Le réveil n’a même pas encore sonné que Lila est déjà réveillée. 5h47. Elle ouvre les yeux sans bouger, le regard fixé au plafond taché d’humidité. Pas besoin d’alarme quand le petit dernier pleure dans la chambre d’à côté.

Elle se lève en silence pour ne réveiller personne. Ses pieds touchent le sol glacé. La lumière du couloir est grillée depuis deux semaines, mais elle connaît le chemin par cœur. Dans le lit du fond, sa mère dort encore, les cheveux en bataille, un fond de bouteille calé contre l’oreiller.

Lila détourne les yeux.

Elle commence sa tournée : couche à changer pour le petit Yanis, tartines à griller pour les jumeaux, trousse à vérifier pour Lina, chaussettes propres pour Maël, brosses à dents qu’elle aligne sur le bord du lavabo. Elle est partout à la fois, efficace, fatiguée, précise. Le café coule pendant qu’elle prépare six bols de céréales. Un pour elle aussi, mais elle ne l’ouvrira pas. Pas le temps.

À 6h50, elle frappe doucement à la porte de la chambre de ses frères.
— Debout les gars… On va être en retard.

Les grognements commencent. Les disputes aussi. Elle arbitre, calme, menace, encourage.
Pendant ce temps, sa mère n’a pas bougé. Elle dort toujours, ou fait semblant. Lila ne la réveille plus. Ça ne sert à rien. Elle sait déjà ce qu'elle dira : "C’est bon, j’me lève dans cinq minutes." Et elle ne bougera pas avant midi.

À 7h30, tout le monde est habillé. À 7h45, ils sont dans la rue. Lila dépose les petits à l’école, les plus grands au collègue. Elle part ensuite au lycée, en marchant vite. Elle sera en retard, encore. Et si elle a de la chance, personne ne lui posera de questions.

Au lycée, elle sourit. Elle fait semblant. Mais dans sa tête, elle pense au frigo presque vide, au linge à plier ce soir, au devoir de maths qu’elle n’a pas eu le temps de finir.

Personne ne sait.
Personne ne doit savoir.

Et demain matin, elle recommencera.