Les ruines de la Kiolasse
Leur regard se croisa et une faible lueur de crainte illuminait leurs pensées. Peio s’enleva quelques superstitions de sa tête :
– Ce que tu as bu… c’est une sorte de potion ?
– De l’alcool, marmonna-t-elle dans son écharpe.
– De l’alcool ?
Ozanne acquiesça brutalement.
– Quel type d’alcool ? s’interrogea Peio pour percer le mystère.
– Du type à te torde les boyaux, te grille le cerveau en moins de deux, rien de plus à savoir. Mais ça réchauffe pendant l'hivers… Attends !
L’aventurière s’était arrêtée brusquement. Son regard s’était reporté sur la faible chaîne de montagnes. Des gravats atteignirent le sol, faisant résonner le choc dans la vallée. Ozanne s’aplatit au sol, bientôt imité par son coéquipier. Les pieds et mains contre la pierre, elle était à deux doigts de bondir en cas de danger. Peio, lui, tremblait de tous ses membres.
Un oiseau blanc comme la neige s’envola précipitamment. De belles ailes parcoururent les courants éoliens sans la moindre peine.
Ozanne se releva aussitôt. Elle se remit à marcher silencieusement. Le jeune homme, encore sous le choc, se remit rapidement sur pied pour rattraper sa coéquipière. Tout en essayant de se recoiffer et d’épousseter sa veste claire, il bredouilla quelques mots :
– Qu’est… Qu’est-ce qui s’est passé ?
– Sig va finir par nous faire repérer, gronda-t-elle. À force de chasser les oiseaux de givres, il finira aux pieds des rochers. J’aurais l’air maline moi !
- Tu es sûr que c’est Sig ? s’inquiéta davantage Peio
– Il n’y a personne d’autre que nous dans les environs et aucune créature assez stupides pour tenter de jouer avec des oiseaux trop rapides pour elles.
Ses pupilles claires se dirigèrent vers la Kiolasse. Les ruines se dessinaient de plus en plus proche sur le paysage. On pouvait y apercevoir des morceaux de façades s’éparpillant le long de la demeure. Quelques colonnes tenaient un toit qui n’existait plus. Il était difficile de s’imaginer que des personnes ait pu y habiter des siècles avant. Pour autant, Peio comblait le vide et la peur par quelques énumérations historiques des lieux.
– C’est un magnifique lieu. Un luxe qu’a pu s’offrir une famille de vigneron qui a fait fortune. Son vin est renommé dans bien des régions. Il organise souvent des festivités pour les avides de nouveaux crus de qualité…
– On est d’accord, le coupa Ozanne qui ne l’écoutait guère. Pas de magie, de talisman, d’influence, ni de marché avec n’importe quelle entité malfaisante !
– Pas à ma connaissance…
Ozanne souffla. Peio n’en savait rien. Il ne connaissait même pas les notions de démon, de sacrifices ou de renaissance. Les ruines des maisons de riche marchand, artisan ou producteur étaient dangereuses. Qui sait comment ils avaient généré leurs bénéfices et quel en avait été le prix a payer.
- Ils se sont investie dans la politique et se sont fait beaucoup d'ennemis. Une partie de leurs vignobles est partie en fumée. Il accuse que celui-ci serait criminels...
Ozanne n'écoutait plus les explications de Peio. Arrivée sur un relief moins accentué, elle s’enfonça dans la neige, scrutant attentivement les environs. Une vieille draperie écrasée sous des éboulis présentait des couleurs anciennement chatoyantes de rouge, d’orange et de jaune. Une grappe de raisin se dessinait finement. Des gouttes ruisselaient dessus jusqu’à tomber dans une bouteille aux douces couleurs oubliées du vin. Ozanne étudia attentivement le symbole. Ne disait-on pas que le diable se cache dans les détails ? Pour autant, la jeune fille ne voyait pas de signe significatif d’une présence démoniaque.
Peio derrière elle, lui fit signe qu’il était temps pour eux qu’il se sépare pour en savoir un peu plus. Le jeune homme se dirigea, confiant, vers la villa. Avant qu’il ne disparaisse dans les débris, elle lui lança quelques mots étouffés derrière ses étoffes :
– Je serais dans le jardin dans dix minutes.
Peio acquiesça silencieusement et disparut avec assurance par la porte d’entrée de la bâtisse.
Ozanne prit une autre direction. Elle commença par contourner la demeure, continuant à la retenir dans sa mémoire. Sur les murs non écroulés s’effaçaient, avec le temps et le vent, des gravures : encore du raisin, du soleil, des mains vertueuses, de la pluie, des travailleurs : l’histoire d’un autre monde. En jetant son regard sur les douces plaines à l’horizon, elle s’imaginait des vignes. Ozanne avait vu des représentations de ces plantations. Des douces lignes vallonnées de petits arbustes solides avec des taches violettes parsemant le paysage. C’était l’image des vieux tableaux qui se superposait à celui du désert de glace qui s’offrait devant elle. Lorsqu’elle se rassura que rien d’anormal ne la guettait, Ozanne continua son exploration des lieux.
Au bout de quelques minutes, elle arriva prudemment sur le jardin. De vieilles barrières de fer rouillé entouraient le lieu. Ozanne sortit la carte pour clairement se situer dans l’espace. Par réflexe, elle repéra l’entrée de la maison. Peio ne devrait pas tarder à la rejoindre par ce côté. Au bout de l’esplanade devait se trouver un verger. Seul un tronc survivait, mais il avait perdu feuilles et branchages depuis bien longtemps maintenant. Pour finir, on trouvait aux abords de la falaise une rotonde à moitié écroulée. Une moitié de banc faisait face aux dénivelées, celui-ci donnant sûrement à l’époque une vue d’ensemble du vignoble. Ozanne souffla de reconnaître les lieux, de pouvoir s’y fier un peu. Sa deuxième mission était d’y repérer les rochers qui auraient pu miraculeusement protéger quelques plantes utiles. Elle commença à fouiller chaque recoin de ce noble jardin. La voix de Peio la fit sursauter, emballant son cœur de plus belle.
– Vous savez, ma beauté, la famille Horla compte à son actif plusieurs ruches. C’est leur fille cadette qui voulait commencer cette nouvelle activité. Je trouve cela très ingénieux de leurs parts…
Ozanne observait Peio qui se dirigeait vers la rotonde. Lorsque l’historien passa devant elle, il la regarda d’un air malicieux. L’herboriste improvisée ne prenait pas autant à la légère sa mission. Elle le foudroya du regard et repartit activement dans sa recherche. Sentant qu’il ne restait plus âme florale vivante dans ce sanctuaire, elle tenta d’y gratter la terre là où elle était la plus meuble. Ozanne essaya de creuser sous l’une des statues brisées, mais ses doigts ratissaient le sol sans pour autant parvenir à déterrer ne serait-ce que la moindre graine. Elle éprouva le même calvaire sur plusieurs endroits jusqu’à sentir le sang couler le long de ses doigts. Elle grimaça de douleur. Ozanne se releva un peu désorientée et vit Peio au loin entre le verger et la rotonde.
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