VII.

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Étouffant un cri de surprise, Séléné se retourna brusquement et scruta les ténèbres à peine dissipées par la lueur du feu qui grésillait dans le foyer.

Finalement son regard fut attiré vers la méridienne au milieu de la pièce, sur laquelle était installé nonchalamment nul autre que Léandre Erebus. Les jambes croisées, un livre que Séléné avait abandonné là dans les mains, on aurait pu croire qu'il était ici chez lui.

Le cœur battant, Séléné hésita un bref instant entre se jeter sur le poignard caché dans la commode de bois massif à quelques mètres d'elle et prendre ses jambes à son cou ; puis décidant que la fuite était sans doute l'option la moins risquée, engagea un mouvement de recul.

Fermant le livre dans un claquement sec, Léandre se leva avec la souplesse d'un chat et s'avança tranquillement vers la jeune fille. Immédiatement, et alors même que tous ses sens lui dictaient l'inverse, Séléné se figea, regardant l'homme s'approcher avec la fascination d'un mulot pour la danse du renard en chasse.

Arrivé à quelques mètres d'elle, il brandit l'ouvrage qu'il tenait toujours et l'agita en l'air.

« Je me dois de saluer vos goûts en matière de littérature. La Divine Comédie de Dante. Un ouvrage inoubliable.

Les sourcils froncés, Séléné ne répondit pas, se contentant de fixer l'intru avec inquiétude. Doucement, celui-ci la contourna et ferma la porte en silence. La jeune femme le suivit du regard, incapable d'esquisser le moindre geste. Léandre passa à ses côtés avec une lenteur qui tenait presque de la langueur, semblant habiller la pièce de sa simple présence. Il s'approcha de la cheminée et sortit une chènevotte de sa poche qu'il approcha du feu. Une fois cette dernière enflammée, il se dirigea vers le chandelier disposé sur le buffet et en alluma les bougies qui commencèrent à répandre une agréable odeur de cire en se consumant.

Séléné observa son manège avec effarement, toujours pétrifiée. Ce n'est que lorsque l’importun lui tendit la main avec un sourire amical que la vie sembla revenir en elle. Elle eut l’étrange impression que le sang lui montait enfin à la tête et que ses membres avaient enfin retrouvés leur mobilité.

Ce moment d’absence avait au moins eu pour effet de lui permettre de reprendre contenance, et d'un ton calme qui ne révélait rien de son trouble elle demanda enfin :

« Que diable êtes-vous venus chercher ici ? Un tel comportement est inacceptable, j'exige votre départ immédiat.

Reprenant une expression égale, l'intrus esquissa une élégante révérence, qui semblait définitivement aller de pair avec son comportement des plus excentrique, et lui répondit avec courtoisie :

« Mademoiselle, je suis conscient que mon attitude est tout à fait indigne d'un gentilhomme et qu'il doit vous causer le plus grand trouble. Soyez certaine, cependant, que je ne souhaite en aucun cas vous faire le moindre mal.

D’un ton facétieux, il poursuivit :

« Disons simplement que notre rencontre m'a marqué et que je n'ai pas su trouver de moyen plus efficace pour vous revoir au plus vite.

Constatant que l’intriguant ne semblait pas avoir d’intentions néfastes, Séléné se décontracta imperceptiblement. Feignant le détachement, elle s'avança à son tour, la tête haute, et alla prendre place sur la méridienne. Sur un ton méprisant elle répondit :

« J'imagine que me rendre visite en journée ne vous a pas traversé l'esprit ?

Un éclat de malice traversa les yeux de l'énigmatique personnage alors qu'il répondait :

« Au contraire chère demoiselle, mais c'est que je ne souhaitais point vous causer de tort : une jeune femme, future mariée qui plus est, qui reçoit un sinistre inconnu chez elle ? Voilà qui pourrait nourrir des semaines de commérages chez ces très chers nobles.

Bien qu’elle n’aurait pas qualifié le jeune de sinistre (à vrai dire peu importait la situation, il avait plutôt l’air d’être constamment resplendissant), un frisson parcourut Séléné.

« Il est vrai qu'il est bien mieux avisé de s'introduire chez cette même jeune femme pendant la nuit, prenant le risque insensé que quiconque ne les surprenne, rétorqua-t-elle avec froideur.

Léandre laissa échapper un rire amusé.

« Il est vrai que mon impatience a pu me pousser à commettre une folie, cela ne serait pas la première fois » ironisa-t-il en secouant la tête.

La peur de Séléné s'était curieusement apaisée. Si elle ne pouvait être certaine des intentions de son interlocuteur et que ce dernier ne lui inspirait pas vraiment confiance, elle était quasiment certaine que celui-ci ne nourrissait aucun projet funeste à son égard.

À son tour, Léandre prit place dans le confortable fauteuil situé non loin de là et s'y accouda, plaçant une main sous son menton, de sorte que tous deux de retrouvèrent face à face, séparés de quelques mètres seulement. Seul le feu qui crépitait doucement venait troubler le silence de la pièce. Séléné en profita pour observer l’homme avec attention, tout en évitant son regard qui était posé sur elle en retour.

Moins élégante cette fois-ci, sa tenue était même assez surprenante tant elle semblait décontractée : son pantalon noir et austère était simplement assorti d'une chemise à jabot blanche, sans veste ni manteau. Les habits semblaient néanmoins d'excellente facture et se suffisaient à eux même.

Son étrange beauté, à nouveau, la frappa : de son regard violacé à sa peau diaphane, l'image qu'il dégageait était si parfaite qu'il en semblait tout bonnement inhumain.

Léandre subit cet examen sans un mot, lui retournant son regard avec intérêt. Finalement, il repris la parole.

« Je suis certain que vous devez avoir des questions quant à la raison de ma venue. Concernant la façon dont je me suis introduit dans votre chambre, je suppose que vous avez deviné que je me suis contenté de me glisser par la fenêtre, indiqua-t ‘il en désignant cette dernière de la main avec un sourire d'excuse.

Séléné haussa un sourcil et répondit :

« Je m'en suis bien doutée oui. Quant à la raison de votre venue, je suppose qu'elle doit être excellente étant donné votre comportement tout à fait déplacé.

L'air amusé Léandre passa un doigt sur ses lèvres et inclina la tête.

« Pour dire les choses simplement, il se trouve que vous avez éveillé ma curiosité. Je désire donc apprendre à vous connaitre.

Séléné sentit son cœur bondir dans sa poitrine et se mordit l'intérieur des joues.

Cet homme qui occupait ses pensées depuis des jours maintenant sans qu'elle puisse en comprendre la raison avait décidé de venir à elle alors qu'elle était partie à sa recherche la nuit dernière ? Il ne pouvait s'agir d'une coïncidence.

« Je… me suis rendue dans la clairière hier soir, dit-elle doucement en se reprochant mentalement son propre embarras.

Léandre hocha la tête avec connivence.

« Je m'en suis aperçu. J'espérais que ma présence là-bas ne vous empêcherais pas d'y retourner. Je m'en voudrais de vous priver de votre jardin secret », ajouta-t ‘il avec délicatesse.

Sans attendre de réponse, il poursuivit sur un ton amusé.

« Je suis en tout cas ravi de voir qu'il vous arrive parfois de porter des tenues civilisées. J'avais bien peur de vous trouver affublée de haillons cette fois encore.

Séléné ne put retenir un petit rire qui la laissa immédiatement interdite. Cette situation était tellement étrange, qu’elle-même se sentait différente, d'une certaine façon. Ce calme, en une situation aussi insolite, ne lui ressemblait pas. Elle avait une déconcertante impression de sécurité, dans le confort de sa chambre, en présence de cet homme qui semblait tout droit sorti d'un roman fantaisiste.

Pourtant, au fond d'elle-même, une petite voix lui disait de ne pas se laisser piéger par ce beau visage, et le pincement au creux de son estomac ainsi que la chair de poule qui recouvrait toujours son corps lui rappelait silencieusement que quelque chose était définitivement à craindre chez cet étrange personnage.

Avec sérieux, la jeune fille déclara :

« Bien. Admettons que pour je ne sais quelle raison, j'ai piqué votre curiosité. Qu'attendez-vous de moi dans ce cas ?

Léandre sourit.

« Admettez tout de même qu'il est peu courant de voir une femme de votre genre. Que ce soit votre coiffure, vos vêtements ou votre audace, il n'y a rien chez vous qui n'aurait su attirer mon attention.

Séléné grimaça tandis que le jeune homme poursuivait, une lueur exaltée dans les yeux :

« Quant à ce que je recherche : c'est très simple. Je suis las de mon quotidien et vous, mademoiselle, êtes à mes yeux infiniment intéressante… » annonça-t'il en se penchant vers elle.

Interdite, Séléné le toisa avec surprise. Que pouvait-elle bien répondre à cela ? Que pouvait-elle bien répondre à cela ?

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