Le Dévoreur de Démon
Cette nuit-là, Ozanne avait déserté sa maison. Comme prévu, elle s’était mise en tête de suivre sa mère dans ses étranges escapades. La jeune fille avait entendu les planchers grinçants, un soir d’insomnie. C’était le moment pour en comprendre un peu plus sur les activités nocturnes de sa mère. Mais en ces deux heures de filature, elle ne comprenait pas ce qu’elle fabriquait. Peut-être était-elle devenue folle ?
Dans un premier temps, elle s’était dirigée vers l’ouest de l’île, la où se trouvait un élevage de gisu, de petites créatures hargneuses et bien en chair, lointain cousin des sylaés. Arrivée devant l’enclos, elle avait pris une corde qu’elle avait solidement attachée entre ses cornes et son museau de l’animal. Ces petites créatures gardés leur instinct sauvage, mais étant faible servait de base à l’alimentation de la Capitale.
Par la suite, avec son gisu devenu inoffensif, sa mère avait retraversé la ville pour arriver devant une faille au milieu de la roche. Sans un regard vers l’extérieur, elle avait disparu dans la sombre grotte. Les taches de sang sur ses vêtements donnaient fort à parier que le gisu ne survivrait pas longtemps.
Ozanne s’apprêta à y rentrer quand une voix l’arrêta :
- N’y va pas !
Furieuse, elle se tourna vers Baltazar qui semblait encore plus pâle que leurs échanges précédents. Ozanne saisit un poignard prêt à en finir avec lui. Le démon ne bougea pas. Il la regarda droit dans les yeux :
- Tout est fini, Ozanne…
La fatigue transperçait sa voix. La jeune fille s’énerva :
- Que me veux-tu encore ?
Baltazar se passa la main dans les cheveux et une expression embarrassée animait ses fines lèvres.
- Pendant que tu étais partie, des gardes ont entouré ta maison.
- Comment ? s’interloqua Ozanne.
- Bartolomé a su que tu avais franchi les remparts et a trouvé ton refuge. Je le répète : tout est fini…
Ozanne jeta un regard vers la faille totalement sous le choc.
- Comment ont-ils su ?
- Je vous l’avais prévenue. Ne pas s’approcher de Liosan Ferl, se désespéra Baltazar.
- Je ne connais pas cet homme ! s’impatienta la jeune fille. Comment peut-il avoir quelques choses à voir avec les gardes qui me recherchent ?
Baltazar prit un temps pour répondre ce qui enragea Ozanne.
- Que nous caches-tu ?
- Peio s’est trop approché de son beau-père. Je l’avais prévenue de s’éloigner de lui, de sa fille, de toute sa famille. Cet homme d’affaires est trop puissant. Tu dois fuir Ozanne !
- Tu ne réponds pas à ma question !
Baltazar resta muet pendant un moment, puis sa langue se délia :
- Je ne peux rien te dire. Tu dois fuir, le plus loin possible de la capitale !
- Espèce de lâche ! C’est en gardant tes secrets que tu nous as mis dans cette situation. Si je reste, je suis arrêté. Si je sors, je me fais tuer par la folle aux arbres. Tu as de meilleures solutions ?
- Agatha est rentrée dans la cité…
Ozanne écarquilla les yeux.
- C’est impossible…
- Accéder à la capitale sans payer la solde est impossible. Pourtant, tu l’as fait. Elle a dû te suivre derrière.
Ozanne jura. Cette idée ne lui avait pas traversé l’esprit. Tout cela pour rien. Sa famille en danger par sa faute et la démone libre de la tuer quand elle le voulait.
- Alors, je dois faire marche arrière ? s’énerva Ozanne.
- Oui, répondit fébrilement Baltazar
- Non !
Ozanne regarda autour d’elle. Une voix claire et douce venait de contredire le démon. Le visage de Baltazar d’abord soucieux se raffermit.
- Tu entends des voix ?
Ozanne hocha la tête doucement, tout en scrutant dans la nuit qui venait de parler.
- Mon enfant, rejoins-moi…
La voix venait de la grotte, pourtant personne ne s’y tenait à l’entrée. Baltazar se prit la tête dans ses mains de désespoir.
- Ozanne, n’écoute pas cette voix. Si tu entres dans son jeu, il n’y aura plus de retour possible. C’est une démone. Hermine n’a pas de belle attention…
- Mon enfant, ne l’écoute pas…
- Et quelles sont tes attentions, Baltazar, le questionna Ozanne ?
- T’aider ! Du moins, te garder en vie, s’énerva-t-il.
- Mon enfant, ne le crois pas…
Ozanne ne savait que faire. Le démon était si vague dans ses explications. Il ne serait pas plus simple d’expliquer ses intentions…
- Tu cherches des réponses. Entre dans la grotte et je t’en donnerai.
Des réponses, c’est ce qu’il lui fallait. Elle tourna le dos à Baltazar qui jura de son impuissance. La noirceur de la grotte l’avala. Si sa mère était entrée dans cette faille, c’est qu’il n’y avait pas de danger.
- Suis l’écho de ma voix. Je te guiderais à travers les confins de la cité.
La voix resonnait dans le crâne d’Ozanne. En retour, elle commença à lui poser des questions. Les mots ricochèrent sur les parois minérales de la grotte :
- Qui êtes-vous ?
- Je suis l’esprit de l’instinct, mon enfant.
- Une démone, Hermine ? s’interrogea la jeune fille.
- C’est ainsi que l’on m’appeler autrefois. Vous pouvez me nommer ainsi, si cela vous chante, continua l’entité.
Ozanne hocha la tête, tout en avançant dans les galeries.
- Connaissez-vous Baltazar ?
- Bien sûr, mon enfant. Tous les démons se connaissent, s’enchanta-t-elle.
- Qu’êtes-vous ? D’où venez-vous ?
- Si nous le savions nous-mêmes, nous ne chercherions pas à nous écraser les un des autres.
La jeune fille se sentait oppressée par les étroites façades de la grotte. Les démons ne savaient pas d’où il venait. Les doutes s’instaurer dans sa tête. Avait-elle bien fait de rentrer dans la grotte ?
- Approche, mon enfant, tu es presque arrivé.
- Que me voulez-vous ?
- J’ai besoin de toi. Tu as accompli tant de chemin pour venir jusqu’ici. Tu toucheras bientôt la lumière…
Ozanne en fut surpris. Elle voyait au fond du couloir, une lumière blafarde. Elle se mit à courir pour sortir du noir. Arrivé au bout de celui-ci, son cœur s’arrêta. La lueur l’aveugla dans un premier temps. Quand, elle fut habituée, elle vit une immense créature. Ses pattes avant s’accrochait à la roche alors que son arrière-train était totalement immergé dans une vasque d’eau. Une mâchoire s’avançait vers l’avant et un pelage visqueux le recouvrait. Sur le front, on pouvait y discerner comme une lanterne, une boule lumineuse reliée à la créature. Le Dévoreur de Démons. Ozanne vit sa mère en dessous recouverte de sang. Elle se jeta vers elle en panique pour la protéger. La voix reprit :
- N’aie pas peur, mon enfant.
Ozanne était terrifié. Elle tenta de forcer sa mère à partir, mais celle-ci la prit dans ses bras pour la calmer.
- On m’appelle le Dévoreur de Démon. Vous avez fait le choix de m’appeler Hermine, lui rappela malicieusement la voix.
La jeune fille leva ses yeux vers le monstre qui la regardait avec des yeux ronds.
- Qui êtes-vous, véritablement ? bredouilla Ozanne.
- Une âme perdue dans les abysses, enfermé, assouvi par Bartolomé.
- Bartolomé ?
- C’est ainsi que l’on appelle à votre époque, le champion qui a vaincu le précédent Roi. Un ingénieux stratagème inventé par ce démon. Il ne lui suffisait de se battre lui-même pour récupérer le pouvoir encore et encore sans que la population ne s’en rende compte.
Ozanne n’en croyait pas ses oreilles. Les murailles protégeaient des démons alors qu’un démon lui-même était au pouvoir…
- Cela n’a pas de sens… marmonna Ozanne.
- Les injustices sont perpétuées. Les plus aisés sont à l’abri, les plus pauvres meurt de faim. Les Hommes sont de naïves créatures. Ils m’ont enfermé avec des runes incomprises dans ce corps sauvage, me forçant à garder l’entrée de la Capitale. Affaiblie comme je l’ai était, je n’ai pu empêcher Bartolomé de reprendre le pouvoir. Dans une colère monstrueuse, j’ai insufflé aux animaux de ce monde, l’instinct de tuer les humains et de craindre les démons. Une fois, mon pouvoir emprisonné, je n’ai pu revenir sur ma décision. Et la faune à continuer a perpétué les meurtres.
Ozanne tremblait. Les animaux des plaines glacées attaquaient les hommes à cause d’Hermine, l’esprit de l’instinct. Cela dépassait tout ce à quoi, elle s’était attendue. L’esprit reprit :
- Jadis, des hommes comme tes parents ont tenté de me libérer. Leurs efforts ont été voués à l’échec et vous avez été expulsé de la Capitale. Seule votre mère a eu le courage de continuer cette guerre. De nombreux soirs, elle est venue prier pour vous. J’ai réussi dans un effort terrible à enlever l’instinct d’un jeune Sylaé qui se trouvait sur votre chemin.
- Sig, murmura Ozanne.
- Je vous ai observé pendant des années. Grandir et vous battre pour la survie. Je vous ai pousser dans les jougs de Baltazar. Bien peu de démon sont conscient de son pouvoir.
Ozanne se souvint : Peio fouinait, elle traquait.
Elle ne s’était même pas posé la question. Les créatures des neiges avaient une peur bleue des démons. Alors pourquoi, traquait-elle un animal lorsqu’elle avait rencontré Baltazar ? Tout avait été prévu d’avance…
- Je savais que Baltazar tenterait de lier deux jeunes gens et j’espérais que dans les conditions où vous étiez, vous trouveriez un accès vers la Capitale que je serais capable de faire fondre avec la chaleur de ma lumière.
- Mais pourquoi m’attendre toute ces années ? Pourquoi moi ? s’étonna Ozanne.
- Pour me libérer et mettre fin aux injustices. Bartolomé a recadré la rébellion et seule votre mère a courageusement continué ce combat. La torture l’ayant fortement réduite dans ses capacités physiques, elle ne pouvait que continuer les sacrifices et priait pour que son fils et vous puissent survivre au-delà des remparts. Maintenant que sa promesse a été respecter, il est temps.
Ozanne sentit des gouttes froides perlait dans son dos. Un pacte… Et si Baltazar avait raison…
- Que me faut-il faire ?
- Prenez la lame des sacrifices et partez au nord de la Capitale. Bartolomé connaît le lieu de mon emprisonnement, mais ne s’attendra pas à ce qu’une petite personne comme vous s’apprête à me libérer. Ses recherches ont commencé. Il ne nous reste plus beaucoup de temps, mais nous en avons encore. Partez vers les égouts. Rejoignez votre Sylaé et partez vers le nord. Vous y trouveriez un sceau d’acier dans la glace. Je l’illuminerai. Enfoncez la lame à l’intérieur et je serais libre.
- Et que se passera-t-il après ?
- Je détrônerai Bartolomé et ouvrirais les portes de la Capitale, s’exclama Hermine.
Ozanne ne savait que faire. Sa mère lui tendit l’épée. Des larmes lui coulaient le long de sa joue. Elle avait attendu ce jour depuis des années, toute sa vie peut-être. La lame était recouverte de sang. Le gisu était égorgé un peu plus loin.
La jeune fille saisit le pommeau et se retourna vers la créature :
- J’ai une dernière personne à aller voir ! Je dois lui dire au revoir.
- Faites, jeune fille, mais ne tardez pas trop…
Annotations
Versions