Un Mystérieux présent

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Le Caire 3 avril 1980

À une heure trente, Ange et Dimitri sortent de l’ascenseur, traversent le hall du Sheraton. Quelques minutes plus tard, un voiturier, goguenard, remit à Dimitri les clés de son antédiluvienne 403 qui, bien que semblant sortir d’un épisode de Columbo, ne dépareillait pas dans les rues du Caire. D’une chiquenaude, Dimitri lui lança une pièce de dix piastres.

« Tu es conscient qu’il se paie ta tronche ?

— Heu ! Tu crois ? J’suis son meilleur client et j’ai la bagnole la plus pourrie qu’il a jamais conduite, vu qu’il n’en a pas.

— Son meilleur client ?

— Ben oui, le casino, c’est mon QG nocturne, quand je joue une livre et j’leur en bois pour trois… bénefs deux livres. Expliqua-t-il, en ouvrant la porte côté passager. Alors, je refile dix pour cent du salaire moyen journalier à Mehdi, qui s’fend la pêche.

— Quel sacrifice près de soixante centimes ! Tu ne veux pas que je conduise ?

— Tu rigoles ? Primo, tu te vois conduire au Caire ? Même à une heure du matin ? Secundo, vu mon gabarit – Dimitri tient son mètre quatre-vingt-cinq et sa musculature d’Héraclès – ce que j’ai bu c’est peanuts ! Et tertio il me semble bien que ce soit de ton coude qu’un valet a dû se saisir. Grimpe !

— La mauvaise foi ! Distrait par mes pensées, j’ai failli m’appuyer sur la table de roulette pendant que la bille tournait, je ne titubais pas. Répliqua Ange en s’assoyant.

— Maipensé ? – Dimitri claqua la portière, fit le tour du cabriolet, s’installa au volant et mit le contact – C’est donc le nom de cette ravissante blonde ?

— Katharina ! Elle s’appelle Katharina, et mon intérêt est professionnel. Il s’agit de ma nouvelle collègue et néanmoins concurrente, représentant “TUI” – Ange est chef de produit chez le plus gros tour opérateur français – Je parie que c’est elle, avec ses deutsche marks, qui fait monter les prix des croisières sur le Nil. Et si nous avons dû ramer hier pour maintenir notre contingent, c’est probablement parce que les Allemands augmentent le leur – Dimitri engage son véhicule sur El Galaa Square pour un tour quasi complet – J’ajoute que contrairement à toi je ne parle pas sa langue.

Schade für dich ! Je vais donc pouvoir tenter ma chance !

— Les jolies Cairotes ne te suffisent pas ?

— Ne crois pas que parce qu’elles se promènent seules, têtes nues, et que leurs jupes s’arrêtent aux genoux que ce sont des Européennes.

— Pourtant, on ne compte plus celles que tu embrasses dès que l’on marche dans Wust El-Balad.

— Hé ! petit – Ange un mètre soixante-douze pour soixante kilos est un Eurasien dont la mère est vietnamienne et le père corse – même si nous sommes amis depuis le “Collège International de Valbonne”, n’oublie jamais que je suis un Papadhópoulos de la diaspora grecque d’Alexandrie.

— Ben, ça alors ! Il est drôlement futé celui qui t’a choisi comme délégué permanent en Égypte.

— Merci, mon bon maître, de m’avoir tiré de cet enfer que l’on nomme îles Canaries – la voiture bifurque sur Sharl De Gool (1) – touchez ma bosse Monseigneur ça porte bonheur.

— Sale traître de bossu ! Tu cherches à me pervertir.

— Je connais tes faiblesses, dont les cabarets de la rue des pyramides ! Déjà au collège, tu aimais t’encanailler.

— N’empêche qu’on s’est bien éclaté hier.

— Avant-hier mon Ange, avant-hier. Nous sommes jeudi et à onze heures l’avion pour Louxor décolle.

— Avoue que c’est quand même autre chose que les raquassats des clubs pour touristes.

— tu as raison les danseuses n’y correspondent pas aux goûts occidentaux, elles sont plus… comment dire… plus loukoum. Les tables ne sont pas plus propres que le sol. L’alcool décape tellement qu’on pourrait s’en servir pour déboucher un évier.

— Et tu n’y vas que, lorsque je suis ici peut-être ? »

Arrivé au parc botanique, Dimitri vire à gauche empruntant El Gamea Bridge.

« Bof, tu sais, je n’y vais pas très souvent si ce n’est avec toi. Une ou deux fois en août-septembre pendant la “saison des Arabes”. Quand des clients “avertis” veulent y passer une soirée, je suis obligé de les accompagner. Mais il n’y a qu’avec toi que l’on s’amuse à faire grimper les “Arabes”. Pour un, “Mille mercis à nos amis français  !” combien de, “Mille mercis à notre frère saoudien !” et de, “Mille mercis à notre frère Émirati !”avec nos dix billets, d’une livre, offerts aux danseuses, nous leur en avons fait gagner des centaines. Mais on ne peut s’amuser à ce petit jeu qu’entre pince-sans-rire. T’imagines un crétin qu’éclate de rire, brrr j’en ai froid dans l’dos. »

La Peugeot pénètre dans l’île de Roda par El Saraya, tourne dans Mathaf El Manyal et s’arrête devant la porte cavalière, fermée, du Palais Manial. Ange embrasse Dimitri, lui souhaite bonne nuit, descend de la voiture alors que ce dernier lui lance « J’te prends à neuf heures. »

Le gardien de nuit ouvre le guichet afin qu’Ange puisse entrer, puis le referme derrière lui.

Chaque fois qu’il vient au Caire Ange loge ici, au Club Med. Ce n’est pas le grand confort, mais le chef de village est un ami, Dimitri habite à deux minutes et Ange adore le Jardin botanique du palais. Dès qu’il le peut, il s’installe sous un banian pour lire ou rêvasser.

À la réception avec sa clé, on lui remet un paquet genre boîte, à chaussures, emballée dans du papier kraft. Lorsqu’il demande au réceptionniste qui l’a déposé, ce dernier répond qu’il n’en sait rien. Il se rend dans sa chambre son paquet sous le bras, la dépose sur la table de nuit et va se doucher.

S’essuyant d’une main, de l’autre, il déballe le paquet ouvre la boîte, stupéfait il découvre à l’intérieur une main momifiée. Il jette la serviette sur une chaise, prend la main, l’examine, elle est ligneuse, il la sent, elle n’a aucune odeur, aucun doute c’est une véritable main momifiée, mais quel âge a-t-elle ? Ange n’en a pas la moindre idée quelques années ou des millénaires, il n’y connaît rien. Qui a bien pu me faire cette blague…, pas Dimitri, nous ne nous sommes pas quittés depuis hier matin ? Sherry peut-être. La ravissante animatrice “locale”, pour qui il semble que le khôl fut inventé, avec qui il flirte régulièrement… oui, c’est bien le genre de plaisanterie que peut faire Sherry, pense-t-il en reposant la main dans la boîte sur laquelle il remet le couvercle en place, puis il froisse le kraft en fait une boule que d’un geste de basketteur il envoie… à côté de la corbeille. Haussant les épaules il la laisse là où elle est.

Ange s’allonge couvre sa nudité avec le drap de lin, ouvre le tiroir de la table de chevet en extrait “Le Prophète” de Kalil Gibran. Il interrompt son geste, se lève, repose le livre, va jusqu’à sa valise, de la poche extérieure il extrait “Les Rubàiyàt” d’Omar Khayyâm – éditions Edward Fitzgerald de 1917 traduction française de Charles Grolleau. Qu’il a trouvé chez un bouquiniste du quai de la tournelle, deux jours avant de quitter Paris – et retourne se coucher.

Fidèle à son habitude il l’ouvre au hasard. Choisi le recto, c’est la page 67, il lit :

XLIX

Tout n’est qu’un Echiquier [sic]

de nuit et de jour

Où le destin joue avec les

Hommes pour pièces

Çà et là, il les fait bouger

et les écrase et les égorge

Et, un par un, les remet

dans la boîte

Il referme le livre, le dépose dans le tiroir resté ouvert, repousse ce dernier dans son logement. Il s’allonge, ferme les yeux, tente de méditer cette pensée, mais sombre immédiatement dans le sommeil.

Quelques heures plus tard alors qu’Ange dort profondément, le couvercle de la boîte soubresaute à plusieurs reprises et finit par être éjecté. La main – telle la chose de la famille Addams – s’extrait de la boîte et saute sur le lit.

***

Ange suffoque, il étouffe, sa gorge est serrée, il y porte les mains, sent des doigts sous les siens, tente d’attraper les poignets de celui qui l’étrangle…, il ne trouve pas de poignet.

***

(1) Oui, il s’agit bien d’une transcription en alphabet latin du nom, écrit en arabe, de notre grand homme.

Chapitre écrit par scifan

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