Ce beau Labrador m'invite à le suivre, et mon intuition - fidèle compagne, jamais trompeuse - me pousse sans hésiter jusqu'à l'entrée de cette habitation.

Sur le chemin, s'est produit un phénomène étrange, comme si des forces invisibles orchestraient une symphonie parfaite pour me guider.

Dans un silence qui n’a rien d’inquiétant - au contraire, tout respire une sérénité olympienne, je remarque que la vieille bâtisse, avec ses volets verts fatigués par le temps et son jardin en désordre harmonieux, ressemble à un poème oublié, un vestige d’une autre époque.

Ce qui me fait soudain réaliser une évidence troublante : je n’ai ni plan, ni bagages, ni la moindre idée de ce qui m’attend. Qui habite ici ?

Voyons, un peu de jugeotte, Charlène…

La poignée froide sous mes doigts hésitants, une bouffée d’air chargée d’odeurs anciennes s’échappe de la porte entrouverte : un doux parfum mêlé de lavande séchée, de bois vieilli et d’une présence indéfinissable semble imprégner chaque recoin de cette demeure.

Une vieille femme se tient là, sur le seuil, et son regard pétillant m’accueille avec une chaleur insoupçonnée. Son sourire est franc, sincère, comme si elle me connaissait déjà. À ma grande surprise, le Labrador s’avance vers elle sans la moindre hésitation, queue battant joyeusement contre les meubles de l’entrée :

• Vous êtes arrivée, enfin. Je vous attendais, dit-elle d'une voix fluette, à peine perceptible.
• Bonjour, mais... pourquoi moi ?
• Ne vous inquiétez pas. Venez, je vais tout vous expliquer.

Mon coeur se serre. Après avoir fait les présentations, sans réfléchir j'emboîte le pas de celle que l'on nomme Davinia, de son nom d'artiste. L’intérieur de la maison ressemble à un cocon d’histoires murmurées à travers le temps. Elles semblent chanter avec elle, témoins de ses notes qui avaient autrefois ému tout le village.

Installées confortablement autour d’un thé, sous la lueur douce des lanternes d’antan qui baignent le salon d’une chaleur intime, Davinia me raconte :

• Je me souviens d’une nuit d’été en 1967…

Elle se penche légèrement en avant. Son regard se perd un instant, puis un sourire illumine son visage ridé.

• C’était la grande fête du village, et j’étais sur scène, sous une guirlande d’ampoules vacillantes. Tout le monde était là, jeunes et vieux, installés sur des bancs de bois ou debout autour de la place.

Sa voix prend une teinte nostalgique et je l’écoute, captivée.

• Ce soir-là, un orage menaçait, les nuages s’amoncelaient. Mais moi, j’ai chanté, comme si c’était la dernière fois, une chanson d’amour que tout le monde connaissait. Et au moment du dernier refrain… une énorme rafale de vent a soufflé, et toutes les lumières se sont éteintes.
• Et alors ?

Davinia éclate de rire.

• Alors, la foule a continué à chanter avec moi, dans le noir complet ! Chacun connaissait les paroles par cœur. Je n'étais plus seule sur scène, tout le village chantait à l’unisson.

Elle prend une gorgée de thé, puis ajoute plus doucement :

• Quand les lumières sont revenues, j’ai vu des larmes sur les joues de certains. Et ce soir-là, j’ai compris pourquoi je chantais.

Un frisson me traverse. Elle reprend :

• Depuis ce jour, j'en viens à entendre les âmes en peine, les âmes égarées, des voyageurs qui approchent les lieux en chantant, pour une raison ou une autre.

Je me demande à l'instant si je ne rêve pas, si cette femme n'est pas tout simplement devenue folle. Pourtant, l'obscurité de la nuit rajoute à la scène une ambiance des plus mystérieuses.

• Vous, vous avez chanté dans votre voiture, n'est-ce pas ?
• C'est incroyable !
• Comme vous dites.

Le reste de la soirée se déroula comme du papier à musique. A moins que je ne sois sous l'emprise d'une sorcière, il m'a semblée que l'histoire de Davinia faisait déjà partie de la mienne.