Chapitre 4 – Le Fil qui Cède
Il est 13h42 quand le téléphone de Lila vibre dans sa poche.
Elle est en cours de maths, stylo en main, concentrée sur une équation qu’elle comprend à moitié. Elle hésite. Elle ne décroche jamais en classe. Mais c’est l’école des petits. Elle le sait d’avance, rien qu’en voyant le numéro.
Elle se lève à mi-voix :
— Je peux sortir, c’est… c’est une urgence.
Dans le couloir, elle décroche en murmurant :
— Allô ?
— Bonjour, ici l’école maternelle Jacques-Prévert. C’est au sujet de Yanis.
Son cœur rate un battement.
— Il n’y a pas eu d’accident, rassurez-vous, enchaîne la voix calme de la directrice. Mais nous avons remarqué que Yanis arrive souvent sans goûter, parfois mal habillé… Et aujourd’hui, il a dit quelque chose d’inquiétant.
Silence.
— Il a dit que "sa maman dort tout le temps et que c’est Lila qui est la vraie maman maintenant". Est-ce que… tout va bien à la maison, Lila ?
Elle serre le téléphone. Elle a chaud tout à coup, malgré le couloir froid.
— Oui… C’est juste que ma mère est malade. C’est temporaire. Je m’occupe de lui en attendant. Je gère, madame. Promis.
— Tu es très courageuse, Lila. Mais tu ne devrais pas avoir à "gérer". Ce n’est pas ton rôle. On peut t’aider, tu sais.
Elle a envie de raccrocher. De pleurer. Mais elle murmure simplement :
— Merci, madame. Je m’en occupe.
Puis elle coupe.
Et elle retourne s’asseoir en classe, mais ne voit plus rien du tableau.
Le Soir
Ce soir-là, la maison est plus tendue que d’habitude. Les enfants sont excités, fatigués. Yanis a raconté "la dame du téléphone" et Maël a renversé un bol de lait. Rien de grave, mais ça suffit pour faire éclater la tempête.
Sa mère sort de sa chambre, titubante, les yeux rouges, les cheveux en bataille.
— C’est quoi ce bordel ?! hurle-t-elle. Je peux même pas dormir tranquille dans cette putain de maison !
Lila accourt.
— Maman, calme-toi, s’il te plaît. Je gère, c’est bon. Tu peux retourner te reposer.
— Ah ouais ? Tu gères ?! Tu veux tout faire à ma place, c’est ça ? Tu crois que t’es meilleure que moi ?! T’as seize ans et tu crois que t’es une adulte ?!
Elle s’approche trop près. Lila recule, les mains levées. Les petits se figent.
— Maman, les enfants te regardent. Tu veux qu’ils aient peur de toi ?
Sa mère éclate en sanglots, puis balance un verre contre le mur. Le bruit fait sursauter tout le monde.
Puis, silence. Un silence épais, tendu. La mère s’écroule par terre, ivre, en pleurant comme une enfant.
Lila reste debout. Droite. Immobile.
Les enfants se réfugient dans leur chambre. Et comme d’habitude, c’est Lila qui nettoie.
Elle ramasse les bouts de verre. Elle couvre sa mère d’une couverture. Elle vérifie que la porte est bien fermée.
Et puis, dans le calme retrouvé, elle s’assoit sur le carrelage, le dos contre le mur.
Elle ne pleure pas. Pas ce soir.
Mais elle sent que quelque chose est en train de se casser. En elle. Ou autour d’elle. Elle ne sait pas encore.
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