Le président est mort, vive le président !

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“Le président est mort, vive le président !”


 Sur la place de la Concorde, le silence se propage comme une onde dans l’eau. Les têtes se baissent, le peuple pleure. La nature elle même semble se taire en hommage à Clovis IX, ce grand homme. Pour l’occasion, on a construit dans la nuit deux estrades de cent cinquante mètres de long qui coupent la place dans sa longueur et se rejoignent autour de l'obélisque de Louxor. On les a couvert de velour rouge brodé de fils d’or et d’argent et ornées de statues - à l’image du feu président - que l’on a pu rassembler dans l’urgence. Deux crieurs publics, placés de part et d’autre de l’estrade, clament dans un parfait unisson la terrible sentence :


 “Le président est mort, vive le président !”


 Ils sont tous deux parés de noir pour l’occasion; chaussures à talonnette, chausses de soie rembourées de prothèses pour redessiner les mollets, pourpoint de velour avec épaulettes sur lesquelles retombent les longs cheveux blancs et bouclés d’une perruque. Leur visage fardé de blanc ne laisse filtrer aucune émotion, ils ne peuvent risquer ne serait-ce que l’esquisse d’un sourire, l’heure est au deuil.


Une troisième fois la phrase retentit :


“Le président est mort, vive le président !”


 La clameur du peuple s’élève à nouveau, la minute de silence est passée. À l’instar de mes compatriotes, je m’empresse de fouiller mes poches à la recherche de mon portable pour filmer - il me faut à tout prix me fondre dans la masse -, les successeurs potentiels vont entrer en scène ! Pendant quelques secondes, les ‘plops’ électroniques caractéristiques du déverrouillage des smartphones se font entendre; ça tapote, ça glisse, ça forme des mots de passe complexes. Lorsque je relève la tête, je vois des milliers de mains tendues vers le ciel, appareil entre les doigts, prêtes à appuyer sur le bouton rouge en un dixième de seconde au moment fatidique.


 Une musique, de prime abord douce, commence à s'élever dans les airs. Tout autour de la place, des centaines de choristes ont entamé un requiem en l’honneur de Clovis IX, ce grand homme. Lorsque le chant touchera à sa fin, on oubliera le président et l’on se concentrera sur le choix du nouveau. Après deux minutes, c'est chose faite, le président est mort !


 Des feux d’artifice sont tirés depuis la Seine, les candidats font leur entrée. Six ont répondu à l’appel du gouvernement. Tous portent des habits de haute couture aux couleurs de leur maison respective; des manteaux descendants jusqu’aux genoux, gilet, veston et justaucorps, le tout finement décoré de fils de métals rutilants. Tout est étudié, de la forme et couleur de leur perruque au matériau de leurs chaussures. Le futur gouvernement devant se plier au style de leur nouveau président, c’est là l’un des critère que l’on utilisera pour le sélectionner, le seul critère d’ailleur pour choisir l’éliminé de ce tour. Les candidats sont montés sur l’estrade et se sont répartis équitablement, ils se montrent au public une minute durant avant de changer de place puis recommencent. Toute la scène se passe dans une atmosphère des plus sérieuses, tout est retransmis en direct, pas le droit à l’erreur.


 À ma droite, j’aperçois un jeune homme qui se détache de la foule. Il n’a dans ses mains aucun appareil pour filmer, sur son visage aucune ébauche de sourir - je crois même y déceler une certaine colère -, même sa tenue n’est que tout juste adaptée à l’occasion. Je l’entend pester tout bas et m’approche discrètement de lui.


“ — ... est mort, vive le président… Il est pas plus mort que moi bande de moutons, c’est la fin du mandat... Lui y va s’la couler douce dans un château jusqu’à la fin d'ses jours. J't’en foutrais du Clovis IX….


 — Ce grand homme ! Il me semble, bon monsieur, que vos propos sont bien dangereux en un tel endroit. Que ma dévotion fût ailleur, je vous aurais jeté sans remords, avec grand plaisir même, entre les doigts de la justice…


 — La justice ? Quelle justice ? La leur, pas la mienne !


 — C’est assez ! Votre discour nous met en danger vous et moi. Qu’une oreille indiscrète entende vos paroles rebelles et illettrées et s’en sera fini de notre liberté car, de ne vous avoir dénoncé me fais déjà votre complice. Retrouvez-moi, monsieur, ce soir au crépuscule, dans la ruelle au nord du café des anciens. Là-bas, les murs n’ont pas d’oreilles et les oreilles sont sourdes aux propos diffamants. Maintenant, sortez de votre poche un appareil avant que l’on vous reproche de briser l’étiquette, moi je m’en vais me rapprocher pour ne pas perdre miette de cette attristante performance. Je vous salut. “



 Je m’enfonce un peu plus dans le cortège et remarque du coin de l’oeil que ma nouvelle connaissance suit mes instructions. Sur scène, les candidats achèvent leur dernière rotation, le premier tour des présidentielles sera bientôt bouclé. Depuis l’autre côté de la place, on entend soudainement monter une vague de rires. Un mouvement de foule m’emporte sur la gauche, pas question pour les badauds de laisser passer une occasion comme celle-ci. Lorsque j’aperçois enfin l’estrade opposée, je n’ai qu’à suivre les doigts pointés vers l’un des candidats pour comprendre. L’un d’eux est au sol.


“ — Pardonnez moi Madame, qu’est-il arrivé à ce bougre pour qu’il se retrouve ainsi ?


 — Il a glisser Monsieur et dans sa maladresse à briser l’une de ses talonnettes et qui sait peut être même l'une de ses chevilles. Qu’un ridicule pareil ose se montrer en scène... c’est une honte !


 — Il est bien vrai que son infortune nous prive de l’intrigue de ce premier tour.


 — C’est un fait, il est certain que c’est ce nigaud qui sera éliminé. Et maintenant Monsieur, permettez moi de retourner à la gosserie, je ne voudrais pas en manquer une seconde de plus.


 — Faite donc, Madame, mais avant acceptez mes remerciements.”



 Je m’éloigne d’elle alors que son gros doigt, sous sa gaine de velour, se pointe à nouveau sur le pauvre candidat et que ses lèvres s’écartent en un immonde sourir. Je n’ai plus de raison de rester, je ressens même le besoin de quitter cette mauvaise farce car cotoyer ces gens la trop longtemps me rend malade. Je tourne les talons et pars nonchalamment pour ne pas attirer l'attention.

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