Chapitre 5 – "Je sais, Lila."
Vendredi. 16h12. Dernière heure de cours. Lila n’écoute plus.
Les mots de la journée défilent comme un bruit de fond : Victor Hugo, les Misérables, les héros du silence. Elle fixe son cahier, ouvert à une page blanche. Elle n’a même pas sorti son stylo. Son esprit est resté dans la cuisine, à côté des éclats de verre, à côté de sa mère écroulée.
À la fin du cours, tout le monde se lève en hâte. Le week-end approche, les voix montent. Mais Lila reste assise. Une main douce se pose sur son épaule.
— Lila. Reste un instant, s’il te plaît.
C’est Mme Dufresne, sa prof de français. Toujours bienveillante, toujours attentive. Trop, parfois.
Quand la salle est vide, elle s’assoit en face d’elle.
Pas de papier, pas de stylo. Juste ses yeux, fixés dans ceux de Lila.
— Tu ne vas pas bien, n’est-ce pas ?
Lila baisse la tête.
— Je vais bien. Je suis juste un peu fatiguée, c’est tout.
— Tu dis toujours ça. Toujours ce sourire, toujours les mêmes mots. Mais… je te vois, Lila.
Silence.
— Je vois que tu caches des choses. Que tu portes des responsabilités qui ne sont pas les tiennes. Je vois comment tu regardes toujours l’horloge, comme si tu n’avais jamais le temps d’être une élève normale. Et je sais ce que Yanis a dit à l’école. On m’a appelée.
Lila se raidit. C’est donc vrai. Ils parlent entre adultes. Ils font des réunions. Ils savent.
— Je sais que ta mère ne va pas bien. Et je sais que tu fais tout pour que personne ne le découvre. Tu protèges tout le monde… sauf toi.
Lila a le souffle court. Les larmes lui montent aux yeux. Elle secoue la tête.
— Je ne veux pas qu’on nous sépare. S’ils apprennent, ils vont nous enlever les petits. Je peux m’en sortir, madame. Je vous jure. Je peux tenir encore un peu.
— Non, Lila.
Le ton de Mme Dufresne est doux, mais ferme.
— Tu ne dois pas "tenir". Tu dois vivre. Et tu n’as pas à vivre ça seule. Ce n’est pas être faible que de demander de l’aide. C’est être en vie.
Lila ne répond pas. Elle pleure, enfin, sans bruit.
— Écoute-moi. Rien ne se fera dans ton dos. Mais il faut qu’on en parle ensemble. Qu’on trouve une solution. Il y a des gens bien, qui peuvent vous aider, sans tout détruire. Tu ne mérites pas de porter cette charge. Tu as déjà fait assez.
Mme Dufresne prend sa main, simplement. Un geste humain. Sincère.
— Tu veux qu’on parle à l’infirmière scolaire ensemble ? Ou tu préfères qu’on attende lundi ?
Lila hésite. Son monde tremble. Mais pour la première fois… il ne s’effondre pas.
Elle hoche la tête.
— D’accord… Lundi.
Mme Dufresne sourit, soulagée.
— Lundi, alors. Et en attendant, promets-moi une chose : ce week-end, si ça devient trop lourd, tu m’appelles. N’importe quand. Tu n’es plus seule, Lila. Tu ne l’as jamais vraiment été.
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