Les Enchères de la Terreur
Lorsque les voix disparurent du couloir, Peio se glissa discrètement pour rejoindre la chambre de Léontine. Gardant son calme, il se mit à descendre le mur de mosaïque. Il ne voulait pas perdre de vue les serviteurs, surtout dans la nuit. Le jeune homme dérapa à plusieurs reprises risquant de tomber au sol. Arrivé en bas, il remit en vitesse ses chaussures et se mit à courir pour atteindre la place devant du manoir.
L’avenue était vide, à l’exception des deux formes encapuchonnées qui disparurent dans une ruelle étroite. Peio se précipita derrière eux en évitant d’attirer leurs attentions. Les passages que les domestiques empruntaient étaient labyrinthiques. Les maisons s’élevaient sur plusieurs étages les isolant de la lumière de la lune. Ils progressaient, parcourant les rues sineuses. Ils ne voulaient pas qu’on les repère. Pour autant, Peio les suivait avec attention. Il attendait que les serviteurs disparaissent de sa vue, pour enfin se dévoiler sous les fenêtres et les rattraper quelques venelles plus loin. Le jeune homme prenait un certain plaisir dans ce qu’il entreprenait. C’était peut-être ce qu’Ozanne ressentait lorsqu’elle traquait une proie. Plus ils progressaient, plus la curiosité le démangeait.
C’est sans mot que les deux serviteurs s’arrêtèrent devant une porte. Aucun signe ne semblait prédire que le lieu était différent des autres maisons. Pourtant lorsqu’ils frappèrent, une femme au visage découvert leur ouvrit avec un sourire chaleureux. Ils disparurent derrière et la porte se referma.
Peio observa si une quelconque fenêtre pouvait lui permettre de rentrer plus discrètement. Mais la façade était lisse et impossible à escalader. Au bout de seulement quelques minutes, un groupe de cinq personnes se présentèrent et la même scène se déroula. La femme ouvrit. Eux rentrèrent sans poser de questions.
L’historien laissa défiler un peu le temps et des dizaines de nouveaux arrivants frappèrent à la porte. Certains porter de longues capes, d’autre était simplement habillé et semblait être des passants.
Peio se décida. Il sortit à découvert. Son stress l’empêcha un moment de faire quoi que ce soit. Il s’avança à contrecœur et frappa fébrilement sur la porte. Un instant après, la propriétaire ouvrit :
- Bienvenue chez moi ! Je suis si heureuse que vous soyez venue à mon anniversaire !
Son enthousiasme étonna le jeune homme. Il la connaissait ? Il la regarda de plus près. Une belle femme, des yeux pétillants de vie, une chevelure rousse et des taches de rousseur se dessinant sur son visage. Non, Peio ne la connaissait pas. Pour autant, il acquiesça silencieusement et entra dans la maison. Une jolie décoration se présentait devant lui. Des murs peints de couleur pastel, des tableaux de nature, des meubles simples, un portemanteau… sans manteau.
- Les invités se sont regroupés dans le sous-sol. Mais vous devez sortir de cette pièce, si vous voulez y aller, rigola-t-elle.
Peio se retourna vers elle en la remerciant. Malgré, la bonne humeur avec laquelle elle s’adressait à lui, son regard clair le regardait avec une certaine suspicion. Le jeune homme se dépêcha de sortir de l’entrée. Il valait mieux ne pas éveiller davantage les soupçons. Sans le moindre doute, il repéra la trappe qui guidait les invités vers la cave. Celle-ci se trouvait grande ouverte au milieu du séjour. Un tapis vert foncé avait était replié sur le côté et les fauteuils étaient entassés contre le mur. La curiosité de Peio se dissipait petit à petit. Drôle d’anniversaire…
Son impression s’amplifia lorsqu’il descendit les marches de pierre grise. La lourde chaleur de la nuit fut remplacée par la fraîcheur des souterrains. Une faible lueur de bougie lui permettait de voir ou il posait ses pieds. L’ambiance était lugubre. Le brouhaha commença à s’intensifer alors qu’il avançait dans l’escalier. Dans quoi s’était-il embarqué ? Son souffle peinait à suivre et son cœur s’emballa lorsqu’il arriva dans l’immense cave.
Un impressionnant lustre illuminait une foule. Peio s’arrêta surpris. Il y avait bien une centaine de personnes. Le jeune homme se faufila entre les hommes et les femmes venues à cet évènement et se retrouva bloqué par les barrières de pierre d’un balcon. Un balcon qui donnait sur plusieurs vitrines de verre, des dizaines de chaises et un promontoire de bois. Dans le contrebas, les spectres en cape portaient désormais des masques. Impossible de reconnaître les deux serviteurs parmi eux. Peio se sentait oppressé. Il n’avait plus qu’une envie : sortir. Pourtant tout ceci devait avoir un sens. Les hommes dissimulés derrière leurs tissus regardaient avec attention les objets derrière les vitres.
L’historien se souvint des paroles de la servante. Elle avait évoqué des « enchères ». Un marché noir ? Peio aimait de moins en moins cette affaire.
Une voix grave s’éleva dans la salle apportant un calme respectueux sur l’assemblée. Les observateurs s’entassèrent sur le balcon, écrasant Peio alors que les hommes en cape s’installèrent sur leurs chaises.
- Mesdames et Messieurs, bienvenue à tous. Nous allons procédait à la vente d’ici peu, mais avant je veux souhaiter un joyeux anniversaire à ma fille, Nathanaëlle !
Un tonnerre d’applaudissements se dissipa dans la caverne, alors que la jeune femme rousse se positionna à côté de son père cachant son sourire embarrassé. Lorsque la foule cessa, l’homme reprit de son ton rauque et calme :
- Ce soir, nous avons de magnifiques objets à proposer à nos acheteurs. Et commençons sans plus attendre par cet impressionnant et mystérieux objet.
De solides hommes portèrent l’une des vitrines qu’il avait cachées sous un drap noir jusqu’au promontoire. Les spectateurs retinrent leurs souffles.
- Ses précédents possesseurs ont disparu, reprit sombrement le présentateur, en une nuit. Deux enfants et leurs parents. Plus aucune trace de leurs présences dans leurs maisons. Et vous ne me croirez pas si je vous dis que l’histoire s’était déjà produite avant.
Le public poussa des cris de stupeur.
- Des disparitions sans explications et vous vous doutez que le seul point commun qui les reliait était cet objet. Nathanaëlle dévoile nous cette trouvaille.
La jeune femme se déplaça jusqu’au drap et d’un coup sec le retira pour dévoiler le mystère. Derrière la vitrine, une horloge. Un cadran coloré avec des petits joyaux représentant les heures.
- Une horloge. Nos habitués savent que les plus simples objets peuvent recueillir le diable en eux. Vos poils se hérissent. Rien d’anormal, mes chers invités. C’est la peur qui vous assaille.
Peio se paralysait. Mais dans quel monde de fou avait-il atterri ? Des enchères aux histoires effrayantes. L’homme et sa fille se montraient en spectacles devant tous ses gens.
- Eh oui ! Ont-ils voyagé dans le temps ? Personne ne le sait, mais certaines rumeurs sont venues chatouiller nos oreilles. Les voisins de cette pauvre famille ont entendu des cris… des cris de terreur. Lorsqu’ils sont entrés dans la maison, c’était trop tard. Ils avaient disparu. Mais l’horloge, elle, s’était arrêtée… indiquant l’heure précise des hurlements. À glacer le sang, vous ne trouvez pas ?
Le jeune homme s’accrochait fermement à la barrière du balcon. Des chuchotements inquiets parcoururent la salle. La tension était désormais omniprésente. L’homme calma sa voix pour rétablir le calme et annonçait l’enjeu :
- Messieurs, Mesdames, les acheteurs… le prix de départ des enchères est de…
Le suspens se répondit dans la salle. Le silence se prolongea jusqu’à ce que le commissaire-priseur ne dévoile l’invraisemblable prix :
- Trois… cent… mille sous ! Voyez la puissance de cet objet ! Imaginez pouvoir voyager dans le temps ?
Peio écarquilla les yeux. Des mains hésitantes se présentèrent du côté des hommes en cape et le prix s’enflamma. Un filet de voix s’insinua dans son oreille :
- Tu crois vraiment à cette histoire ?
Le jeune homme se retourna surpris. Les yeux sombres de ce satané démon se posaient sur lui avec une étrange lueur. Baltazar… Peio aurait voulu le recouvrir de questions, mais sa voix ne put sortir de sa bouche.
- C’est de la pacotille, enchaîna le démon fier de sa prestance.
Peio se retourna vers les enchères. L’horloge avait atteint cinq cent mille pièces. De la pacotille qui vaut autant ? Dès qu’il arracha les yeux du spectacle, Baltazar avait disparu. Le jeune homme pesta. Il secoua l’épaule d’un homme à côté de lui :
- Vous avez vu l’homme qui était avec moi à l’instant. Où est-il parti ?
Il haussa les épaules :
- J’sais pas.
Satané démon ! Deux mois sans réponse pour juste lui dire cela ?
Peio devait partir. Il n’avait pas sa place dans cet étrange monde. Il bouscula les spectateurs afin de se frayer un passage jusqu’aux escaliers. En se dépêchant, il grimpa les marches deux par deux. Il suait à grosse goutte.
Derrière lui, des pas précipités le suivaient. Était-ce une impression ? Peio accéléra de plus belle, se mettant même à courir pour le semer. Il sortit à bout de souffle dans la salle de séjour et se dirigea vers l’entrée.
Un homme de forte carrure s’y trouvait. Il semblait attendre. Leurs regards se croisèrent pendant l’espace d’un instant. Peio fit aussitôt demi-tour. Il avait la forte impression que c’était lui que le garde attendait de pied ferme.
Le jeune homme retraversa la salle de séjour et se retrouva dans une verrière métallique. Il sortit de celle-ci et se déboula dans une cour fleurie où quelques chevaux fermement attachés attendaient leurs maîtres. Et pas de soldats pour l’attraper à l’horizon ! Il commença à avancer sur les cailloux éparpillait sur le sol, lorsque…
- Peio, qu’est-ce que tu fabriques ?
Il se retourna et vit les yeux d’une véritable furie. Léontine Ferl avançait à grands pas vers lui. Ses traits fins se fronçaient de colère et ses yeux de braise le fusilla du regard. Peio fit une grimace. Ce n’était pas le moment.
- Je te vois descendre de ma fenêtre, filer dans les ruelles comme un voleur et je te retrouve dans des enchères qui donne la chair de poule. Tu dérobes des objets à mon père pour les revendre, c’est ça ? Quel lâche !
Ses cheveux clairs ébouriffés lui donnaient des airs de bête sauvage. Peio se défendit comme il pouvait :
- Je te jure, ce n’est pas ce que tu crois ! C’est ton père…
- De quoi mon père ! s’emporta-t-elle. Tu l’accuses maintenant après tout ce qu’il à fait pour t'aider ! Tu me fais si honte…
Son regard s’embruma de larmes. L’historien détourna les yeux. Il était plutôt du genre sentimental. Héritage de sa mére, comédienne. Il ne pouvait pas la laisser la comme ça. Léontine devait avoir bu un peu pour se laisser aller. La tristesse ne faisait pas partie de sa première nature. Il allait essayait de la calmer en l’enlaçant.
Mais les rôles s’inversant entre les deux amants, il en avait oublié l’homme qui voulait sa mort. Peio stoppa net ses bras. Son regard aperçut non pas un homme, mais deux. L’autre était moins impressionnant. Sa voix plus que familière interrompit le moment :
- Je ne suis pas insensible à vos amours, mais vous aller êtes dans l’obligation de vous en arrêter là !
Aloïs Horla… Mais décidément, ce lieu était l’endroit de toutes les rencontres, ce qui était malheureux pour Peio. Il se mit à courir dérapant sur les cailloux. Cette maladresse lui coûta quelques secondes. Assez pour que l’homme de main du vigneron ne l’attrape et ne le plaque au sol. Le nez dans la poussière, il entendit Léontine passé du froid au chaud. Ses larmes se transformèrent en cris :
- Aloïs, je vous conseille de relâcher mon homme. Vous risquez d’avoir de sérieux problème.
Le trentenaire ne craqua pas pour autant et répondit d’un calme maîtrisé :
- Mademoiselle Léontine, je vous conseille en retour de ne plus traîner dans les affaires de votre père. Il pourrait vous arriver de sombres malheurs. Et je ne peux me soumettre à votre requête. Ce jeune homme traîne trop souvent près de mes affaires sensibles. Il me faut en connaître davantage sur ses attentions.
Le solide guerrier lâcha Peio sous la grande surprise de celui-ci. Ses mains étaient entravées. Il releva sa tête et vit Léontine enragée. Le jeune homme sentit une pression sur sa jambe. On le tirait. Il se tourna et vit que sa jambe était vigoureusement attachée et une corde le reliait à… une patte de cheval. Le jeune homme se débattit, mais déjà il se faisait traîner au milieu de la cour. Dans la confusion, il entendit les cris de Léontine :
- Son père…
- Je sais qui est ce jeune homme, répondit d’un ton las Aloïs.
- Par où passons-nous ? tonna le garde.
- Par les montagnes, mais n’allons pas trop vite, je le veux en entier.
#Note de l'auteure
C'est l'un de mes chapitres préférés alors dites moi ce que vous en pensez !
Comme la dernière fois que je l'ai publié (ça fait deux mois :o) , je m'excuse des 9 min. C'est aussi le chapitre le plus long ! ^^
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