Le Vent et la Houle 

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Ozanne se remettait difficilement de sa nuit intense. Dans les quelques jours qui avaient suivis l’apparition du Dévoreur de Démons, la jeune fille avait été réveillée en pleine nuit.

Dans un demi-sommeil, elle n’avait pas compris tout de suite ce qui se passait. Des liens l’emprisonnaient l’empêchant de bouger. Dans la panique, elle avait tout de même réussi à saisir son poignard pour s’en défaire. Se relevant brusquement, elle n’avait, du premier regard, rien vu de particulièrement dangereux. Dans la pénombre, tout se confondait. Les arbustes se secouaient au gré des vents… Pourtant, il n’y avait pas de vent.

Une branche avait agrippé son mollet. D’un coup vif de sa fine lame, elle avait rompu ses entraves. La démone était de retour. Elle devait s’être rendu compte de la supercherie. Le problème étant que dans les environs, la flore était bien plus pourvue que dans les plaines. Le danger était partout…

Ozanne avait couru vers son traîneau tout en sifflant pour que Sig la rejoigne. Les animaux ayant une peur bleue des démons, sa monture devait s’être réfugiée sur la glace. Son intuition était d’ailleurs la bonne. Malgré l’impuissance de ses sabots sur ce sol, Sig s’y était laissé glisser de terreur dessus.

La jeune fille poussa son traîneau sur la glace, tout en esquivant une racine tout droit sortit de la neige. Une fois sur la Mer Gelée, Ozanne aurait pensé qu’on la laisserait tranquille, mais les tiges continuèrent à grandir sur la surface glacée du sol. Elle avait alors poussé de toutes ses forces son traîneau et bondit dessus. En glissant, elle avait commencé à reprendre un peu d’avance.

Elle avait rejoint Sig rapidement, l’avait harnaché sur le devant et avait de justesse pu ajouter les crampons qu’elle avait taillés dans de la pierre sur ses pattes avant. Sur un coup de rennes puissant, l’animal avait commencé à fuir, s’habituant à ces nouvelles capacités à courir sur la glace. Après quelques dégringolades sur le sol, il s’appuya sur ses pattes avant et réussit à semer leur poursuivante.

Désormais la journée se levait et Ozanne tremblait de froid et de peur. Une fois la crique passée, le vent s’était mis à souffler sur la banquise. La jeune fille scrutait avec crainte la glace qui défilait sous ses yeux. Elle voulait rejoindre l’île en une nuit seulement. Voyager la journée était bien trop dangereux. On ne pouvait voir la lueur du monstre marin…

***

Peio somnolait difficilement. Le bateau avait pris la mer, il y a quelques jours, mais les minutes duraient des heures. Le temps pesant avait laissé sa place à un terrible orage. La pluie battait contre les armatures du navire. La foudre tonnait bruyamment en zébrant le ciel sombre. Il n’y avait plus ni nuit, ni jour, seulement des longs moments dans une cabine trop petite qui se secouait dans tous les sens.

Léontine avait tenté de reprendre ses discussions avec son amoureux, mais ce dernier était moins communicatif qu’en temps normal. Le mal de mer l’avait aussitôt rattrapé et les nausées s’enchaînaient sans s’arrêter, l’assommant et le retranchant dans ses cabines. Enfin c’est ce que l’équipage pensait.

Dans certains moments de calme durant lesquels les marins profitaient pour se se reposer un peu avant de reprendre dans la panique, des seaux pour vider l’eau qui envahissait le pont, Peio se faufilait dans les cabines pour récolter des informations. L’épreuve lui était compliquée, mais petit à petit, il s’était équipé d’une des cartes du capitaine où les îles environnantes étaient inscrites ainsi qu’un plan détaillé de la capitale qu’il avait dérobé à Aslan.

Désormais le plus dur était à venir. Le vent s’était calmé le temps d’un moment. Peio devait prendre son courage à deux mains. Deux semaines s’était écoulé depuis leurs départs et leur point de rendez-vous ne devait plus se trouver loin. Léontine à ses côtés dormait profondément. Sa gardienne était hors d’état de nuire, c’était l’heure de l’évasion.

Le jeune historien se leva doucement et s’habilla prudemment d’une importante veste de pluie. Il quitta la chambre discrètement. Les couloirs du navire étaient vides. Parfois quelques filets de voix s’échappaient des cabines, mais tant que personne ne l’entendait, il n’avait rien à craindre. En sortant des appartements, le vent le fouetta violemment. Il se retint à la poignée de porte pour éviter d’être bousculé par les bourrasques. Il continua avec difficulté en longeant les murs et les barrières de bois du pont. Son cœur battait la chamade. C’était de la pure folie.

Il arriva jusqu’aux barques qui se secouaient à chaque vague qui se jetait sur la coque du navire. Le jeune homme craignait de se faire avaler par la Mer. Après quelques minutes d’efforts, il réussit à monter dans l’un d’eux. Il s’assit un instant dedans pour retrouver ses esprits. Il devait maintenant se lever. En essayant de maintenir son souffle à un rythme normal, il se redressa dans l’embarcation avec difficulté jusqu’à trouver un équilibre. D’une main tremblante, il tenta de détacha la corde pour la faire descendre. Il en avait des hauts le cœur. Impossible le nœud était trop serré. Il commença à tirer dessus de panique.

- C’est le meilleur moyen de finir noyé, Peio…

Il se tourna en perdant son équilibre durement trouvé. Il chuta dans la barque, incapable de bouger tant la peur le tétanisait. Le visage calme, ensommeillé et perplexe de Léontine se figea sur lui.

- Mais qu’est ce que tu fais encore ? s’énerva-t-elle doucement.

Peio la regarda avec impuissance. Il tenta de prononcer quelques mots :

- Je… je voudrais rejoindre la terre… ferme.

Les prunelles émeraude de Léontine en disaient long sur son incompréhension :

- Avec ce temps-là ?

- Je peux plus, bredouilla Peio, du navire, des vagues…

Léontine s’énerva.

- Et bien, allons-y ! Parce que monsieur veut toujours n’en faire qu’a sa tête. Allons sur la terre ferme.

La jeune fille sauta sur la barque et d’un geste sec défit le nœud. Son coup de colère fit descendre la barque un peu plus vite que prévue et celle-ci amerrit durement. Dans la panique, Léontine s’accrocha à Peio qui referma ses bras autour d’elle. Une fois le choc passé celle-ci se détacha de l’étreinte de son amant.

- Ne me fais pas croire que c’était un acte de courage et d’amour, Peio. C’était juste un réflexe.

Elle prit une rame avec rage.

- Dans quelle direction ? continua-t-elle.

- Par là-bas, lui montra-t-il dans le brouillard.

Elle commença à ramer comme elle le pouvait. Voyant Peio la regarder, hébété, elle rugit férocement :

- Tu pourrais m’aider aussi !

Désespéré par les secousses, il s’enquit d’une autre rame pour avancer vers l’île.

Ils arrivèrent miraculeusement au bout d’une heure épuisante. La barque se cogna contre une plage de sable. Peio trébucha en sortant du navire et s’écroula sur le sol. Tout son corps tremblait de froid. Léontine se pencha au-dessus de lui. Ses cheveux blonds étaient trempés. Elle tremblait tant elle était mouillée. Mécontente, elle lâcha quelques mots :

- La terre ferme, la voilà !

Peio tenta de se relever, mais c’était maintenant l’île qui se secouait sous ses pieds. Il n’avait pas beaucoup d’équilibre. Léontine le laissa où il était et alla s’abriter de rage sous un arbre. Après quelques tentatives, il réussit à se lever pour la rejoindre.

- Tu aurais dû me laisser me noyer, si c’est pour être de mauvaise humeur.

Elle se retourna furieuse.

- J’en ai marre que tu fasses toujours des plans tout seul. Je ne comprends pas, Peio. Ce n’est vraiment pas ton genre…

La fin de la phrase montrait la déception de la jeune fille.

- Et pourquoi ce ne serait pas mon genre ? s’énerva Peio

- Parce qu’on se connaît depuis bientôt six ans. Je te connais par cœur, s’impatienta-t-elle. J’avais laissé ma fenêtre ouverte, ce soir-là parce que je n’étais pas censé sortir. Quand je t’ai vu descendre le long du mur, je me suis sentie si mal ! Je m’étais imaginé que tu avais fait l’effort de monter jusqu’à ma chambre pour venir me voir, mais que je n’étais pas là. J’ai voulu aller te rejoindre dans les ruelles, mais j’ai vu que tu suivais des personnes étranges. J’ai alors compris que tu n’étais pas venu pour moi…

Peio ne dit rien. Son regard se perdait dans la houle sauvage. Il commençait à se remettre doucement des trois jours passait en mer. L’idée d’y retourner le mettait mal à l’aise. Le silence s’éternisa. Léontine le brisa :

- Je parlerais à ton père pour annuler le mariage…

Peio se retourna brusquement.

- Hors de question. J’ai besoin de temps… Je vais me promener un peu dans les environs pour réfléchir à tout cela et on reprendra la mer pour rejoindre le navire.

Le jeune homme se leva avec prudence. Au moment de s’éloigner, la faible voix de Léontine se fit entendre dans son dos.

- Peio… C’est ton père qui m’a réveillée… Il sait où on est et ce qu’on fait là. Il ira nous chercher avec une embarcation plus solide. C’était juste le moment de parler un peu de tout cela…

- Tout à l’heure, l’interrompit Peio.

Il s’éloigna dans la forêt pour retrouver Ozanne.

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