Jera
Au petit matin, Peio atteignit le port de Jera. Le canyon s’arrêtait sur une corniche qui donnait sur la petite ville et le lever du soleil sur l’horizon marin.
Le jeune homme et sa jument étaient épuisés. La nuit avait ramené un peu de fraîcheur, mais le soleil se levant dans un ciel dégagé présentait une nouvelle journée écrasante de chaleur.
La petite cité s’étendait au long de la baie étroite. Chaque jour, elle ouvrait ses portes à des centaines de navires venant vendre des denrées du lointain ou amenant des gardes ou des civils jusqu’à la capitale.
Le groupe commençait à fouler les pavés gris clair du sol. Le son des sabots sur la pierre les réveilla après leur longue nuit.
Le guide en profita pour leur expliquer les événements qui suivraient leurs arrivées :
- Mademoiselle Léontine arrivera en fin de matinée. Son escorte a dû lui conseiller de se reposer dans un refuge avant de prendre la mer. Notre navire se trouve accosté sur partie gauche du quai. Il porte l’étendard du Lion, symbole de Sa Seigneurie et une proue sculptée à l’effigie de l’animal.
Peio en fut étonné. Le Seigneur en personne avait déplacé l'un de ses navires pour son père. Ghazi arborait un air fier et menait son élégant étalon noir devant les commerçants qui préparaient les étales pour le marché du matin. Il invita son fils à le rejoindre. Peio tenta de forcer sa jument à accélérer, mais celle-ci ne réagissait plus. Elle était trop épuisée pour allonger le pas. Le politicien regarda sa progéniture avec un air déçu et d’un coup sec de rennes arrêta sa monture.
- On tâchera de te donner un cheval plus gracieux pour le mariage, s’impatienta-t-il.
Ils reprirent au pas lent côte à côte. Peio se sentait épuisé. Il avait envie de dormir et d’éviter les jérémiades de son père.
- Elle est juste épuisée et moi aussi, souffla le jeune homme.
Ghazi s’endurcit un peu :
- Aslan m’a raconté que tu ne semblais pas investi !
- Aslan ? s’interrogea Peio, perplexe.
- Aslan Jurill. Ton cousin… Celui qui nous a menés jusqu’au port de Jera. C’est aussi lui qui prépare ton mariage. Mais, réveille-toi un peu, Peio ! s’énerva-t-il.
Peio comprenait un peu mieux le comportement froid de son guide. Celui-ci menait le groupe dans les étroites ruelles. Ghazi reprit :
- Tu n’y échapperas pas ! Tu parleras avec Mademoiselle Léontine avant notre départ en mer. Tu m’entends, Peio !
- Oui, père…
Le politicien donna un coup de talon et sa monture repartie au petit trot jusqu’à Aslan. Peio serra dans sa poche le médaillon. Il repensa à cette femme que lui avait décrite Ozanne, cette dame qui avait sauvé des orphelins. Le jeune homme avait regretté de l’avoir accusé de rejeter son nom de famille et le bijou qui avait traversé les générations. Sa famille à lui ne pensait qu’a faire briller le nom Jurill dans l’histoire. Le fossé entre ces deux points de vue était vertigineux.
Sa jument trébucha sur un pavé. Il sortit de ses pensées. Un impressionnant navire se présentait devant eux. Il y avait peu de doute, c’était le leur. La proue dorée représentait un lion endormi, symbole de sagesse et de savoir. L’avant de la coque était recouvert d’un métal argenté et les voiles repliées devaient cacher l’emblème de Sa Seigneurie : un lion rugissant de rage devant des dizaines de lances pointé sur lui, preuve de la puissance de l’empire face à ses voisins. Aslan reprit parole :
- Le duc Liosan Ferl nous a permis d’embarquer sur ce navire. Remercions-le en attendant de pouvoir le faire de vive voix dans la capitale. Descendez de vos montures avant de prendre le ponton. Des marins s’en occuperont une fois sur le pont. Vos appartements se trouvent à l’arrière du navire.
Il s’arrêta pour jeter un regard suspicieux sur les pavés :
- Les hirondelles ont le vol bas. Je vous conseillerai de dormir un peu avant que la mer ne se déchaîne.
Petit à petit, les hommes descendirent de leurs chevaux et commencèrent à monter sur le navire. Peio sentit le coup arriver. Il présenta son animal devant le ponton, mais malgré la fatigue, impossible de la faire monter dessus. Soudain, puisant dans ses dernières force, elle ne démordu pas et se cabra malgré les cinq marins qui lui était venus en aide. Au bout d’une demi-heure, ils arrivèrent à lui faire franchir les planches qui lui permettaient de monter une bonne fois pour toutes sur le navire et de rejoindre l’écurie au centre du bateau impérial.
La voix d’Aslan vint ricocher dans sa tête vidée de toute énergie :
- Mais où avez-vous trouvé cet animal ?
Peio se retourna pour observer le visage clair du jeune homme. Des yeux verts dépourvus de fatigue malgré la nuit le fixaient avec intérêt.
- Je l’ai récupéré dans les écuries du Théâtre, s’exaspéra le jeune homme. C’est un cheval de scène, non pas de voyage, mais je ne pouvais m’en payer un.
- Même avec l’argent de votre père ? s’étonna son cousin.
Peio prit un air un peu gêné :
- Ma mère a coupé les ponts avec mon père depuis quelques années. Elle refuse de payer quoique se soit avec son argent. D’habitude, je suis la règle, mais mes derniers écarts ne m’ont pas vraiment donné le choix…
- Votre mère risque d’être furieuse de l’apprendre. Viendra-t-elle au mariage ? demanda-t-il.
Peio jeta son regard vers l’horizon.
- Il n’y a pas de doute. Ma soeur et elle y seront. À contrecœur et avec tout l’art de la comédienne désespéré, mais elle y sera…
Aslan émit un rire amusé :
- Telle mère, tel fils, je présume !
Le jeune homme esquissa un rictus tendu. Aslan devait vraiment le prendre pour un fanfaron. Ce dernier reprit :
- D’ailleurs, vous devriez continuer à faire des exercices, votre costume sera plus adapté à une plus fine carrure.
Le sourire se crispa sur son visage. Et le coup de poing dans sa tête, il le veut ? Tout de même, il garda une mine enjouée et acquiesça avec ferveur avant de détacher ses yeux de l’océan bleuté.
- Je suis épuisé par cette nuit de voyage. Je vais aller me reposer un peu.
- Eh bien faites ! Prenez-vous une bonne nuit avant l’orage qui secouera le navire.
Peio se retira pour rejoindre sa cabine.
Une luxueuse décoration la mettait en valeur et un lit moelleux l’attendait. Il s’enfonça dans le matelas et se laissa partir dans un lourd sommeil.
Une tempête, mais pas celle qu’avait prévu Aslan fit rage dans sa chambre. Peio sortit de son sommeil au son d’une voix qui le terrifiait : la colère de Léontine.
- Monsieur Peio Jurill !
Ce dernier se redressa, cheveux foncés en bataille sur sa tête, des yeux encore ensommeillés et l’esprit embrumé d’un repos trop court, il répondit malicieusement :
- La future Madame Léontine Jurill !
Cette dernière se calma un peu, mais ne s’arrêta pas de si bons chemins. Pour une fois, qu’elle l’avait sous ses yeux et non pas dans les mains de je ne sais quel homme d’affaires de la région !
- L’idée du mariage ne te plaît pas, j’imagine.
Ses fins sourcils se plissèrent devant lui de façon perplexe et ses yeux vert émeraude l’examinèrent de haut en bas. Peio souffla :
- L’idée de me marier n’est pas la plus encombrante. C’est plutôt celle de le faire pour l’intérêt de nos pères.
Léontine s’assit sur le lit en face du jeune homme. Elle prit un temps embarrassant avant de répondre :
- C’est de ta faute, Peio. On aurait pu vivre tranquillement, se marier seulement quand on aurait eu envie. Mais avec toutes tes affaires, tu nous as mis dans cette situation.
Son regard l’accusait. Elle ne le souhaiter pas plus que lui. Peio décrocha ses yeux des prunelles de son amante. Il supportait difficilement le poids de ses erreurs. Léontine reprit d’une voix plus douce :
- C’est moi, le problème… Cinq ans ensemble, ça t’a suffi. Tu as fini par t’ennuyer de moi ?
Peio releva les yeux.
- Non, ce n’est pas cela. C’est plus compliqué… Léontine, je ne peux pas vraiment t’en parler…
De nouveau, les yeux de la jeune fille s’enflammèrent.
- Ah non ! Pas de ça avec moi. On dirait une de tes scènes de théâtre romantiques. On s’était promis qu’il n’y aurait pas de tout ça entre nous, Peio !
Le jeune homme lui renvoya le reproche.
- C’est toi qui as commencé avec ton « je ne suis pas assez bien pour toi », Léontine !
Celle-ci lui prit un coussin qu’elle envoya sur lui. Sa colère transformait en sourire taquin.
- Je me pose vraiment la question ! Pourquoi tu es devenu tout bizarre ? Pourquoi tu as arrêté tes études et commençé à traîner dans des réceptions étranges comme celle des Horla et ces ventes aux enchères ? Tu sais qu'Aloïs est venu chez moi après pour me dire que si je disais t’avoir vu tirer par le cheval, il irait rapporter à mon père mes soirées nocturnes.
Peio s’en voyait navré. Il haussa les épaules, ce qui lui valut un deuxième coup d’oreiller. Il tenta de se démêler de la situation avec un peu d’explications :
- Ça ne va pas te plaire…
- J’écoute ! s’impatienta Léontine.
- Ton père me posait des questions bizarres sur des objets qui semblaient porter tout genre de malédictions. J’ai essayé d’en savoir plus, alors je me suis introduit chez lui et ai rencontré deux domestiques du manoir. Voyant qu’ils préparaient quelque chose d’étrange, je les ai suivis et me suis retrouvé dans cette soirée.
Léontine acquiesça.
- Et pour la réception des Horla ? ajouta-t-elle.
- Personne ne semble me croire, mais j’y étais allé pour passer du bon temps.
- Tu as rencontré quelqu’un là-bas ? fit la jeune fille en le fusillant du regard.
- Un peu, mais j’étais malheureux et j’ai trop bu. Voilà, l’histoire !
La jeune fille eut un sourire triste, mais satisfait. Elle finit par lui poser une dernière question :
- Pourquoi as-tu arrêté tes études ?
Peio se doutait que la réponse ne lui plairait pas. Pour la préparer, il lui prit doucement la main.
- Je savais que j’allais devoir m’éloigner de toi. Comme ton père me payait mes études parce que ma mère refusait que ce soit le mien qui le fasse, j’ai préféré arrêter avant.
- Pourquoi tu devais t’éloigner de moi ? dit-elle d’un ton triste.
Peio ne savait que répondre. Un démon lui avait dit que son beau-père pouvait mettre en danger sa famille. Cela lui avait retourné le cerveau dans tous les sens. Et Ozanne à côté… Tout ce changement l’avait un peu dérouté. Il la prit dans ses bras :
- J’étais un imbécile. Je voulais un peu voir ailleurs. Comme le mariage, j’avais un peu l’impression que notre amour était superficiel. Je ne sais pas si tu accepteras de me pardonner.
Léontine se mit à rire. Peio en fut surpris.
- Si je suis dans tes bras, je présume qu’ailleurs, ce n’est pas terrible !
Le jeune homme sourit en posant sa tête sur ses cheveux. Léontine reprit d’un ton sec :
- Je sais que tu me mens, Peio !
L’historien ne dit rien, mais fulminait dans sa tête. Il avait mis tout son cœur dans ses mensonges et il y avait beaucoup de vérité. Il se défendit comme il le pouvait :
- Tout ce que j’ai dit, c’est vrai, s’énerva-t-il d’un coup.
Léontine s’échappa de ses bras et se retourna étonnée vers lui. Les sauts d’humeur, s’étaient son créneau, pas celui de son amoureux. Elle le scruta avec attention et à la vue de ses cernes, elle en déduit qu’il était un peu à cran de tout cela. Elle laissa échapper un souffle irrité et se remit dans son étreinte.
- Chaque chose en son temps. On va laisser cette histoire de côté, sinon je sens que je vais avoir un compagnon de lit grognon en plus d’être malade pendant toute la traversée.
Peio relâcha un peu ses nerfs.
- Oui, j’ai besoin de me reposer.
Ils s’allongèrent côte à côte. Le jeune homme prit seulement quelques minutes avant de sombrer dans un nouveau sommeil profond.
#Note de l'auteure
Je me demandais : pour le titre du tome 1, je pensais Terre Blanche et Ciel Claire.
Qu'en pensez vous ?
Le second se nomme (spoil) L'Or Noir des Océans (pour faire un parallèle entre les deux et garder une couleur dans chaque titre car c'est ma marque de fabrique ;) )
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