Les Cauchemars d'Ozanne
La noirceur l’englobait. Ses yeux s’ouvrirent. Un chaos de glace s’étendait à perte de vue. Son cœur battait à tout rompre. Des voix apeurées se mélangeait dans son esprit. Impossible d’en saisir le moindre mot. Elle sentait le danger roder autour d’elle. La terreur la paralysait alors que le traineau avançait à toute vitesse. Au loin, une île se dessinait comme une sombre montagne dans une nuit sans étoile. Dans cet élan de folie, c’était bien la lumière qu’ils fuyaient tous. L’obscurité était leur refuge, leur unique protection.
Ozanne se blottit contre les sacs de vivres. La peur lui creusait le ventre, la tétanisait au point qu’elle voulait fermer les yeux une fois pour toute et ne jamais revoir la lumière. Non, pas celle des rayons mais celle des abysses.
Soudainement, un fracas sonore retentit férocement autours d’eux.
Dans un instant de panique, Ozanne se réveilla en sursaut. Ses membres douloureux tremblaient et une sueur froide glissait le long de son dos. Elle ramassa ce qui restait de son corps.
La jeune fille découvrit les pierres froides d’une grotte, silencieuse et sombre. Son épais manteau était en lambeau et son écharpe de laine avait disparu. Les idées confuses, elle n’observa rien d’autres qu’une pointe de lumière éclairer les froides parois de la cavité. Son corps était couvert de contusion et chaque mouvement déclenchait une terrible douleur. Pour autant, elle était en vie. L’hémorragie avait était bloquée.
Retrouvant doucement ses esprits, Ozanne fulminait. Tous ses efforts en vain. Décidément, elle n’était peut-être plus faite pour ce genre d’aventures. Elle aurait tout de même pu prévoir que l’alcool et le feu ne faisaient pas bon ménage. La jeune fille s’assit difficilement et se recroquevilla sur elle-même pour se protéger du froid. Ses mains cherchèrent ses précieux outils. Seul le vieux couteau et la besace de graines avaient survécu à l’explosion.
Au moins, elle connaissait sa prochaine destination : le Sanctuaire. L’endroit lui permettrait de bénéficier de quelques plantes médicinales et les graines de pruniers qu’elle avait ramassées pourraient se vendre à un prix correct.
Des lourds bruits de pas se firent entendre. Ozanne regarda en sa direction. Un épais animal, bas sur pattes et recouvert de poils bruns se présenta devant elle. De solides cornes arrondies trônaient sur sa tête juste à côté de petites oreilles rondes. Dans l’obscurité, la jeune fille discernait les yeux attendrissant de l’animal. Celui-ci vint s’allonger, ses sabots de chaque côté du corps brisé d’Ozanne, et se mit à la lécher de son épaisse langue chaude en guise de retrouvailles. Ozanne s’en écarta un peu dégoûtée.
- Sig, arrête un peu, marmonna-t-elle. On doit partir au plus vite d’ici.
Les oreilles de Sig se levèrent en entendant la voix de sa maîtresse. Ozanne tenta de monter sur l’animal allongé comme elle le pouvait, la douleur lui arrachant des grimaces sur son visage. L’imposante selle l’aida à s’installer confortablement.
- Allons en direction du Sanctuaire…
L’animal ne bougea pas. Il feignait de dormir. Ozanne lui donna un coup de chaussures dans les côtes qui lui fit davantage mal à elle qu’a Sig et celui-ci se décida.
Il se leva mollement, soulevant sa cavalière avec soin. D’un pas chancelant, l’animal se déplaça avec lenteur dans la grotte jusqu’à ce que la brise fraîche des montagnes lui fouette le visage. Sig s’arrêta. Sortir de la caverne ne l’enchantait guère. Ozanne lui redonna un coup de talon et l’animal descendit maladroitement, roulant et trébuchant sur les rochers.
- Le relief ne te réussit pas trop…
La jeune aventurière devait faire preuve de patience. Sa monture n’était pas des plus habiles lorsqu’il s’agissait de gravir des sommets. Heureusement pour lui, la pente s’adoucit rapidement et les plaines remplacèrent les montagnes. Sig, soudainement soulagée, se mit à galoper sur la neige avec joie secouant sa cavalière déjà assez mal en point comme ça. Ozanne n’avait même plus à le guider. Ces derniers temps, toutes ses excursions se finissaient malheureusement au Sanctuaire et son animal connaissait le chemin par cœur sans avoir besoin d’être guidé. Prenant de la vitesse, la jeune fille se protégea du vent à l’aide de son cabas déchiré.
*
Quelques heures plus tard, un bâtiment arrondi se dessina sur les plaines givrées. De la fumée grise en sortait d’une ouverture sur le toit. Des petites habitations colorées prenaient place tout autour formant un petit village isolé. Une petite falaise le protégeait des bourrasques de vent.
Sig se précipita vers le Sanctuaire bondissait sur les escaliers jusqu’à bousculer des apprentis dans sa course. Il entra par la porte ronde du bâtiment et s’arrêta net devant un vieil homme, jambes arquées, canne en bois, dos courbé et regard dur. Sa voix vacillante tonna sous le toit rond du bâtiment.
- Ozanne ! Combien de fois je t’ai dit de ne pas amener ta créature ici ! Elle écrase les plantes et mange tout sur son passage !
En guise de réponse, la jeune fille s’écrasa sur le sol. L’endroit sentait l’humidité. La chaleur la recouvrait doucement après une semaine dans un froid terrible. Le vieil homme vint se pencher sur elle. Elle vit bientôt son visage recouvert de ride et de tache de vieillesse. Ses sourcils broussailleux se froncèrent :
- Ce n’est pas encore cette histoire ? l’interrogea-t-il suspicieux.
Elle fit douloureusement non de la tête et tenta de s’exprimer :
- Je… je chassais le Hui… dans les petites montagnes.
Sa voix tremblait de faiblesse. L’ancien leva la tête et cria dans la salle :
- Occupez-vous d’Ozanne. Et sortez-moi, cette chose du Sanctuaire ! Mettez-vous à dix, s’il le faut. Il sait se montrer têtu, celui-là !
La jeune fille fut transportée par deux apprentis qui la déposèrent aux bords d’un petit ruisseau. Ils n’eurent aucun mal à retirer son manteau de cuir et une jeune femme commença à l’examiner de prés. Ozanne entendait les beuglements rauques de Sig qui mécontent se devait de retourner dans le froid. Le maître des lieux revint vers elle :
- Qu’a-t-elle ?
- Trois côtes fracturées, l’épaule déboîtée et quelques écorchures profondes, l’informa l’herboriste. Je vais l’allonger dans l’eau pour purifier ses plaies. Il faudra aussi lui donner un peu d’herbe anesthésiante pour calmer la douleur. Après, il faut qu’elle se repose.
Il grommela quelques mots dans sa moustache avant de s’éloigner pour vaquer à d’autres occupations. La soigneuse l’immergea dans l’eau chaude au milieu des roseaux. Elle la laissa ensuite pour préparer un remède.
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