Alter Pugna
Peio fulminait en traversant les bois. Il devait faire au plus vite. Se remettant doucement de ces jours en mer, il commença à accélérer le pas dans une montée. Il souffla d’épuisement lorsqu’il arriva en haut de la colline. Il trouva enfin Ozanne au milieu d’une clairière. Elle semblait amochée. Les nouveaux vêtements qu’elle s’était procurés étaient arrachés à certains endroits, son teint avait pâli depuis leurs dernières entrevues et ses cernes en disaient long sur son manque de sommeil.
Le jeune homme s’arrêta à quelques pas d’elle. Il était déjà assez trempé pour se risquer à aller sous la pluie. La protection des arbres lui était d’un grand secours.
Voyant que Peio n’était pas décidé à bouger, Ozanne avança lentement vers lui. Ses yeux fixaient le petit buisson qui se trouvait derrière. Du côté de la jeune fille, la végétation était bien plus rase que celle de Peio, mais aussi bien plus dangereuse.
- Je n’ai pas beaucoup de temps, commença d’une voix tendue Ozanne.
- Cela tombe bien parce que moi non plus ! annonça Peio, découragé.
Il saisit dans l’une des poches de son blouson de pluie la carte volée d’Aslan et la présenta à Ozanne :
- J’ai miraculeusement trouvé ces plans de la Capitale.
Ozanne sortit un charbon de bois et un bout de papier et commença à annoter les coordonnées et points de repère qui se trouvaient autour. Réfléchissant aux meilleurs moyens de fuir la démone et le monstre marin, Ozanne ne se faisait tout de même pas d’illusion.
- Toutes les entrées principales de la ville sont scellées et je ne pourrais pas les ouvrir. Y en a-t-il des moins connue, peu fréquenté ?
Peio réfléchit un instant pour lui donner des réponses concrètes. Il commença à lui montrer quelques portes de maisons qui donnaient sur l’extérieur et l’entrée des gardes, mais Ozanne sembla désapprouver. Le jeune homme s’exclama :
- Les égouts !
- Les égouts ? sembla se demandait Ozanne.
- Oui… mais les eaux sales doivent être rejetées dans la mer. Il est probable qu’elle soit sous la glace.
La jeune fille fut satisfaite.
- C’est exactement ce qu’il me faut !
- Comment comptes-tu t’y prendre ? répondit Peio en reprenant un peu de vigueur.
- Je vais me faire une pioche. Cela pourra prendre du temps et il est possible que cela ne mène nulle part, mais il me faut un passage que personne ne connaît, s’enthousiasma-t-elle.
- Et pour quelle raison ? tonna une voix derrière eux.
Une voix qu’ils n’aimaient pas particulièrement… celle de Baltazar. Sans se retourner, Ozanne regarda Peio d’un air mécontent. Ce n’était pas le moment pour qu’un démon se ramène. En retour, le jeune homme leva les yeux au ciel et se retourna :
- Pour accéder à la Capitale.
Baltazar se tenait avec prestance. Le démon était habillé noblement et portait un étrange chapeau sur sa tête, qu’il retira pour laisser place à son visage blafard et ses yeux noirs cernés. D’un ton nasillard, il montra sa forte désapprobation.
- Judicieuse idée qui vous a parcouru les esprits pendant mon absence. C’est vrai que la Capitale est un lieu sécurisant. N’est-ce pas, Ozanne ? Tu t’es sûrement dit que traverser la Mer Gelée avec le fil de la vie te reliant à Peio pourrait aboutir à une fin heureuse, surtout quand tu sais qu’un terrible animal rôde dans les parages.
Ozanne s’énerva. Ces deux-là ne s’étaient croisés que deux fois pourtant elle ne pouvait le supporter.
- Je n’ai plus trop le choix, maintenant. J’ai croisé l’une de tes amies et elle n’a pas pris vraiment le temps de discuter…
- L’une de mes amies ? répondit Baltazar tout en plissant les yeux.
- Oui, une femme à l’allure de brindille, pupilles inexistantes et yeux bleus globuleux qui s’amuse à me courser avec des racines et des branches. Je ne la trouve pas plus amusante que le dévoreur de démon.
Baltazar en fut surpris.
- Oui, effectivement... Agatha n’est plus ce qu’elle était avant. Je ne savais pas qu’elle s’était retrouvée dans cette dimension.
Les pensées à voix haute de Baltazar perturbèrent Peio. Cette dimension ? Le démon reprit.
- Et le meilleur moyen de s’en débarrasser est d’aller dans un lieu sans végétaux. Les plaines givrées sont le meilleur endroit pour te protéger.
Il se tourna vers Peio.
- De même pour toi. J’ai appris de justesse pour le mariage. Fais demi-tour ! N’écoute pas ton père ni Mademoiselle Léontine. Ils vont te mener tout droit dans la gueule du loup.
- Tu veux parler de Liosan Ferl ? s’enquit d’un air blasé, le jeune homme.
- Tout à fait. Il sera présent sans faute à ce mariage et crois-moi, un gendre qui traîne dans ses affaires, c’est bien la dernière chose qu'il l’a envie d’hériter. Fuis avant qu’un couteau ne vienne se planter dans ton dos.
Peio en frissonna. Mais quel était le sens de tout cela ? Il croisa les yeux d’Ozanne qui lui fit signe de maintenir son attention.
- Pourquoi Liosan voudrait-il ma mort ? Excepté ces derniers mois, j’ai toujours pris soin de sa fille.
- Je viens de te le dire ! s’exclama Baltazar. Tu fouilles dans ses affaires depuis un moment. La preuve, tu m’as rencontré. Crois-moi que Nathanaëlle n’a pas tardé de l’avertir de ta présence aux enchères…
Ozanne chercha quelques choses à ses pieds. Le jeune homme ne comprenait pas trop. Elle lui fit signe de continuer.
- Qui est Nathanaëlle ? s’étonna Peio.
- Des histoires qui ne t’intéressent pas, grogna le démon. Disons qu’elle est la responsable de quelques soucis que j’ai rencontré ses dernières années. Je n’étais pas ravie que tu la rencontres à son anniversaire.
Peio se souvint. La jeune fille rousse de la vente aux enchères, celle qui lui avait ouvert la porte. Tout était lié, cela devenait de plus en plus inquiétant. Ozanne ramassa quelques choses à terre. Son visage présentait une expression satisfaite.
- Je devais comprendre, continua Peio pour faire diversion. Nous lier ainsi sans explication et nous laisser pendant trois mois sans nouvelles... Tu t’attendais à ce qu’on reste les bras croisés. On a fini par comprendre que nos mondes n’étaient pas si différents : La Kiolasse, le pendentif de ma famille, la Mer, la Capitale. On a finalement beaucoup de questions à te poser.
Baltazar s’exclama d’un geste théâtral de la main :
- Et que les démons m’en gardent. Le hasard vous a choisi. J’aurais voulu lier des personnes moins intelligentes qui seraient restées à leur place au lieu de vouloir tout comprendre et tout affronter.
- Tout comprendre, ce n’est pas à notre portée, répondit calmement Peio qui venait de comprendre ce qu’Ozanne voulait faire. Affronter ce qu’il est possible d’affronter, j’en ferais le maximum. Je ne le fais pas pour moi, mais pour qu’Ozanne soit saine et sauve derrière les murailles de la Capitale. Je me fiche de ce que pourra me faire Liosan, je me marierais avec Léontine à la Capitale.
- Et tu en es bien bête. J’ai eu tant de mal à vous lier…
Un choc brutal atteint le crane du démon. Ozanne, un caillou dans la main venait d’assener un coup violent sur le dessus de sa tête. Celui-ci se retrouva sonné à terre. La jeune fille sortit un poignard qu’elle lui posa sous la gorge.
- Et toi Baltazar, tu es bien faible pour un redoutable démon.
Elle lui assena un coup violent du pommeau de son arme. Un liquide noir de même aspect que le sang sortit de sa bouche. Un sourire se dessina sur ses lèvres.
- Pas faible. Insaisissable. Et je vous aurais prévenus.
Ce dernier disparu aussitôt, laissant Ozanne atterrir au sol. Peio la regarda d’un air apeuré.
- Je ne suis pas sûr que cela soit une bonne idée. Se mettre à dos Baltazar alors que c’est lui qui nous a liés…
Ozanne se releva.
- Il ne sait même pas se défendre. Les mots, ce n’est pas trop mon truc. Moi, derrière, j’ai d’autres soucis plus importants que de vieilles mises en garde.
- C’est ce que j’ai dit dans le beau discours que je viens de lui faire, répondit fièrement Peio. On aurait dit mon père lors de ses prises de paroles en public.
Ozanne sourit et le remercia d’un signe de tête.
- On fait ce qu’on a dit ! Les égouts ? Tu y seras dans combien de temps ?
- Une semaine, pas plus, s’exclama le jeune homme, avec l’énergie retrouvée.
Ozanne acquiesça.
- Une semaine, ça me va. Le temps de préparer de quoi briser la glace, en espérant que cela ne soit pas trop profond, que le dévoreur ne me rattrape pas et que la démone ne m’étouffe pas dans mon sommeil.
Peio sourit aux mille dangers du monde de la jeune fille.
- Pareil ! J’y serais si mon beau-père ne m’assassine pas une fois arrivé sur le port.
Ozanne le regarda d’un air amusé.
- Une fois à l’abri, je t’apprendrais à te défendre. Bonne chance, Peio !
- De même Ozanne.
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