Le Réveil de Peio
- Docteur, mon fils ne va pas bien !
– Calmez-vous, Madame Jurill. Je vous dis qu’il n’a aucun symptôme. Votre fils est en bonne forme physique.
La voix claire de la dame, un grain de vieillesse dans son timbre, agitait la petite pièce. Dans un demi-sommeil, Peio sentait l’air chaud circuler le long de sa peau. Ses lourdes paupières se soulevèrent difficilement. La tonalité clairsemée de calme de sa sœur fit doucement écho.
– Mère, écoute donc le médecin. Il connaît son métier.
- Connaître son métier ? s’écria-t-elle. Cet homme est incompétent. Je le sais, je sens que mon fils est malade. Des ombres planent sur lui.
– Et je ne soigne pas des ombres, Madame Jurill, mais des maux, intervint de nouveau le médecin d’un air agacé. Allez voir un envoûteur ou une voyante, mais votre fils est en bonne santé.
Peio sentait une main dans la sienne. Il avait dû s’évanouir. De nouveau, le médecin reprit durement :
– Je vous le répète une dernière fois. Hier, votre fils se trouvait à la Kiolasse pour la dégustation des vendanges tardives. Il en a abusé et a défailli sous les effets de l’alcool. Beaucoup de jeunes gens se font avoir. C’est dommage que cela arrive dans des réceptions comme celle-ci. La famille Horla est prestigieuse, ils m’ont déjà fait passer la note à payer pour le dérangement.
Les paroles de désespoir de sa mère reprirent de plus belle, entrecoupées de larmes, mais toujours d’un ton distinct et droit :
– Mais cela ne date pas d’hier. Mon enfant a arrêté ses études, coupé les ponts avec sa bien-aimée. Il traîne dans des lieux où il ne devrait pas aller et s’isole même de sa famille.
– Ce n’est pas mon problème. Je suis médecin et rien ne suggère une quelconque maladie qui aurait pu forcer votre fils à agir de telle sorte. Vous le savez mieux que moi pourtant, Madame Jurill, certains maux se soignent mieux avec la parole.
Le docteur claqua la porte d’une façon si brutale que cela détermina Peio à sortir de son faux ensommeillement. En ouvrant les yeux, il vit d’abord les traits tirés de sa mère. Son visage plus sombre que celui du jeune homme affichait une mine déconfite. Ses cheveux noirs ébouriffés et les cernes sous ses yeux traduisaient sa panique et son manque de sommeil.
Sa sœur se trouvait à ses côtés, tenant solidement sa main. Son visage d’or et son fin nez dévoilaient les traits d’une belle femme. Les yeux clairs d’Alida se posèrent sur lui.
– Mère, il est réveillé…
Sans attendre, elle se rua vers lui et d’un ton dramatique le supplia de toutes ses forces :
– Mais parle-moi, Peio !
– Maman ! s’exclama sa sœur. Laisse-lui le temps d’émerger.
Émerger…Il lui fallait doucement appréhender ce qu’il avait vécu. Tout se passait comme prévue. Ozanne était partie dans les souterrains pour faire ce qu’elle avait à faire et lui vivoter simplement aux milieux des convives.
Puis soudainement, surgit de nulle part un renard blanc faisant trois fois sa taille et emmêlé dans un filet de pêche, Ozanne à sa suite, un hachoir en main. De quoi perdre le fil des discussions. Puis, plus rien. La peur l’avait pris de court.
Sa mère semblait le scruter de haut en bas, comme pour saisir le fil de ses pensées. Ses mains s’étaient solidement accrochées à ses beaux vêtements d’apparat.
- 800 pièces ! enchaîna-t-elle. Comment payer 800 pièces, alors que je n’en gagne que 400 par mois, ta sœur 200 et toi, rien du tout désormais ?
– Je trouverais un moyen, la rabroua Peio en agitant la main.
– Éclaircis-moi un peu. Comment tu comptes t’y prendre, Peio ?
Il fit une moue. Il y avait toujours une solution, mais sa mère ne voulait pas l’admettre. D’ailleurs, elle comprit assez vite de quoi il s’agissait :
– Non, non et encore non. Je ne veux pas de l’argent de ton père. Tu vas aller t’excuser auprès des Horla et tu te trouveras un emploi. Je me fiche en combien de temps tu le rembourseras, mais ni moi, ni ta sœur avons à nous mêler de cette histoire.
Peio acquiesça rapidement. Il ne voulait pas qu’elles connaissent l’origine de ses troubles. Il essayerait de trouver un petit boulot et continuerait ses recherches à côté. C’était la meilleure solution possible. Sa mère ne s’arrêta pas de si bon chemin :
– Peio, il faut que tu nous parles ! Je sais que rien ne délie ta langue, mais nous sommes déroutés par la tournure des événements. Je veux que tu m’expliques ce qui se passe dans ta vie.
D’un air habitué, un sourire habilla son visage d’ange. Il passa sa main dans ses cheveux sombres, puis sur l’anneau qui décorait son oreille.
– Rien de bien grave, mère.
Elle le regarda d’un air contrarié. Alida tenta d’éclaircir un peu la situation.
– Depuis quand vas-tu seul à des réceptions comme celle des Horla ?
– Parfois, j’en ai l’envie, rit Peio. C’est plus fort que moi.
– Peut-être qu’il n’était pas seul ? S’interrogea sa mère.
Les deux paires d’yeux se fixèrent sur lui.
– J’y suis bien allé seul. Mais en vue de la situation, j’ai dû repartir accompagner.
Son sourire s’étendit de plus belle sur son visage. Or ni sa mère ni sa sœur n’était dupe à ce petit numéro.
– Arrête de mentir, s’offusqua soudainement Alida. Tu étais avec quelqu’un et tu ne veux pas nous le dire.
– Je répète. J’y suis allé seul, mais cela n’exclue pas l’hypothèse que j’ai pu rencontrer de nouveaux visages aux courts de la soirée.
– Ce que tu peux m’énerver, Peio, s’agaça sa mère.
– Le principal, c’est que je ne sois pas parti avec ces jolis visages, non ?
La bonne humeur du jeune homme ne parvenait pas à dissiper le brouillard de fatigue, de tristesse et de doute qui s’était entassé pendant des heures dans la sobre et petite chambre. Sa mère prit une inspiration et avec douceur lui saisit son autre main :
– Peio, tu es malade et malheureux. Tu te caches et tu ne veux pas nous en parler. Il faut que tu arrêtes de souffrir en silence. S’il y a quelque chose que l’on peut faire pour soigner tes souffrances, dis-le-nous !
Le jeune homme reprit une mine sérieuse et fit un non catégorique de la tête, ce qui valut à sa mère de verser de nouvelles larmes silencieuses. Peio se devait de réparer au plus vite ses erreurs et de rejoindre Ozanne pour en savoir un peu plus sur sa situation.
Le temps pressé. La matinée semblait bien avancée et la journée s’annonçait des plus chaudes de l’année...
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