex... » Elle marqua une pause, comme si les mots qu'elle s'apprêtait à prononcer portaient un poids énorme.
« Dans les profondeurs des marais, j'ai vu des choses… des choses qui m'ont fait douter de la réalité. »
Les enfants, sentant le changement de ton, se rapprochèrent instinctivement, absorbant l'atmosphère chargée de mystère que Zarra créait.
« Là-bas, les mutants ont érigé d'étranges totems, » continua-t-elle. « De hautes structures de ferrailles, tordues et entrelacées, formant des représentations d'un homme-machine. Il était couvert de câbles, de pièces électroniques... une fusion cauchemardesque de chair et de métal. »
Elle fit une pause, son regard se perdant un instant dans les souvenirs.
« Ces totems… ils sont partout dans les marais, vénérés par les mutants. Une figure de culte pour eux, une divinité de métal et de mystère. »
Zarra raconta alors sa rencontre avec quelques mutants inoffensifs de la tribu des "Mangeurs de Rouille".
« Ils étaient méfiants, mais pas hostiles. Ils m'ont parlé du maître du Cervex. Toutes les tribus mutantes le vénèrent, même les terrifiants "Suceurs de Crâne". »
« Le maître du Cervex ? » répéta Janjans, intrigué et légèrement effrayé. « Qu'est-ce que ça signifie ? »
Zarra secoua la tête, un frisson parcourant son échine. « Je l'ignore. Ils parlaient avec tant de révérence, mais aussi de crainte. Ce n'est pas juste un mythe pour eux, il est réel, puissant. Mais ce qu'est réellement le Cervex... ça reste un mystère. »
Adda, absorbant chaque mot, sentit une bouffée d'anxiété. Le groupe resta silencieux, chacun ruminant les paroles de Zarra.
Ils finirent leur repas en silence. Les légendes entourant le marais, les totems mystérieux et le Cervex... Ce n'était plus seulement une quête pour retrouver Luang, mais une plongée dans un monde où les légendes prenaient vie, où le mythe et la réalité se mêlaient inextricablement.
L’arrivé de Khaad changea l’atmosphère. Avec son allure assurée et un sourire rare mais sincère, il apportait avec lui des nouvelles qui allaient redéfinir le cours de leur aventure.
« Bonne nouvelle, » annonça-t-il à Zarra, captant l'attention de tous. « Le conseil des clans a accepté ta requête de nous accompagner dans l'exploration de la Cité Rouge. »
À ces mots, Janjans bondit sur ses pieds, un mélange d'excitation et d'admiration illuminait son visage. Il se tourna vers Zarra, son sourire trahissant un éventail d'émotions - du respect, de l'enthousiasme, peut-être même plus.
Zarra, accueillant la nouvelle avec une joie non dissimulée, répondit avec une assurance qui lui était propre.
« Je ne pouvais pas vous laisser partir sans moi, » dit-elle, ses yeux pétillant d'une énergie contagieuse. « Je connais bien les marais des mutants et j’ai toujours rêvé d’explorer la Cité Rouge. Cette expédition est faite pour moi. »
Elle adressa ensuite un clin d'œil à Janjans, qui, incapable de contenir sa joie, laissa échapper un éclat de rire enthousiaste. Adda et Jax, observant l'échange, ne purent s'empêcher de sourire eux aussi.
Alors que le soleil commençait à disparaître derrière les carcasses, jetant une lumière dorée sur le groupe, la Cité Rouge, avec tous ses mystères et dangers, semblait soudainement moins intimidante.
« Avec Zarra à nos côtés, nous sommes invincibles, » déclara Janjans.
« Invincibles et aussi prudents, » ajouta Zarra avec un sourire bienveillant.
L'entraînement se poursuivit jusqu’à l’aube dans une ambiance détendue, ponctuée de rires et de taquineries. Zarra, malgré son expertise, ne manquait jamais une occasion de plaisanter. Ses conseils étaient précieux, et chacun progressait à vue d'œil. Le soleil commençait doucement sa descente, teintant le ciel de nuances orangées et roses. Zarra, observant ses élèves, affichait une mine satisfaite. Elle s'approcha du groupe, ses muscles se détendant après l'intense session.
« Vous avez tous fait d'énormes progrès aujourd'hui, » dit-elle, un sourire chaleureux éclairant son visage. « Surtout toi, Janjans. Tu seras bientôt prêt à me défier. »
Janjans, essuyant la sueur de son front avec le dos de sa main, lui rendit son sourire. « Je compte bien te surprendre un de ces jours, Zarra. »
« J'ai hâte de voir ça, » répondit-elle avec un clin d'œil. « Et souviens-toi, dans la Cité Rouge, ce ne seront pas que des entraînements. Soyez vigilants, restez ensemble. »
Ils acquiescèrent, comprenant la gravité de ses paroles. Leur entraînement n'était pas seulement un moyen de se préparer physiquement, mais aussi de renforcer leur esprit d'équipe.
Alors qu'ils quittaient la clairière, le soleil couchant créait un jeu d'ombres et de lumière sur leur chemin. Leurs rires et leurs conversations se mêlaient à la douce brise du soir, formant une mélodie d'amitié et de camaraderie.
« Vous pensez qu'on sera vraiment prêts ? » demanda Jax, un soupçon d'incertitude dans sa voix.
« Avec Zarra, comment pourrait-on ne pas l'être ? » rétorqua Janjans avec assurance.
Ils continuèrent leur chemin, leurs pas synchronisés, unis par les liens d’amitié qu'ils avaient tissés, prêt à relever les défis de la Cité Rouge.
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