Chapitre II - Emotions Marines

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Ne pas faire de vagues. C’est ce que je préfère, généralement. En parlant d'univers marin, ça me donne des idées. Enfin, je sais que j'ai été prise pour une imbécile, essayer de lutter n'y changera rien. Cette seule pensée me met hors de moi et, malgré mon comportement habituellement affable, je claque violemment la porte de l'agence où je travaillais en sortant. Je quitte tout.

Cette routine, cette petite mort semblait venir d’un quotidien devenu trop fade. En réalité, c’était l’affaire de mon couple, d'une monotonie parfaite. Mais ce n'est pas tout.

Charlène & Matthieu, tu parles.

Nous avions mis six mois à préparer ce déménagement mais avec tout ça, aujourd’hui me semble le bon moment pour partir. Même seule.

Car les revoir ensemble me soulève le coeur, il me faut fuir cet environnement figé et malsain qui m’étouffe jour après jour. Je veux partir loin. Très loin.

À présent, la colère a laissé place au découragement. Pour ainsi dire, je dois l’oublier coûte que coûte. Il fricote avec ses "salariées", en plus, une stagiaire… lui qui, autrefois, se faisait passer pour l’ultime rempart contre ma solitude avant de me déclarer sa flamme. Quelle trahison. Un sanglot s’échappe malgré moi.

En parlant de vagues, disais-je… Est-ce qu’à tout hasard je pourrais filer jusqu’à la côte atlantique, avec ma Mini Austin ? Pas si sûr. Mais je m’en fiche royalement : l’important n’est pas là. C'est ma liberté ou rien.

Ayant enfin retrouvé les clés de voiture, enfouies au fond de mon sac à main, je m’arme de courage, m’empare de la bouteille d’eau restée au frais dans le coffre et m’installe confortablement avant d’ajuster le GPS.

Le choix de la destination n’a jamais été aussi bête : je ferme les yeux et désigne un endroit au hasard sur la carte routière. Je tombe pile sur la région Charente-Maritime. En traçant un trait horizontal jusqu’à la mer, cela m’amène à Châtelaillon-Plage, entre La Rochelle et l’île d’Oléron.

Un soulagement naît à l’idée de n’avoir jamais entendu parler de cet endroit. Tant mieux : le tourisme de masse, très peu pour moi.

Heureusement, la météo s’annonce clémente sur toute la France aujourd’hui. De toute façon, je ne me serais pas arrêtée à ça — je me connais trop bien.

Je chiale au volant, chantant en même temps les restes d'un amour fini. Ni une ni deux, je balance par la fenêtre cette maudite cassette où traînasse cette foutue mélodie.

Faisant l’impasse sur la musique, je décide alors de m’offrir la cigarette qui me nargue depuis deux ans. Allez, s'annonce une aire d’autoroute où ils en vendent.

Un quart d’heure plus tard, la fumée blanchâtre a envahi l’habitacle et la nicotine m’apaise instantanément.

Il faut bien l’admettre : ce voyage tient de la survie. Il me colle à la peau… À l’inverse de mon mascara, qui, lui, s’est fait la malle. Bref.

Après m’être soigneusement démaquillée, un camionneur me fait de l’œil. Il pense peut-être que je vais me jeter dans ses bras ? Sauf qu’avec des muscles pareils dans l’absolu, je ne dirais pas non…

Non mais sans blague. Je divague. Ce doit être les vapeurs de la veille, reprenons nos esprits.

On en était où ? Ah, oui. Encore une bonne vingtaine de kilomètres et me voilà arrivée.

Je n’y crois pas : ce sable fin, cette eau cristalline… Ce pur moment de bonheur durant lequel la plage me bouscule, pensive. J’y suis enfin.

Après avoir longé le sentier entre les feuillages, je découvre la mer, stilettos à la main. Le paysage me fascine par tant de beauté, les pieds dans le sable chaud.

Les reflets du rivage m'éblouissent et se mêlent au bruit des vagues. Le vent souffle sans cesse, accompagnant ici et là le va-et-vient des mouettes. Un souffle chargé d’embruns, d'iode et de sel brut me remplit les poumons, comme un appel du large. C’est âpre, vivifiant. Une douce morsure, presque familière, qui me rappelle que je suis en vie.

Enfin, tout en évitant les coquillages que je ramasse au gré de mes envies, je capitule. Je cesse de vouloir me battre. Je ne pense à rien, oublie tout, lâche prise. Personne à l’horizon.

Le menton relevé me permet d'apercevoir une maisonnette perchée au sommet de la dune d'en face, mais je préfère faire demi-tour afin de profiter des derniers rayons du soleil qui réchauffent mon visage hâve.

Même si je suis un peu perdue, je réalise combien je ne m’étais jamais sentie aussi bien. Cela ne m’était pas arrivé depuis longtemps.

Puis, au fur et à mesure que je recule, je sens une présence…

Je me retourne et ne vois rien.

À en croire les couleurs du ciel, un beau coucher de soleil s’annonce d’ici peu. L’idée de repartir s’impose, même si quelque chose attise la curiosité. Cette petite maison, là-haut, est-elle habitée ? Si j’allais voir ?

De la musique désuète s’échappe de l’intérieur, comme un vieux vinyle.

Je regarde une dernière fois la mer, comme pour lui dire adieu — et décide de ramener du sable dans ma bouteille d’eau, désormais vide.

Tête baissée, je me retrouve soudain terrassée par… une énorme boule de poils ! Surprise !

Un superbe berger allemand m’invite à jouer avec lui. Je ramasse le bâton sur lequel j’ai failli trébucher et le lui lance avant de quitter la plage.

Tandis que je lui tends le bâton une seconde fois, je remarque enfin le collier qui entoure son cou. Un petit médaillon y est suspendu, abîmé par l’eau salée. Curieuse, je m’agenouille et le saisis délicatement.

Un petit morceau de papier, plastifié et roulé à l’intérieur, y est dissimulé. Je le déplie avec précaution.

« Si tu lis ceci, c’est que tu es prête. »

Mon cœur fait un bond, dans un mélange d’émotion et d’incompréhension.

Qui a écrit ça ?
Le chien m’observe, la tête penchée, comme s’il attendait une réponse.

Je laisse échapper un petit rire nerveux, un peu déboussolée, presque émue.
C’est peut-être un hasard. Ou peut-être pas.

Que croire ?

Décidément, il me reste encore beaucoup de choses à apprendre.

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