La Mer Gelée
Ozanne s’était faufilée parmi les rondes des gardes. Au bout de quelques heures, la milice s’était rendu compte qu’une intruse s’était glissée dans leurs rangs, mais avec les plans de son frère et l’uniforme, il lui avait été aisé de détourner les combattants et de les embrouiller quand il s’agissait de traquer Sig.
Après de longues heures dans les montagnes, elle était enfin arrivée jusqu’à la Mer Gelée. Une étendue de glace qui semblait infinie…
La zone protégée par la milice extérieure était reposante. Une végétation chétive prenait place autour des habitations et les civils réfugiés dans de solide maison profitaient de la protection des gardes. Toutefois, ces populations souffraient de famine et de maladie. Là où les Hommes des plaines se satisfaisaient de leurs environnements vastes pour se trouver à manger, les zones protégées se retrouvaient coincées entre la montagne et la Mer Gelée. Un autre monde prenait ainsi place.
L’argent devenait la première monnaie d’échange. Pas de troc ne s’organisait dans les bourgs qui bordaient la Mer. Les hommes travaillaient durement pour gagner quelques sous et s’acheter de quoi donner à manger à leurs enfants. Une vie honnête qui ne trouvait récompense que dans le peu de chaleur qui venait réchauffer les cœurs et les chaumières.
Ozanne avait peu connu ce monde. Elle avait quitté la Capitale et on l’avait jetée au-delà de la frontière, destinée à se débrouiller seule dans un monde sauvage et empli de forces sombres. Plus la jeune fille avançait dans son voyage, plus des pensées venaient la tourmenter. Que ferait-elle si elle trouvait une autre entrée pour accéder à la Capitale ?
Peio n’avait pas compris la grandeur des injustices de son monde. Les remparts de la muraille protégaient les personnes aisées. Par là-bas, certains enfants grandissaient sans n’avoir jamais connu ne serait-ce que le moindre animal sauvage. Cela avait était son cas, il y a longtemps…
Pour rentrer dans la Capitale, il fallait satisfaire seulement deux conditions. Avoir de quoi payer la solde pour rentrer dans la ville et ne porter aucune malédiction.
Pour la première, la somme s’élevait à des prix impayables. Il fallait être un véritable homme d’affaires et s’enquérir d’une fortune sur plusieurs générations. Pourtant, chaque jour, des hommes et des femmes tentaient leurs chances. Harnachant leurs faibles affaires sur des traîneaux, des passeurs les emmenaient jusqu’aux murailles, dans l’espoir que sur un malentendu ou sur un acte de courage, on les laisse entrer, ce qui n’arrivait jamais.
Pour la seconde condition, il fallait affronter le canyon rempli de bandits ou les montagnes gardées par la milice. Sans Sig et la présence de son frère en tant que lieutenant, cela était impossible. Mais le plus inquiétant était après...
Ozanne regardait la surface de la glace d’un œil tendu. Elle l’avait fait une fois dans le sens contraire. Elle pourrait le retraverser…
Sur la pente douce qui menait jusqu’aux abords de la Mer Gelée, elle descendit de Sig et commença à cisailler quelques branches d’arbustes avec son poignard. Il lui en fallait des longues et solides. Ozanne attachait ensuite les rameaux sur le dos de son animal à l’aide d’une corde. Elle n’avait pas de temps à perdre, mais avant il lui fallait construire un moyen de locomotion efficace. N’ayant quasiment pas traversé ces paysages de glace, il lui fallait construire quelques choses qui se rapprochaient le plus des Passeurs.
Elle s’installa non loin d’une des berges et commença son élaboration de traîneau. Ozanne voulait s’appliquer pour ne pas qu’il lui fasse défaut. Il lui fallait éviter les gardes qui la recherchaient activement et ne pas se faire voir des civils qui venait récolter quelques baies dans les fourrés. Ainsi la construction de son système était fastidieuse et stressante.
Un soir, alors que son traîneau s’achevait et qu’elle réfléchissait à un moyen de faire passer Sig sans encombre sur le sol glissant, elle la vit...
Une lumière intense brilla sous la glace. Celle-ci se déplaçait à une vitesse hallucinante sous la calotte. La lueur en vint à illuminer un point qui cheminait vers la Capitale : un traîneau. Ozanne retint son souffle.
Dans le village en contrebas, des cris de stupeur et d’excitation se firent entendre et les habitants tentèrent d’atteindre les hauteurs pour mieux l’apercevoir. La jeune fille se cacha dans un buisson généreux pour ne pas être vue. Le vif éclat ondulait en dessous du traîneau qui tentait de s’en échapper comme il le pouvait. Un bruit sourd resonna des profondeurs, comme un choc violent étouffé. Puis un deuxième, ensuite un troisième et ainsi de suite jusqu’à ce que la glace se brise sous le traîneau qui disparut sous d’impressionnantes dents tranchantes. Du monstre marin, ne se virent que la lumière éblouissante et une mâchoire démesurée. Ozanne en frissonna de peur, alors que les hommes étaient éblouis par le spectacle.
Le Dévoreur de Démon reparti sous la glace et la lumière s’étouffa dans les abysses. Le sort du traîneau était la conséquence du non-respect de la deuxième condition pour rentrer dans la Capitale, celle de ne porter aucune malédiction sur soi pour la rejoindre. L’animal sentait… ressentait les porteurs de démons et tachait de les supprimer avant que ceux-ci n’atteignent les remparts.
La jeune fille se mit à trembler d’effroi. Les marques de la démone, le fil de vie de Baltazar. Cela faisait beaucoup. Pourtant, elle l’avait déjà fait et elle savait que les îles pourraient la protéger du monstre.
Dans la peur qui lui rongeait le ventre, elle retourna s'endormir auprès de Sig, cachée des habitants et des miliciens grâce aux épais buissons de la zone protégée...
Annotations
Versions