Chapitre 1 : La signature

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On dit que l’âme n’existe pas.

Qu’elle ne serait qu’un objet de croyance, comme celui de croire en Dieu.

Mais le Monde que je connais, est devenu le Monde que je ne reconnais plus.

Du jour au lendemain, ma vie a basculé vers la mort.

Et j’ai appris à ce moment-là, la nature réelle de ce qu’on appelle l’âme.

5 heures plus tôt, Quartier Redeswelling, Bar de Dynarburgh :

 Minuit. Le bar est bondé ce soir. Tout le monde est venu pour faire la fête, regarder des spectacles, et profiter des boissons alcoolisées en solde spécialement pour cet événement qui est le Nouvel An. Toutes sortes de gens de différentes classes sociales profitent, bavassent, que ce soit des ouvriers, des nobles, des artisans, rien ne compte. On s’amuse. La musique bat son plein, plus aucune place de disponible, des clients rient à gorge déployée et se bousculent sous l'effet de l'ivresse joyeuse.

 Malgré leur boucan et leurs rires perçant les tympans, personne ne les réprimande, les danseuses et autres personnalités plus ou moins reconnaissables montrent leurs performances extraordinaires. Danse, chant, humour, sont des talents parmi d'autres, et les plus appréciés dans ces moments comme ceux-ci.

 Pour ma part, ce n’est pas l'envie qui me manque de les rejoindre. Cependant, je ne suis pas là pour ça, mais parce que j’attends quelqu'un. Sans savoir ni comment, ni pourquoi, on m'avait demandé de venir au bar de la ville, une lettre qui m'était proprement adressée, disant simplement qu'on m'aiderait à avoir ce que je cherche.

Un talent, une quête de vérité, mais aussi…

Une nouvelle vie.

 Dépoussiérant ma robe croisée fendue blanche et marron, non pas par saleté mais nervosité, je remets mon haut-de-forme correctement, attrapant mon miroir de poche de mon sac-à-main brun en cuir. Ma chevelure ondulée auburn est encore parfaitement coiffée, avec minutie et soin. Ma mèche couvre un de mes yeux albinos, qui ont tendance à virer plus sur le violet.

 Je bois une gorgée de ma bière, je lis les dernières nouvelles sur mon journal de presse habituel acheté au barman plus tôt avant de venir, histoire de m’occuper un minimum. Dynarburgh n’est peut-être pas réputé pour ses courbettes et sa bière, néanmoins, les monuments sont majestueux, regrettable si on ne les a jamais visités. Et il faut avoir un certain luxe pour pouvoir y vivre, ne serait-ce que même louer. Luxe, que je me permets d'avoir sans mauvaise conscience ou de peur de manquer d'argent. L'argent ? j'en ai que trop. À ne plus savoir quoi en faire. N'importe quel individu réussit dans la vie, la preuve, si on peut habiter dans cette ville, dans ces quartiers riches, alors il n’est que raison de réussite professionnelle et talentueuse.

 En revanche, personne n'a le sens d'une quelconque moralité. La routine est facile à entreprendre, train, boulot, fête, et dormir, le lendemain, tout recommence. Je veux plus que ça. Famille de vrais bourges, de génération en génération, je reprends le même métier, la même aspiration. Arrière-arrière grands-parents, grands-parents, parents, et aujourd'hui... Moi. Une grosse pression sur les épaules m'oppresse, que je ne supporte plus depuis des années. Il est indiscutable que je déshonore ma famille.

 Comme je suis une femme, il est très dangereux en 1821 d'être la fille unique et héritière d'une entreprise artisanale familiale, surtout que je n'ai ni d’enfant, ni de mari.

 J'ai pris la tête du plus grand Arsenal royal de Dynarburgh, reconnu pour sa fabrication d’armes et de munitions. Il nous arrivait même dans le temps de mon grand-père de construire et réparer des vieux navires ; mais suite à la disparition des courants d’eau, dont les fleuves et les rivières, ils s'avéraient être inutiles en plus de nous faire perdre des matériaux très précieux. L’Arsenal travaille pour son Roi, Dèmes, le souverain de notre ville. Pour être plus exact, nous travaillons tous pour lui, sans exception.

À Dynarburgh, nous aimons les machines, pas les usines.

Trop cher, peu qualitatif.

 Je sors ma montre à gousset, elle affiche maintenant minuit passé. Je soupire, cette attente m’impatiente. A-t-il simplement pris la peine de s’habiller, cet inconnu ? Cela m’ennuie fortement d’attendre davantage. J’aurais dû m’en douter, c’est certainement une autre lettre parmi d’autres qui me harcèle, une farce abjecte ! Je me lève, me sentant insultée, une fois de plus, je maudis cette personne qui n’a que faire que de me faire perdre mon temps. Soudain, on m’attrape la main pour me donner un baiser furtif sur celle-ci, je n’ai pas le temps de comprendre ce qu’il se passe, qu’un gigantesque homme se dresse devant moi. Je retire poliment mais sûrement ma main de ses lèvres bien trop invasives à mon goût. La galanterie n’a jamais fonctionné sur moi, cet étranger pense vraiment me faire de l’effet ?

— Vous alliez partir ? Je m’excuse de mon retard inconvenant, Mlle Dionysia.

Ces excuses et ses belles courbettes fausses ne me font pas changer d’avis, décidée à partir, je contourne l’homme qui me bloque le chemin volontairement, un sourire amusé. Il me taquine de façon malsaine, outre son ton méprisable qui m'horripile.

— Je me présente : Mr. Atkins !

 Il me tend sa main, prenant soin de garder une distance correcte entre nous, je soupire, et finis par lui tendre la mienne. Cette main. Elle est froide, presque piquante et rugueuse, pareille à celle d'un robot, et cette voix, chantant comme de l'écho sur des barreaux de fer... À le voir de plus près, je n'en suis plus étonnée. C’est un cyborg. Un homme de métal. Ressemblant à en être confondu avec l'homme, les automates sont de plus en plus fréquents de nos jours grâce à nos technologies avancées. Cependant, cet Atkins possède quelque chose en plus.

 Atkins n’est ni humain, ni robot. Un squelette à qui on aurait fait des expériences scientifiques inhumaines, un monstre de la technologie. Il porte une redingote noire, un long col le cachant jusqu'aux joues, qui fait une sorte de pique derrière la nuque, seuls les coudes laissent percevoir un mécanisme semblable aux muscles d'un humain. À chaque mouvement, il fait rouler sa mécanique. Je remarque qu'il porte également des gants en soie blancs purs, et que pourtant, j’ai ressenti ce froid désagréable lorsqu'il avait pris ma main. Il se cache des regards un peu trop curieux, le reste du corps entièrement masqué par les vêtements. Un chapeau haut-de-forme noir avec un ornement en or lui donne fière allure, ainsi que derrière sur son dos, je peux remarquer une petite bombonne de gaz à l'horizontal, laissant couler un mystérieux liquide verdâtre fluorescent. Il n’a pas de pupille, juste deux grands trous béants ressortant une vive lumière verte, la même lueur que celle de sa bombonne de gaz. Il ne ressemble en rien aux automates qu’on peut voir dans notre ville, ils ne portent ni vêtements, et ont encore moins un esprit gentilhomme si poussé. Un étranger ? Une autre ville à part celle de Dynarburgh existerait-elle ?

— Qu’est-ce que vous êtes…

— Pas ce que je suis, dit-il niaisement, son sourire s’élargit. Je suis venu, car vous m’avez appelé. Je suis en retard, mais j’avais un client un peu plus tôt… (Il me jauge de haut en bas), je suis désolé d’aller aussi vite, vous avez l’air jeune, quel âge avez-vous ?

— Vingt-ans, dis-je sur la défensive, sans même prendre conscience que sur le moment, sa question était plus que déplacée et purement grotesque.

 Atkins m'examine, d'une manière brutale et sans tact, me fait tournoyer autour de lui, comme un acheteur regarde la marchandise qu’il convoite. N'appréciant pas ce geste honteux, j’arrête net, le cassant dans son délire déplacé. Je crois avoir vu pendant un court instant, un sourire malfaisant et satisfait, mais… Je pense que c’est à cause du tournis provoqué par Atkins qui me fait croire cela.

Plus qu'une seule envie me gagne et c’est celle de rentrer chez moi, boire un thé, et aller me coucher. Je suis épuisée, et cet homme, bien qu'étrange, me fait clairement perdre mon temps et mon sang-froid. Son regard ne m’a pas lâché, ce qui a le don de me mettre très mal-à-l'aise.

— Avez-vous déjà entendu parler de l’art du spectacle ?

Je réfléchis un instant. Du théâtre ? quel rapport avec ce que je cherche, ou ce que cet homme veut de moi ?

— Il y a très longtemps, pourquoi cette question ?

Mais d'où sort cet incongru ? je ferai mieux de partir, et maintenant. Il peut être dangereux ou malfaisant. Qui sait ce qu’il a en tête ?

 Il m’ignore. Rien qu'à voir son sourire, j’ai cru qu'il était décidé à m'en dire plus, mais non, je me trompe complètement. Ma curiosité s’éveille, mais je la fais taire, il est trop suspect.

Il dépose une enveloppe noire sur la table en chêne. Curieuse, je l’ouvre, c’est un contrat, où je dois signer en fin de page.

— Bonne chance, pour votre nouvelle vie talentueuse, me dit Atkins, mesquin.

 Pensive, je jette un dernier regard curieux à Atkins, celui-ci ne me disant plus, je commence alors à lire ce contrat. Je veux décliner son offre, et passer mon chemin. Mais mon corps, comme déconnecté de mon esprit, ne m'obéit plus. Répondre oui, ce serait inconscient, et irréfléchi. C’est trop simple, trop rapide, et trop louche. Je jette un regard de confusion à Atkins, mais il ne m'en dit pas plus, il doit s’être désactivé lui aussi parce qu’il n’a plus une once de vie en lui qui émane de son corps, je parcours des yeux par-dessus son épaule et vois que sa bonbonne de gaz a cessé de fonctionner. Voilà l’explication, son essence, je suppose, a arrêté de couler jusqu’à son cerveau ; ce qui est d’autant plus effrayant.

 Retour au contrat, j'essaye de lire avec attention, ma vision se trouble, et ça, à chaque tentative de lecture. Atkins revient à lui comme si de rien n’était, pose un stylo sur la table qu'il a sorti de l'intérieur de sa veste, il détient une telle assurance déconcertante sur son visage que je me demande sérieusement si je peux lui faire confiance ou non. Pourtant… Qu’est-ce que j’ai à perdre, honnêtement… ? je peux le faire.

 Je prends son stylo, le regardant avec une étrange concentration, la chose la plus intéressante au monde à cet instant précis.

 J’arrive néanmoins à lire les dernières lignes.

« Venez nous rejoindre, laissez votre âme s'engouffrer dans le néant. En échange, vous aurez tout ce que vous aviez toujours voulu avoir, et quant au prix... Vous le paierez assez vite. N'oubliez pas, votre cher ami Atkins. »

Votre cher ami, Atkins.

Je signe.

Il me sourit, et s’en va.

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