Traquée
Ozanne n’eut aucun mal à esquiver les gardes tant que le blizzard la couvrait mais le temps finit par se dégager et la tempête ne pouvait plus la protéger. Ce matin-là, la journée s’annonçait trop ensoleillée pour que la neige ne tombe. Le ciel était dévoilé et les traces de pas affaissaient la neige. La milice la retrouverait rapidement. Ils étaient tous d’excellents traqueurs et combattants. Ces guerriers connaissaient les environs comme personne. Ozanne était sur leur territoire et n’avait que sa carte pour connaître leurs lieux de passage. La jeune fille s’écarta des sentiers pour se laisser un peu d’avance. Sig glissait maladroitement sur les pentes abruptes. Le pauvre animal semblait épuisé. Une course-poursuite ne pouvait être envisagée.
Ozanne finit par s’arrêter dans un cirque. Les rochers des parois se dévoilaient à nu. Elle retira la selle et les accessoires de son animal qu’elle cacha sous la neige, affuta ses armes et eut juste le temps de disparaître derrière un rocher.
- L’animal ne doit pas être loin. Les traces sont fraîches, il doit être épuisé par la nuit.
Une patrouille venait d’entrer à l’intérieur du cirque. Ozanne compta : trois hommes solidement équipés. Il était impossible qu’ils soient si peu : d’autres miliciens devaient l’encercler. L’un des explorateurs s’arrêta net :
- Des traces de pas ? Il y a un animal et un homme par ici !
Les deux autres le rejoignirent et s’accroupirent pour mieux observer les marques au sol.
- Une femme, plutôt…
Ils continuèrent à suivre les empruntes jusqu’à arriver à la selle et aux équipements de voyage d’Ozanne.
- Une femme chevauchant un Sylaé. J’aime de moins en moins cette histoire…, s’exclama l’un des miliciens.
L’un des miliciens montra les traces de pas et leur direction. Discrètement, ils s’avancèrent, lance vers l’avant, prêts au combat. Ils se voulairnt discret, mais la neige crissait sous leur pas. Le cœur d’Ozanne s’accélérait dans sa poitrine. Elle posa une main sur sa propre lance pour se tenir à l'affut.
Un bruit de sifflement pourfendit l’air et atterri d'un coup sec derrière le rocher. Les hommes se mirent à courir et découvrirent avec surprise que l’arme s’était plantée dans le sol blanc. Leurs yeux parcoururent les environs et se surprirent à voir que les traces continuaient dans une autre direction. Un bruit fracassant les sortit de leurs contemplations.
L’un des miliciens avait été propulsé contre les parois rocheuse. Un Sylaé féroce se tenait devant leurs yeux. Sur son dos, Ozanne avait coincé sa lance dans les cornes arrondies de son animal. Elle lâcha l'arme et atterrit avec habilité dans la neige. Elle se propulsa et avec une certaine vitesse, se jeta sur un autre garde. Celui-ci réussit à se défendre d’une parade et enchaîna sur une attaque puissante que la jeune fille peina à esquiver. Sig sauta au-dessus de sa maîtresse et d’un puissant coup de corne projeta le deuxième assaillant. Le pourpre de son sang recouvrit le sol blanc.
Le troisième s’éloigna et souffla dans son corps d’arme. Un son rauque s’éleva en écho dans les montagnes. Ozanne l’insulta tout en se jetant sur lui, épée en main. Elle fut stoppée net quand une flèche atterrit entre elle et le troisième milicien. Elle dérapa, mais se leva aussitôt, pour repartir à l’attaque. Les épées s’entrechoquèrent violemment, lui faisant ressentir sa douleur à l’épaule. Le son des fers qui se rencontraient animait le cirque rocheux.
Un sifflement derrière elle la fit s’aplatir au sol de justesse. Le premier guerrier ayant reçu les coups de cornes de Sig s’était relevé. Où était-il celui-là ? Elle roula dans la neige et vit l'animal à terre. Son cœur se mit à battre rapidement. Il se releva les yeux emplis de haine. Une corne brisée et ruisselante de sang sur son pelage brun. Le garde pesta :
- Cet animal est aussi bête que ses pieds, mais il est sacrément têtu !
La voix claire d’Ozanne rugit :
- Et sa maîtresse aussi !
Elle bondit d’un rocher, pourfendant l’air puis la chair de son épaule. Celui-ci hurla de douleur, alors que derrière lui, Sig le propulsa vers l’avant.
Le dernier milicien toujours debout recula d’un geste apeuré. Ses mains tremblaient. Il jeta des coups d’œil vers les hauteurs avant de se ressaisir et d’échanger férocement des coups d’épée avec son assaillante.
Le Sylaé le fit soudainement reculer pour éviter d’être propulsé comme ses compagnons. Rugissant de rage, celui-ci sépara les deux guerriers. Lorsqu’il les dépassa, Ozanne avait disparu derrière lui. Il jeta un coup d’œil et la vit sur l’animal. Mais c’était impossible…
Un sourire démoniaque traversait son visage. Elle élança Sig vers ce dernier qui se mit à fuir derrière un rocher. Ozanne se propulsa vers son ennemi, enlevant sa lance restée coincée dans la corne restante de son animal. Celui-ci, se retourna et d’un coup puissant brisa la lance. Ozanne se réceptionna difficilement sur le sol. Ses côtes blessées lui arrachèrent une grimace de douleur. Profitant de cette faiblesse, le guerrier la plaqua au sol, lui mettant la lame sous la gorge. Elle perdit son souffle et se débattit comme un animal sauvage. Impossible de reprendre contrôle sur la situation.
L’homme sourit à son tour de satisfaction.
- Maligne, mais piégée !
Sa victoire fut de courte durée. Une flèche l’atteignit au flanc, lui faisant lâcher prise. Ozanne lui reprit son épée et se préparait à lui enlever la vie, lorsqu’une voix sévère fit descendre son adrénaline :
- Laisse-le en vie, Ozanne.
Elle se retourna et vit un visage familier. Des yeux sombres, des cheveux bruns et une balafre lui recouvraient le visage de son puissant menton jusqu’à son front. Son regard la toisa :
- Pourquoi Ozanne ?
Elle se leva, laissant l’homme gisant au sol. Elle rectifia la question d’un ton sec :
- Pourquoi suis-je revenue dans la montagne ? Cela ne te regarde pas.
- Tu as massacré mes hommes et tu me réponds que cela ne me regarde pas ? s’énerva-t-il.
La personne qui posait solidement devant elle, arborait un uniforme et quelques médailles dorées. Il fit un signe et des hommes sortirent de leurs cachettes. Leurs regards mauvais les fusillaient tous les deux. La jeune fille reprit, prête à dégainer si les choses tournaient mal, ce qui n’allait pas tarder :
- Tes hommes ? Alors, tu as été promu ?
- Oui, mes efforts ont été reconnus, se justifia-t-il avec colère. Je suis devenu lieutenant de la milice, mais ce satané accord passé avec Mère m’interdit de donner l’ordre de te tuer. Tu me déçois d’en profiter.
Ozanne baissa les yeux. Elle en avait un peu honte.
- Pourquoi ce Sylaé te suit dans tes aventures ?
Sig labourait le sol de ses sabots de fureur. Ozanne lui répondit d’une voix faible :
- Je l’ai recueilli blessé. Depuis, nous nous entraidons.
Il hocha la tête silencieusement, puis reprit d’une voix sévère :
- Je vais te raccompagner jusqu’à la frontière. Si ton animal, nous suit silencieusement et sans agressivité, rien d’autre ne lui arrivera de mal.
Son frère la déséquipa des arcs, des flèches, de la lance brisée et de l’épée. Il ne fut pas surpris par les armes qui tombaient au sol à ses pieds. À trois, ils quittèrent le cirque. Au bout d’un moment, il brisa le silence :
- Tu connais mes zones de patrouille. J’ai si honte que tu aies profité de la carte. Je te l’avais confiée pour sortir vivante des montagnes, pas pour que tu te retrouves à l’utiliser pour les retraverser.
Son regard dur la toisait. Ozanne se perdait dans l’horizon. Il continua :
- Les trois hommes sont en vie. Celui que tu as blessé à l’épaule est dans un mauvais état. Je ne sais pas s’il va s’en sortir… Ozanne, j’ai dû tirer sur l’un de mes patrouilleurs pour te sortir de cette situation délicate. Te rends-tu compte des conséquences pour un lieutenant. Ils m’ont promu en sachant que je ne pourrais agir autrement dans une telle situation. Évite cette zone, sinon la prochaine fois, je ne respecterais pas le traité.
- Je dois me rendre à la capitale ! s’interposa Ozanne.
Elle s’était arrêtée, décidée à ne pas se laisser intimider.
- Tu sais que je ne peux pas te laisser faire…
Il n’eut pas le temps de finir sa remarque qu’un poignard finement affûté se planta dans le creux de son ventre. Son frère sortit son épée, surpris, mais il ne fut pas assez rapide et un autre l’atteignit à son épaule de combattant, lui laissant lâcher son arme et un hurlement. Ozanne continua jusqu’à ce qu’il s’écroule au sol. Une larme coula le long de la joue de la jeune fille lavant le sang de son visage. Elle trembla de tous ses membres en saisissant la corne de secours. Son frère lui saisit le bras :
- Pourquoi ? gémit-il d’une voix emplie de souffrance.
- Je suis désolée, sanglota-t-elle. J’appelle de l’aide. Il me faut rejoindre la ville, au plus vite…
Elle souffla dans le corps trois fois, déroba un nouveau plan plus détaillé, l’épée de son frère et des ressources avant de monter sur Sig et de partir dans l’autre sens. Avec l’accès au tour des gardes, elle pourrait aisément les contourner et traverser les montagnes jusqu’à la Mer Gelée.
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