Le Sanctuaire...
- Une semaine et deux jours ?
- Une semaine et deux jours, répondit maître Onur, satisfait.
Ozanne se sentait tout de même perplexe. La chaleur suffocante du Sanctuaire l’oppressait.
Assise en tailleur, elle observait un arbre. Fièrement planté dans un monticule de terre, il s’élevait sur deux mètres. Ses branches portaient maladroitement une récolte bien trop abondante. Des petits fruits ronds et violet jonchaient le sol. Ozanne quitta le tronc des yeux pour les porter sur le vieux sage :
- Je ne suis pas une experte en arbre, mais comment mon prunier a-t-il pu pousser en une semaine et deux jours seulement ?
Celui-ci esquissa un sourire derrière son imposante moustache grise :
- Cela arrive. Quand les graines sont en bonne santé ! C’est un arbre formidable. Il produit des prunes, les petits fruits que tu vois. C’est très gustatif et bon pour le transit.
Maître Onur lui en tendit un. Ozanne le prit délicatement, le sentit pour vérifier qu’il n’y ait pas de piège et croqua dedans. La chair du fruit était drôlement sucrée. Le goût pétillait sur sa langue.
- C’est plutôt bon, répondit soucieuse Ozanne, mais ce n’est pas cohérent…
Le visage de maître Onur s’assombrit. Sa voix rauque résonna dans la petite pièce.
- Tu aurais préféré devoir rembourser le double ? Estime-toi heureuse que l’arbre se plaise entre nos murs.
La jeune fille réfléchit. Tout de même, une semaine et deux jours… Et le changement d’humeur de maître Onur… Cela ressemble à…
- Pars maintenant, Ozanne ! Je n’ai plus besoin de toi.
Ses épais sourcils se froncèrent avec insistance. Elle n’avait pas l’habitude de fouiner, mais quelque chose la perturbait. Ozanne se leva et se dirigea vers le tronc. Solide et recouvert d’une épaisse écorce, on pourrait croire qu’il avait déjà de bonnes années derrière lui. Elle posa la main dessus pour en sentir les irrégularités et ferma un instant ses yeux. L’aventurière sentait quelque chose se mouvoir sous l’épiderme.
Soudainement, le son d’une porte qui se claque résonna dans la salle. Ozanne ouvrit les yeux et se retourna surprise. Maître Onur était parti. La jeune fille claudiqua jusqu’à la porte et tenta de l’ouvrir. Fermé. Elle n’aimait décidément pas ça. Derrière elle, des craquements se firent entendre. Des sillons sur l’écorce de l’arbre se dessinaient pour créer de drôle de forme géométrique.
Cela ressemble à une présence démoniaque. Ozanne pesta. Que faisait-il dans le sanctuaire ?
Ozanne tenta alors d’enfoncer la porte, mais rien à faire, elle était totalement hermétique. Le sol se mit à trembler sous ses pieds. La douce sensation de mouvement qu’elle avait ressenti sous l’écorce s’était nettement amplifiée et emplissait désormais toute la salle. Non armée et blessée, elle ne pouvait rien faire.
Une racine sortit de terre et lui agrippa la jambe, elle essaya de s’en dégager, mais c’était impossible, celle-ci lui compressait le mollet. Son deuxième pied fut lui aussi entravé au sol. Les racines commencèrent à grimper le long de ses jambes. Ozanne se débattait comme une bête sauvage. Mais bientôt, les végétaux s’emparèrent de son corps. Une liane entoura son cou. Les racines cessèrent de l’entourait. Ozanne ne pouvait même pas bouger un doigt, enfermée dans sa prison végétale.
Une femme apparut devant elle.
- Bienvenue ! s’écria-t-elle.
Elle portait de vieux vêtements sales, déchirés par endroit. Ses cheveux emmêlés de branches et de feuille, ses pupilles si dilatées que la couleur bleue de ses yeux recouvrait son regard : il n’y avait plus de doute sur sa personne.
- Vous êtes la personne qui m’a amené les graines de prunier, n’est-ce pas ?
Sa voix alternait entre de la jovialité et de la colère. Était-elle contente ou non de l’arbre ? Impossible à savoir. Ozanne aurait voulu hocher la tête, mais la branche que lui bloquer le cou l’empêchait de le faire. Elle se contenta de lui répondre d’une voix étranglée :
- Oui…
- Où l’avez-vous trouvé ? s’emporta la démone.
- Dans… dans les ruines de la Kiolasse, tenta de se défendre Ozanne.
L’entité ouvrit grand les yeux. Le bleu de son regard examina Ozanne en détail.
- Kiolasse…
Ce qu’elle en pensait, Ozanne n’en savait rien… La démone réfléchit un instant. La jeune fille aurait pu se défendre verbalement, mais son agresseur ne semblait pas posséder la totalité de sa tête. Ses pupilles rétrécies pivotaient de l’arbre à Ozanne, d’Ozanne à l’arbre avec une rapidité surprenante. Des paroles sèches vinrent stopper sa réflexion :
- J’en veux d’autres !
Ozanne se raidit. La tige sous son cou se resserra. Elle essaya de s’en défaire, mais elle ne pouvait bouger. La démone se rapprocha d’Ozanne :
- Je veux d’autres arbres comme cela !
Mais quelle folle, paniqua Ozanne. Son cœur s’accéléra alors qu’elle ne pouvait plus respirer. Sa vision se troubla. Ses oreilles se mirent à siffler.
Puis soudain de l’oxygène. Elle s’écrasa lourdement sur le sol, souffrant à chaque nouveau souffle. La démone la regarda avec des yeux doux :
- Compris, ma belle ?
Ozanne hocha la tête. Elle n’avait pas le choix, de toute façon. Elle voulait encore survivre quelques années de plus. L’entité se dissipa et les racines revinrent à leurs places. Elle reprit sa respiration doucement. La douleur de ses côtes et de son épaule s’était réveillée à nouveau.
Ozanne tenta de se relever. Des marques se dessinèrent le long de ses bras, de ses jambes, sur corps entier. La jeune fille en eut les larmes aux yeux. Un pacte était scellé entre elle et la démone.
Debout sur ses jambes flageolantes, elle traversa la salle pour arriver devant la porte ronde. Celle-ci s’ouvrit par miracle. Des apprenties de passage la virent sortir dans cet état. Ils accélèrent le pas pour la fuir. Ils avaient peur du pouvoir qui régnait en ses lieux. Accrochée au mur, elle avança lentement pour arriver dans la pièce centrale du bâtiment. Personne ne lui vint en aide. Elle tomba une fois, deux fois, mais aucun herboriste ne se déplaça pour la guérir. Elle était maudite.
En sortant du bâtiment, elle s’écroula sur le sol givré. Elle siffla pour appeler son animal. Sig se mit à bondir joyeusement de marche en marche. Puis s’arrêta…
L’animal avait rabattu ses oreilles, la fixant avec méfiance. Ozanne tremblait de froid et de peur. Sa voix peinait à sortir de sa gorge :
- Sig… c’est moi…
Les bêtes sauvages avaient une agressivité accrue pour les porteurs de malédiction. Le « fil de la vie » de Baltazar était si faible que Sig n’avait presque pas réagi. Mais là, c’était une autre histoire…
Ozanne ne pouvait rentrer chez elle sans lui. Elle rampa sur les marches pour le rejoindre. Celui-ci l’observait en reculant doucement. Ozanne continua à l’appeler et à le calmer. Sig s’approcha doucement posant sa truffe humide sur sa main. Il la renifla avec intérêt des pieds à la tête. Puis s’allongea à côté d’elle. Ozanne en fut rassurée. Sig était unique en son genre.
Monter sur son dos était impossible. Ses mains s’accrochaient à son pelage, mais elle ne parvenait pas à se hisser. Soudainement, quelqu’un la tira vers le haut pour atterrir jusqu’à la selle. Ses yeux croisèrent celle de l’herboriste qui l’avait soigné la dernière fois.
- Mademoiselle, prenez ces quelques plantes. Elles vous aideront à adoucir votre mal.
Ozanne la remercia d’un signe de tête.
- Sig… on rentre…
L’animal partit dans les plaines, traînant la patte et sans la moindre conviction.
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