10 - Miräa des Roseaux
Non loin de là, les mêmes premiers rayons du jour percèrent timidement l'enchevêtrement dense des branches et des ruines des Marais. Une scène fragile et émouvante se révélait sous la lumière naissante. Zarra, avec une détermination mêlée d'inquiétude, s'activait dans leur campement de fortune. Autour d'eux, un abri précaire s'élevait, composé de branchages entrelacés et de bois surélevés, conçu pour les protéger des dangers rampants du marais.
Au centre de cette construction rudimentaire, Janjans gisait, son corps inerte couvert de lacérations profondes. La fièvre l'avait plongé dans un état de semi-conscience, son souffle saccadé révélait une bataille intérieure contre la douleur et le poison.
« Nelly, regarde, les étoiles sont si belles ce soir, » murmura Janjans, la voix emplie d'un délire fiévreux. Il se croyait des années en arrière, parlant à sa grande sœur disparue.
Zarra, s'agenouillant à ses côtés, lui caressa doucement le front. « Oui, Janjans, les étoiles sont magnifiques », répondit-elle, jouant le jeu de ses hallucinations pour le rassurer.
« Tu te souviens quand on comptait les étoiles ? » continu a-t-il, un sourire triste éclairant brièvement son visage. « Tu m'avais dit que chaque étoile était un rêve. Mais j'ai arrêté de rêver quand... quand tu es partie. »
Zarra sentit une pointe de douleur dans son cœur. Les mots de Janjans, bien qu'issus de son délire, révélaient une vérité douloureuse, sur son sentiment de culpabilité et son chagrin, depuis la mort de sa sœur. Elle prit sa main, cherchant à lui apporter un peu de réconfort.
« Tu as toujours été là pour moi, même dans mes rêves », poursuivit-il, sa voix se brisant. « Pourquoi m'as-tu laissé, grande sœur ? Je suis désolé... tellement désolé. »
Dans le silence du marais, sous le regard bienveillant des premières lueurs du jour, Zarra resta à ses côtés, écoutant ses divagations, témoignage poignant d’une terrible bataille intérieure, cicatrices cachées de ses regrets enfouis.
Dans les fragile lueurs de l'aube, les murmures de Zarra se mêlaient aux chants du vent dans les branches tortueuses des Marais Mutants. Sa voix, fragile, s’élevait voilée d'angoisse dans l'air frais du matin.
« Reste avec moi, Janjans, » suppliait-elle, tandis que ses mains, agitées par une tempête invisible, cherchaient fébrilement dans son sac les outils pour allumer un feu. Elle s’arrêta net, les sens en alerte. Regardant vers le rideau de brume, elle releva la tête.
Soudain, le craquement d'une branche vint percer le silence, tranchant l'air avec la netteté d'une lame. De l'ombre surgirent deux frêles silhouettes, leur peau scintillant d'écailles multicolores. La femelle, étreignant un enfant contre son cœur, avançait prudemment. Ses yeux, grands et inquiets, étaient le miroir de la peur. Zarra, immobile, retenait son souffle. Son cœur battait au rythme d'un tambour lointain tandis que sa main glissait imperceptiblement vers son couteau de chasse. Elle observa, captivée, la femelle mutante. Cette dernière, tout aussi méfiante, la fixait du regard, on devinait son corps tendu prêts à bondir à la moindre menace. Dans cet interlude de silence, un fragile équilibre de défiance et de fascination s'établit. Chaque instant pouvait basculer vers la confiance ou l'affrontement.
Le calme, qui régnait tel un voile fragile sur le marais, fut soudain déchiré par l'apparition inattendue de deux mutants. Puissants et massifs, ils émergeaient de la brume comme des fantômes de cauchemar. Leur physique imposant était marqué par des excroissances de chair, donnant à leur peau une texture boursouflée et inhumaine. Leur visage, dominé par une crête nasale proéminente, se prolongeait en un rostre long et violacé, semblable à une arme naturelle terrifiante.
Sur leurs corps musclés, un réseau complexe de scarifications se dessinait, racontant les stigmates de rites ancestraux. Des tatouages aux motifs insensés s'enroulaient autour de leurs membres, des spirales qui semblaient danser à chaque mouvement. Des ornements barbares - os, dents, et métaux - pendaient à leurs cous et s'entrelaçaient dans leurs cheveux hirsutes.
Le plus saisissant était la manière dont ils se déplaçaient. Penché vers l’avant, bras tendus vers l'arrière, ils glissaient au-dessus du sol boueux, à peine à quelques centimètres de la surface. Ils volaient, ou plutôt, ils lévitaient, propulsés par une force intérieure crépitante, une puissance kinesthésique surnaturelle qui les entourait comme une aura maléfique. L'air autour d'eux semblait vibrer, chargé d'une énergie qui défiait les lois de la nature.
Cette apparition était à la fois fascinante et terrifiante. Les piercings qui traversaient leur peau et leurs lèvres brillaient d'un éclat sombre, tandis que leurs yeux, injectés de sang, fixaient le groupe avec une intension féroce.
A cet instant, Zarra se rendit compte qu'elle était face à des créatures qui puisaient leur force dans les abysses des marais.
Le silence oppressant des marais fut brusquement rompu par les souffles rauques des mutants. Lorsqu'ils aperçurent la mutante, leurs respirations gutturales se transformèrent en clameurs sauvages et féroces, comme si ces rugissements libéraient la sauvagerie enfouie et contenue en eux.
Mais ils ne s'attendaient pas à la riposte de Zarra. Elle, qui avait survécu a mille périls, réagit avec l'instinct et la rapidité d'une guerrière. Brandissant son arbalète avec assurance, elle visa sans trembler. Le carreau fendit l'air, traça comme une ombre, avant de trouver sa cible. Il frappa le premier mutant en plein front, éclatant l'os frontal dans un craquement macabre. La créature s'effondra !
Le second mutant, galvanisé par la chute de son compagnon, se lança à l’attaque. Ses mouvements, étaient étonnamment rapides. Il se déplaçait avec une férocité animale, ses yeux injectés de sang fixés sur Zarra.
Zarra se prépara à l'affrontement. Son cœur battait à tout rompre, calculant les mouvements possibles de son adversaire. Elle savait que la bataille serait rude.
Le combat qui explosa entre Zarra et le mutant se métamorphosa rapidement en une lutte furieuse et sans merci, un véritable ballet de violence où chaque mouvement, chaque esquive revêtait une importance capitale. Zarra, évoquant la grâce et la vitesse d'une panthère, maniait son couteau avec une précision chirurgicale. Chaque parade, chaque riposte était calculée et exécutée avec une précision d'escrimeuse, tranchant l'air en réponse aux assauts brutaux du mutant. Ce dernier, doté d'une force surhumaine et de la capacité à léviter, se lançait dans des attaques plongeantes, se propulsant dans les airs et fondant sur Zarra comme un rapace sur sa proie.
Malgré sa rapidité et sa force, Zarra ne put éviter tous les assauts du mutant. Une attaque particulièrement violente l'atteignit de plein fouet, la projetant avec force contre un tronc d'arbre. Son épaule encaissa le choc, une douleur aiguë se propageant immédiatement dans tout son corps. Le souffle coupé, elle lutta pour reprendre ses esprits, refusant de céder à la douleur.
Avec une agilité digne d'une acrobate, Zarra se remit en position de combat. Ses pieds dessinaient des arabesques sur le sol boueux, esquivant les attaques successives du mutant avec des mouvements fluides et précis. Son couteau, tel une extension de son bras, traçait des arcs mortels dans l'air, parant et ripostant à chaque offensive de son adversaire.
Lorsque le mutant prit de nouveau son envol pour une attaque plongeante, Zarra, anticipant sa trajectoire, s'élança avec une rapidité fulgurante. Dans un mouvement de contre-attaque audacieux, elle glissa sous lui et le frappa de toutes ses forces. La lame de son couteau, cependant, rencontra la résistance du cuir épais du mutant, ne parvenant qu'à peine à le transpercer.
La fatigue commençait à peser sur les épaules de Zarra, mais sa détermination restait inébranlable. Lors de l'ultime assaut du mutant, elle pivota sur elle-même, évitant de justesse une nouvelle attaque meurtrière. Dans un éclair de génie tactique, elle exploita un moment de déséquilibre chez son ennemi et, rassemblant ses dernières réserves d'énergie, elle lui asséna un coup décisif. Son couteau s'enfonça profondément dans le flanc gauche du mutant, trouvant enfin le chemin de ses organes vitaux.
Alors que le mutant s'effondrait dans un dernier râle, Zarra se laissa tomber contre un arbre, reprenant son souffle avec difficulté. Son corps était meurtri, son épaule et son dos lui faisaient un mal de chien, mais elle était vivante. Dans ses yeux, malgré la douleur et l'épuisement, brillait une lueur de triomphe. Elle avait survécu à un ennemi redoutable, affirmant une fois de plus sa place parmi les guerriers de ces marais impitoyables.
Le silence régna après le combat. Le marais tout entier avait décidé de respecter ce moment de triomphe et de stupeur. Zarra se tourna vers la mutante, malgré la douleur lancinante qui lui déchirait le dos.
"Aide... besoin d'aide," implora Zarra doucement, ses mains esquissant des gestes désespérés vers Janjans, gisant blessé sur le sol humide des marais.
La mutante, dont les traits étaient adoucis par une compréhension silencieuse, hocha prudemment la tête. Ses yeux, d'un éclat vif et intelligent, reflétaient une empathie inattendue. Elle se leva, s'engageant dans le sous-bois dense et mystérieux des Marais Mutants.
Sa silhouette élancée se faufilait avec une grâce naturelle à travers les arbres et les buissons. Sa peau, parsemée de fines écailles vertes mouchetées de taches claires, semblait capter et jouer avec les derniers rayons de l'aube. Sous cette lumière diffuse, elle brillait d'un éclat doux et surnaturel. Ses cheveux, longs et fluides comme des algues marines, ondulaient derrière elle, se mêlant à l'air frais du matin.
Avec une facilité qui trahissait sa connaissance des lieux, elle identifia et cueillit des herbes. Ses mains expertes récoltaient avec soin des feuilles, des fleurs et des racines connues pour leurs qualités antibiotiques et antiseptiques. Elle trouva un arbre à la sève épaisse réputée pour ses vertus cicatrisantes. Avec une délicatesse presque rituelle, elle récolta la pate bleutée, la recueillant dans un récipient fait de feuilles tressées.
Revenant vers Zarra et Janjans, la mutante s'agenouilla près du jeune homme blessé. Ses gestes, à la fois doux et précis, trahissaient une expertise qui semblait se transmettre de génération en génération. Elle appliqua avec soin les onguents sur les blessures de Janjans, les mélangeant à la sève pour créer un cataplasme improvisé mais efficace.
Zarra, observant attentivement, sentit une connexion silencieuse se formait avec la mutante, un pont fragile entre deux mondes.
Pendant que Miräa s'affairait auprès de Janjans, Zarra cherchait à tisser des liens de compréhension.
"Pourquoi... ces mutants vous pourchassent-ils ?" interrogea-t-elle en pointant du doigt les corps inanimés des deux mutants. Ses gestes étaient exagérés, espérant franchir la barrière linguistique.
Miräa, qui avait été baptisée du nom mélodieux de sa lignée, s'arrêta un instant et se tourna vers Zarra. Ses mots étaient un mélange curieux, un amalgame de l'EmGal standard et de tournures archaïques, rappelant le français parlé par les premiers colons de Kharg.
"Suceurs… Crânes... toujours chassent. Nous... fuyons," articula-t-elle, sa voix chantante malgré la gravité du sujet. "Moi, Miräa. Lui, mon fils, Eloï." Elle indiqua les corps des mutants, ajoutant, "Ils... de groupe rival. Mauvais, très mauvais."
Zarra, absorbant chaque mot, chaque geste, sentit les pièces du puzzle se mettre en place.
"Nous... différents d'eux. Nous... amis," tenta-t-elle, en articulant lentement pour faciliter la compréhension.
Miräa observa Zarra un long moment, ses yeux brillants d'une intelligence aiguisée. Puis, elle regarda Janjans, allongé et soigné, avant de revenir sur Zarra.
"Amis," répéta-t-elle, son visage s'illuminant d'un sourire timide. "Bon… amis."
"Votre... monde... difficile," continua Zarra, cherchant à élargir le dialogue.
Miräa acquiesça.
"Oui, difficile. Mais... survivre, nous devons."
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