L’Empoisonnement
Après avoir rejoint la Haute Ville par de nombreux escaliers qui traversaient la Capitale dans tous les sens, ils arrivèrent jusqu’à un portail en fer attaqué de toute part par des plantes grimpantes. Peio était essoufflé. Quelle folie de vivre dans une telle cité ? Léontine en avait ri pendant toute la montée et la bonne humeur semblait égayer les deux amoureux. Aslan inséra une clé dans la serrure et d’un cliquetis, le Balcon s’ouvrit.
L’entrée n'était qu’une grotte ouverte. Un toit de pierre solide se trouvait au-dessus de leur tête. Après quelques pas sur la pierre, ils arrivèrent dans un jardin. Celui-ci se recouvrait de fleurs et d’arbres, ainsi qu’une allée de gravillons blancs qui traversait la cour. Au bout de l'esplanade, le vide. Des barrières de bois clair finement sculptées encerclaient tous les lieux pour éviter qu’un invité ne tombent. La jardin donnait une vue magnifique sur l’horizon, parfaitement orienté pour observer le soleil sombrer dans la mer à l’arrivée du soir.
Prise d’une humeur enfantine, Léontine se mit à courir dans l’herbe de bonheur. Elle se retourna vers Peio qui souriait, lui aussi.
- C’est magnifique !
Celui-ci acquiesça en la prenant dans ses bras. Aslan, derrière eux, les regardait d’un air attendri. Il disparut derrière un arbre pour les laisser tranquille. Léontine en profita :
- Maintenant, je veux tout savoir sur tes secrets !
Peio souffla d’épuisement et décrocha ses bras pour s’installer sur l’herbe. Elle le rejoignit, ses yeux l’épiant une nouvelle fois.
- Le problème dans toute cette histoire, c’est que tu ne vas pas me croire…
- Je ferais mon maximum, se contenta de répondre Léontine.
Le jeune homme se gratta doucement sa barbe naissante.
- Je crois que ton père veut m’assassiner.
Les yeux de la jeune fille s’arrondirent de surprise.
- Mais qu’est ce que tu me racontes ?
- Je savais que tu ne me croirais pas ! s’exclama Peio, exaspéré.
- Pourquoi il voudrait t’assassiner ? s’impatienta Léontine.
- Parce que j’ai fouillé dans ses affaires.
Elle explosa de rire. Peio, lui, gardait son sérieux.
- Mon père ne va pas te tuer parce que tu as traîné dans les salles des reliques. Depuis le temps que tu le connais, tu sais qu’il est généreux !
Le jeune homme baissa les yeux.
- Et les serviteurs ?
- Ceux que tu as suivis ? Je ne sais pas ce qu’ils fabriquaient, ni s’ils le faisaient pour mon père, mais cela n’avait rien de dangereux. Ces enchères ressemblaient plus à un spectacle et le public appréciait. Je pense que tu t’es inventé des histoires...
La jeune fille avait laissé sa phrase en suspens. Ses yeux s’étaient rivés derrière son dos avec méfiance. Peio se retourna et n’en croyait pas ses yeux. Un homme droit, cheveux grisonnants, des petites lunettes sur le nez et une cigarette dans la main. Un sourire traversa son visage :
- Décidément, ce n’est jamais le bon moment pour m’entretenir avec vous, Monsieur Peio, commença calmement Aloïs Horla en retirant sa cigarette de sa bouche.
Peio en eut froid dans le dos, alors que Léontine bondit de colère.
- Vous nous avez suivis ?
Alois ne perdait pas de son sourire.
- Les conseillers de Sa Seigneurie ont commandé des bouteilles de mon vin pour l’arrivée de la campagne. Je me disais que c’était le bon moment pour continuer la petite discussion que j’avais eue avec mon employé. Celle-ci avait été malencontreusement interrompue par Monsieur Ghazi Jurill.
- Malencontreusement ? s’étonna Léontine. Vous lui avez arraché un ongle pour le faire parler sur des événements sans importances.
- Sans importance ? Aux dernières nouvelles, mes méthodes fonctionnent. Nos derniers échanges étaient des plus productifs.
Son regard se riva avec intérêt sur Peio qui se faisait tout petit. Léontine posa ses yeux intrigués sur lui. Le jeune homme était devenu le centre de l’attention, mais il ne pouvait plus délier sa langue. Son cœur battait fortement dans sa poitrine. Alois reprit :
- Mademoiselle Léontine, auriez-vous l’amabilité de vous promener sur le Balcon pendant que je m’entretiens avec votre futur mari ?
Léontine garda son ton autoritaire :
- C’est vous qui lui avez mis tout cela dans la tête. Tout le monde sait que vous détestez les méthodes commerciales de mon père. Mettre son beau-fils sur ses gardes était le meilleur moyen pour empêcher le mariage et faire défaut à la campagne de Ghazi Jurill.
Alois perdit de son sourire. Il remonta ses lunettes sur son nez.
- Ces accusations ne sont pas fondées, Mademoiselle Léontine. Votre père cache quelque chose et Monsieur Peio à intérêt à se méfier de cette personne. Ce n’est pas à votre mariage que je veux causer du tort, mais au marché imprenable de Liosan. C’est pour cela que je vous prie de bien vouloir vous éloigner des affaires de votre père, si vous ne voulez pas vous retrouver dans des situations embarrassantes.
Léontine ne bougea pas d’une semelle. Ses yeux fusillaient le vigneron.
- Je reste ici !
- Ne soyez pas bête, Léontine. Regardez l’état de votre mari. Il n’a fouillé que quelques fois dans les affaires de votre père et les ennuis dans lesquels il se trouve sont démesurés pour une telle situation.
- Une situation que vous avez aggravée, continua la jeune fille aux bords de nerfs. Il se porterait parfaitement bien si vous ne l’aviez pas traîné, humilié et torturé.
Des bruits de pas se firent entendre de la grotte. Une dizaine de gardes de la ville arrivèrent sur le balcon, lance à la main et prêts à attaquer. Ils encerclèrent Aloïs. Ce dernier perdit son air sérieux et calme, du fait de son incompréhension. Un sergent assigné par une étoile dorée se dirigea vers le vigneron.
- Monsieur Aloïs Horla, vous êtes en état d’arrestation pour acte de torture auprès de Monsieur Peio Jurill, acte de fraude des taxes commerciales et tentative d’empoisonnements sur le conseil. Vous êtes prié de vous mettre à genou pour que mes soldats vous passent les menottes et vous amènent dans une prison en attendant d’être jugé.
Alois se mit à genou face aux menaces des lances et son regard interloqué laissa place à de la rage. Alors qu’on lui passer les bracelets autour de ses poignets, son regard se jeta sur Peio et Léontine, tous deux médusés.
- Un homme qui arrête ses concurrents pour s’en débarrasser. C’est ça que vous voulez comme beau-père ? C’est ça que vous voulez comme principal financeur du poste de conseiller en sécurité intérieure ? Ouvrez les yeux, Peio Jurill. Éloignez-vous de Liosan ou empêchez votre père de monter à un rang aussi élevé avant qu’il ne soit trop tard.
Le sergent le fit taire en lui donnant une gifle. Celui-ci en perdit ses lunettes qui tombèrent sur le sol. Cela ne le fit pas taire pour autant. Alois reprit :
- Protégez votre amie, Monsieur Peio.
Une deuxième gifle l’assomma et les gardes le portèrent pour le sortirent du Balcon. Les deux amoureux se rassirent, totalement perdus. Qui avait raison dans tout cela ?
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