Chez Soi

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Épuisée, elle commença à errer dans la cité. À l’allure qu’elle avait, il ne fallait pas qu’un garde ne la repère. Premièrement parce qu’elle était hautement recherchée et ensuite parce qu’elle avait l’apparence d’une rodeuse. Ces personnes peu aisées, sans domicile qui stagnaient dans la Capitale jusqu’à ce que les gardes les jettent dehors.

Des souvenirs s’entrecoupaient brutalement dans la tête. Des ruelles dans lesquelles elle courait étant enfant. D’autres où elle jouait à la balle avec des amies. Des places où la jeune fille volait dans les étales au risque de se faire attraper par les passants. Ozanne ne pouvait le nier. Elle avait eu une enfance joyeuse. Elle ne pouvait pas non plus mentir, les dernières années qu’elle avait vécu dans les plaines n’était certes pas de tout repos, mais agréables. Et maintenant ? Quelle partie de sa vie commençait où se terminait ? Trouverait-elle la paix ? Beaucoup de doutes et de questions tournaient en boucle dans sa tête.

Le soleil se levait. Dans la Basse-Ville, il était impossible de voir la naissance du soleil à cause des remparts. Les plus aisés habitaient sur le sommet du rocher et avaient accès à ce luxe.

Le cœur lourd, elle avança vers le parc. Elle y jouait étant enfant. Ses yeux parcouraient la petite cour simple où seule une balançoire et quelques bancs décoraient l’ensemble. Puis, elle tourna son regard vers une maison faisant l’angle. Une petite courette fermée s’offrait à elle et au le rez-de-chaussée, une lumière de chandelle éclairait la cuisine. Ozanne franchit le portillon pour se retrouver devant l’arbre mort. Un simple tronc creux qui se ramifiait sur quelques branchages dépourvus de feuille. Elle ne l’avait jamais vu vivant.

Ozanne le contourna pour se diriger vers la porte d’entrée. Vieille et déformée, elle peinait à garder la maison fermée. Sa famille n’avait jamais été vraiment riche et payer les frais de rénovation des façades avait toujours était trop cher pour eux, mais comparés aux survivants des plaines, ils se trouvaient plutôt bien lotis. Ses mains abîmées toquèrent contre le bois de la porte. Pendant un moment de silence, elle attendit qu’on lui ouvre. La jeune fille ne bougea pas et restait impassible, pourtant à l’intérieur d’elle, Ozanne avait du mal à contenir ce mélange de crainte et d’excitation qui la traversait. Et puis, la porte s’ouvrit…

Une petite fille, cheveux châtains qui lui descendait jusqu’au bassin la regarda de ses yeux ensommeillés. En la voyant, une lueur de crainte traversa l'iris clair de l'enfant qui se trouvait sur le pas de la porte. Reculant de quelques pas, elle répondit d’une voix ténue, mais assez forte pour que les personnes qui se trouvaient à l’intérieur de la maison entendent :

- Je suis désolée. Nous n’avons pas d’argent à vous donner…

Ozanne ne sut répondre. Un souvenir oublié lui avait traversé l’esprit. Celle d’un nourrisson dans son berceau…

- Juline ? Prononça doucement Ozanne.

La jeune fille écarta les yeux. Elle avait perdu sa langue. Ozanne continua en s’agenouillant pour être à sa hauteur.

- Juline, tu ne te souviens sûrement pas de moi. Tu n’avais qu’un an quand je suis partie, mais je suis Ozanne, ta sœur.

Juline ne trouvait que répondre, elle recula de peur. Ne savant que faire pour la mettre en confiance, Ozanne eut une idée. Elle sortit de sa poche le vieux médaillon de la famille Jurill qu’elle lui tendit. Les pierres noires de jais scintillaient face à la flamme d’une chandelle qui éclairait le couloir décrépi. La main de la jeune fille se tendit fébrilement pour l’attraper. Ici, il avait son utilité. Pour se faire belle ou pour se revendre. Juline le tint dans ses mains et Ozanne reprit :

- C’est un ami qui me l'a confié. Je te le confie à ton tour, en gage de confiance.

Leurs regards se croisèrent et la jeune fille partit se réfugier derrière une porte du couloir. Ozanne la suivit. Elle fit basculer le battant pour arriver dans une vieille salle à manger. Rien n’avait changé depuis qu’elle était partie. Au fond de la pièce, une cheminée allumée réchauffait les alentours. En face, une femme assez âgée avait récupéré Juline dans ses bras. Ozanne la détailla : une peau terne et ridée, des cheveux gris tendant vers le blanc et une vieille robe lui allant jusqu’aux chevilles. Ses yeux bleus se tournèrent vers elle et un vif éclair jaillit dans celui-ci. D’un geste maladroit, elle fit tomber le bol qu’elle portait dans ses mains et le sombre liquide se répandit sur le carrelage crasseux. Sous les émotions, Ozanne tenta de prononcer quelques mots, mais les larmes lui montaient aux yeux.

- Maman, je suis rentrée…

Cette dernière se leva doucement et prit une canne pour s’appuyer. Elle n’était pas plus grande debout qu’assise. Ozanne savait de qui elle tenait son petit gabarit. Sa mère s’approcha d’elle et posa ses mains calleuses sur son visage. Ses yeux parcouraient avec attention chaque détail qui la composait. La jeune fille ne bougea pas. Elle ne le pouvait plus. D’un geste doux, sa mère essuya une larme venant s’échouer sur sa joue, mais tenter de les tarir était peine perdue. Le manque à combler était bien trop important, des deux côtés. La vieille femme finit par prendre sa fille dans ses bras. Ozanne fondit en larme et sa mère sanglota en silence. Au bout d’un moment, elles se séparèrent pour se regarder de plus près. Une voix grave déchira le calme instauré :

- Elle est muette. Je ne sais pas si tu te souviens…

Ozanne hocha la tête. Sous la chaleur de la maison, ses souvenirs s’étaient décongelés. Après ses actes révolutionnaires, sa mère avait été torturée. Pour ne pas qu’elle parle, on lui avait coupé la langue, l’empêchant de sa faire comprendre. En se retournant, elle vit le teint pâle de son frère. Celui-ci s’adossait sur deux béquilles et portait seulement un pantalon. Son torse nu laissait place à de nombreuses cicatrices grossièrement recousues. Son regard se faisait sévère.

- Comment as-tu pu rentrer dans la cité ?

La jeune fille ne répondit pas. La fatigue l’assaillait. Elle voulait dormir désormais.

- Réponds Ozanne, sinon tu vas avoir à faire à la milice ! continua son frère en haussant la voix.

Leur mère s’interposa entre les deux. Elle protégea sa fille en faisant non de la tête. Son frère leva les yeux au ciel.

- Maman, Ozanne est folle. Elle a tenté de me tuer !

La vieille femme fit non de la tête une nouvelle fois et pointa d’un index ferme le sol. Juline expliqua :

- Maman pense qu’elle l'a fait, car tu voulais l’empêcher de revenir à la maison.

- Oui, dit-il d’une voix ferme. Je voulais l’empêcher de revenir. En tant que lieutenant, je ne pouvais me permettre de laisser passer une rejetée de la Capitale, même si c’est ma sœur. J’ai respecté l’accord. Je ne lui ai pas fait de mal. J’ai vu mes soldats à deux doigts de mourir sous les coups de cornes d’un Sylaé et pourtant, je n’ai jamais donné l’ordre à mes hommes d’en finir avec cette menace. Résultat de toute cette affaire. Elle a failli en finir avec moi et a trouver un moyen d’entrer dans la capitale. Elle représente une menace pour notre Roi.

Sa mère le fusilla de ses iris pâles. Sa colère traversait son visage. Le lieutenant ne dévia pas son regard qu’il portait vers sa sœur. Ozanne avait le sien plongé dans la jointure des carrelages.

- Si elle veut rester, elle a intérêt à me dire comment elle est entrée !

La vieille femme fit une croix avec ses deux bras. Juline reprit timidement :

- Elle dit : ça suffit !

Son frère répondit d’un air blasé :

- J’avais bien compris. Mais je veux savoir, sinon j’appelle la garde !

Ozanne leva ses yeux. Elle devait se sortir de cette situation.

- Du côté Est de la muraille… Dans une impasse, à côté de l’escalier qui descend vers les forgerons. Il y a une trappe qui mène vers un tunnel…

Le jeune homme hocha doucement la tête tout en notant les informations dans une place de son cerveau. Il reprit ses deux béquilles et sortit de la pièce. Sa mère se retourna satisfaite et envoya Juline d’un geste de la main. Cette dernière l’invita à la suivre.

- Je vais préparer ta chambre.

Ozanne la remercia tout en montant des escaliers mal entretenus. En ouvrant une vieille porte, elle se retrouva dans son ancienne chambre qui n’avait pas bougé d’une poussière depuis qu’elle était partie. Une part d’elle se combla. Un vide longtemps laisser à l’abandon. Une fois que Juline eut fini de remettre des draps, Ozanne s’allongea dessus et tomba de fatigue dans un sommeil profond.

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