Les affaires
- N’essaye pas de me berner avec tes histoires de graines !
Ozanne ne comptait plus les heures. À son réveil, elle avait demandé à voir le sage Onur pour commercer, mais celui-ci se montrait dur en affaire. Le vieil homme doutait que les graines n'aboutissent à la naissance d'un arbre. Il grognait et ne démordait pas.
- Je réduis mon prix, s’exclama Ozanne qui perdait patience. Si vous ne voulez pas me donner de vos réserves en poils d’Hui, je vous demande du bois à chauffer en échange.
- Tes graines remboursent à peine les herbes médicinales, la béquille et le corset ! geignit-il.
- Mais vous voulez rire ! L'arbre qui vont pousser t’en donneront des centaines. De plus, je n’en voulais pas de tous ces objets inutiles.
- Jeune fille, je ne te fais plus autant confiance qu'auparavant. Je suis déjà clément d’oublier les dégâts causés par ton animal.
Ozanne ne pouvait pas partir bredouille. Elle réfléchit un instant. Il lui fallait ruser :
- Il me faut ce bois, maître Onur. Faites-moi une avance. Si vous n’êtes pas satisfait, je vous rembourserai.
Le sage Onur lissa sa moustache pour faire mine d’étudier sa demande.
- Peut-être qu’on pourrait trouver un accord… commença-t-il. Mais si aucun arbre ne pousse, je veux que tu me redonnes le double.
La jeune fille grimaça. Avoir des dettes auprès du Sanctuaire n’était pas bon signe. Espérons que les illuminations de Peio soient véridiques. Elle acquiesça avec difficulté pour démontrer son mécontentement. Le sage disparut un instant laissant Ozanne seule dans l’endroit.
Le Sanctuaire formait l’une des plus grandes herboristeries des plaines. Une source toute droite sortie de la falaise se frayait des chemins parmi les différentes pièces du bâtiment. L’humidité et la chaleur du lieu en faisait l’un des seuls endroits aptes à la vie florale. Des apprentis dépensaient de leurs énergies à s’occuper des lieux. Il ne fallait en aucun cas que les ruisseaux ne gèlent. Quant aux soigneurs, ils se chargeaient de soigner les patients.
Chaque matin, Maître Onur ouvrait les portes de son domaine pour accueillir les malades des contrées glacées. Ces pauvres voyageurs formaient d’immenses files devant le village en attendant d’acheter des médicaments à des prix parfois trop élevés pour eux.
Ozanne, elle, avait ses passe-droits. Les ruines grouillaient de vieilles graines et plantes qui pouvaient agrandir les connaissances du sage Onur. C’est pourquoi, il entretenait de bons contacts avec elle, malgré les petits désagréments qu’elle lui avait causés…
Le vieux maître revint avec quelques morceaux de bois. Il les lâcha aux pieds de la jeune fille.
- Seulement ? s’étonna-t-elle.
Il ne prit pas le temps de répondre et s’éloigna d’elle pour retourner auprès de ses plantes. Ozanne grogna de mécontentement. Elle saisit les morceaux de bois sous son bras, s’appuya sur sa béquille avec l’autre et traversa le Sanctuaire en grimançant de douleur.
Une voix douce voulut l’arrêter. Celle de la soigneuse :
- Mademoiselle, il faut que vous vous reposiez !
Ozanne ne s’attarda pas.
- J’ai pas le temps.
Elle parcourut la salle principale du bâtiment et traversa la lourde porte ronde. En sortant, le vent la prit de revers, risquant de lui faire perdre l’équilibre. Les escaliers n’étaient pas aisés à descendre. Sa béquille glissait sur le sol gelé et ses pieds avaient du mal à rester sur terre. Un apprenti, habillé d’une longue robe vert émeraude, voulut l’aider. Elle le repoussa de son bras occupé par son précieux bois. La descente lui parut interminable, si bien qu’elle appelât Sig d’un sifflement. Celui-ci ne tarda pas à arriver fièrement devant elle.
- Couché !
Il s’exécuta rapidement. Sa maîtresse ne semblait pas de bonne humeur. Elle s’appuya avec maladresse sur les étrillés avant de s’asseoir comme elle le pouvait sur la belle selle de cuire.
- Mademoiselle, vous ne pouvez partir avec le corset et la béquille !
Qu’elle pouvait être énervante cette soigneuse. Elle devait être nouvelle. Ozanne frappa avec sa canne et Sig partit joyeusement dans les plaines. Maître Onur lui pardonnera ce vol.
***
Ozanne mena sa monture jusqu’à un vieux village. La jeune fille avait chevauché toute la journée et elle avait plus que besoin de repos.
À quelques mètres de l’entrée, elle descendit. Sig ne voulait pas la lâcher. Il donnait des coups de museau humide pour venir avec elle. Mais les villageois avaient la plupart du temps peur des animaux. Ils étaient sauvages et dangereux. Même si Sig ne faisait pas de mal à un oiseau de givre, ils ne pouvaient rentrer à deux dans les ruelles aux risques de créer la terreur. L'animal devrait encore passer une nuit dehors.
Le soir arrivant, les marchands se retiraient des avenues. Les habitants craignaient le froid mortel de la nuit. Ozanne se retrouva devant une maison bancale. Les trous dans les murs et la toiture avait été rafistolé avec tout ce que la propriétaire avait trouvé. Elle frappa doucement à la porte de peur de la trouer de son poing. Un enfant lui ouvrit la porte :
- Qu’est-ce vous voulez ?
Ses yeux bleutés la fusillaient du regard.
- Viens voir ta vieille !
Les paroles de la jeune fille allumèrent une colère dans les prunelles de l’enfant. Il se retourna et appela sa mère. Une femme d’âge moyen se présenta, peau mate et sourire pétillant sur son visage.
- Entrez donc !
Ozanne ne se fit pas attendre et pénétra dans la maison. Les effluves d’un repas lui chatouillèrent les narines. Après avoir traversé un modeste couloir, elle se trouva dans la salle principale ou une dizaine d’enfants prenait place, des bols brûlants de bouillons dans leurs mains.
- Comment vous appelez vous déjà ? lui demanda la dame.
- Ozanne.
- Oh oui, quel joli nom !
Elle l’obligea à s’asseoir sur une chaise et lui confia de sa soupe avec un vieux morceau de pain.
- Jeune Ozanne, je ne vous ai pas causé de trouble, j’espère.
Elle regardait avec inquiétude la béquille qu’elle avait posait contre les murs serrés de la maison.
- Ce sont les risques du métier, souffla Ozanne épuisée.
- Je vous prie de me pardonner !
Ses yeux se remplirent de larmes. L'hiver étaient rudes pour tous.
- Ce n’est rien. Je n’ai pas pu vous ramener de poils de Hui, mais j’ai du bois pour vous.
Le regard larmoyant, la femme la remercia en lui laissant un baiser sur sa joue. Ozanne baissa la tête. Cette femme mérite tellement plus pour avoir sauvé ces enfants de la neige. La dame sortit de sa poche un médaillon.
- Cet objet a longtemps appartenu à ma famille. Je n’ai pas d’enfant à moi pour le confier à mon tour. Vous sembliez intéressée la dernière fois que vous êtes venues…
Ozanne hocha la tête. Le collier n’était plus en très bon état. Il manquait des pierres précieuses à quelques endroits et le métal avait rouillé avec le temps.
- Kill, va préparer un lit pour la jeune Ozanne.
Elle se retourna vers Ozanne et reprit doucement :
- Ce vieux bijou ne vaut plus rien. Je ne pensais pas trouver quelqu’un qui pourrait me le reprendre en échange de ses services. Je vous remercie du fond de mon cœur. Vous êtes la bienvenue chez moi. J’espère aussi que vous ne serez pas trop déçue du médaillon.
Ozanne ne fit passer aucune émotion. Elle avait bien failli mourir dans l’explosion et s’était endettée auprès du Sanctuaire. Des risques pris pour un objet qui avait si peu de valeur.
Pourtant, c’était le même. À quelques détails près, le médaillon ressemblait énormément à celui de Peio. Mal à l’aise, Ozanne leva les yeux :
- Merci beaucoup, Madame Jurill…
- Je vous ai déjà demandé de ne pas m’appeler par ce vieux nom de famille, s’exclama-t-elle.
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