Le Calme avant le Blizzard
Peio se retrouvait au milieu des festivités. Les hommes et les femmes avaient été séparés en deux groupes afin que le mari et sa fiancée ne puissent se voir avant le mariage qui se trouvait le lendemain. Les pièces des différents costumes avaient été assemblées, l’étalon assorti avec l’ensemble. Même si la jument du Théâtre lui avait fait vivre un enfer durant le voyage, le jeune homme s’en serait contenté. Sa mère lui avait, d’ailleurs tapé sur les doigts. Ses paroles lui revenaient en tête : « Cette pauvre jument n’a pas d’endurance. Elle simule les combats guerriers lors des spectacles de l’arène. Tu me déçois, mon fils. Après toute l’éducation que je t’ai apportée… » Autant s’arrêter là.
Un verre à la main, il attendait que les heures passent. Des visages inconnus défilaient devant lui, lui tendant une main respectueuse, un regard venimeux. La campagne de son père envahissait le mariage. L’organisation était parfaite pour que les convives ne s’ennuient jamais. Une seule chose avait été omise : la volonté de son fils.
Las, il partit se dégourdir les jambes dans le petit labyrinthe de haies du Balcon. La nuit recouvrait la capitale, mais chaque recoin de la balustrade de pierre s’illuminait d’une torche. Ses pieds rasaient le sol. Ses mains s’enfonçaient penaudes dans ses poches. Au bout de quelques minutes, il vit au milieu d’un carré de fleur, sa sœur assise sur un banc et une cigarette fumante dans la main. Alida leva les yeux vers lui avec douceur.
- Tu ne devrais pas être avec les invités ?
Peio haussa les épaules et s’assit à côté d’elle.
- Que je sois la ou pas, cela n’a pas beaucoup d’importance.
- Pour sûr ! Père, n’en a que faire de nous. Me voilà rassurée, je te pensais rallié à sa cause.
Le jeune homme sourit.
- Vraiment ?
Elle acquiesça vivement tout en lui donnant une cigarette en signe de pardon. Peio la prit et à la lueur d’une torche l’alluma. Il en respira l’air opaque avant que la fumée ne ressorte de ses lèvres.
- Je suis inquiet…
- Dis-moi, l’encouragea Alida.
- Aloïs, un des fils Horla, a été arrêté.
- J’ai entendu cette histoire. Il t’aurait torturé ?
- Là n’est pas le problème, continua Peio. Je crois qu’il a été arrêté sous les ordres de Liosan.
Alida laissa échapper un léger rire moqueur.
- Léontine n’a cessé de me parler de tes pensées complotistes. Liosan voudrait t’assassiner parce que tu aurais fouillé dans ses affaires. Que tu ne l’aimais plus… Elle en avait les larmes aux yeux. De peine ou de colère, je n’ai pas pu les interpréter.
Peio sourit, mais garda le silence. Alida reprit :
- Les responsabilités imposées font peur Peio. Tu peux en vouloir à père, mais pas à Léontine ou Liosan. Tu devrais aller la voir. Sinon, le mariage risque de ne pas être honnête.
- Je ne peux pas la voir la veille du mariage, l’informa le jeune homme.
Alida le regarda malicieusement.
- Qu’est qui t’en empêches ?
- Les lois…
- Celle de père ? Ce sont les règles d’un mariage traditionnel. C’est vraiment cela que tu veux ?
Peio fit non de la tête. Sa sœur s’enchanta :
- Alors, reste ici. Je vais te la chercher. Tu la regarderas dans les yeux pour lui dire que tu l’aimes et tu rentreras dans l’ordre.
- Tout n’est pas aussi simple avec Léontine, s’impatienta l’historien devant les plans de sa sœur.
- C’est toi qui compliques tout dans cette affaire ! s’exclama Alida.
Elle se leva et disparut derrière une haie. Peio attendit le cœur lourd. Sa cigarette se consuma doucement devant ces yeux. Il voulait revenir en arrière. Ozanne avait retrouvé sa vie à la capitale. Lui en commençait une nouvelle. Qu’est qui l’empêcher d’être heureux ? Finalement, il se mariait avec la femme qu’il aimait. Il ne manquerait de rien grâce à l’argent de Liosan. Si son père accédait au poste de conseiller, il s’arrangerait pour que son fils trouve un emploi respectable. Que voulait-il de plus ? « Après toute l’éduction que je t’ai apportée… ». Se mère l’avait fait grandir dans un monde de théâtre, d’histoire rocambolesque. Avait-il envie d’aventure ? Baltazar lui avait ouvert les yeux et Ozanne avait affronté tant d’obstacles avec force et courage, qu’il avait maintenant une soif de découverte intarissable.
Des pas se firent entendre et Léontine, le regard soucieux arriva. Ses mèches blondes formaient de magnifiques tresses sur son visage.
- Le mime se décide à parler, à moins que ce soit sa sœur qui le force !
Peio lui sourit.
- Rien ne sortira de ma bouche !
Quelques mots et le regard de Léontine s’embrasa. Il la prit dans ses bras.
- Parce que tu connais déjà la vérité, mais que tu ne veux pas la croire.
- Tu es complètement fou, Peio, s’exclama-t-elle mi amusé, mi-vexé. J’ai abandonné avec toi.
Le jeune homme rigola en la regardant d’un œil charmeur. Doucement, leurs lèvres se rapprochèrent, leurs yeux se fermèrent et ils s’embrassèrent doucement et tendrement. Un instant pur qui le redonna espoir. Ils se quittèrent quelques instants après et d’un murmure, il lui envoya quelques mots :
- Je t’aime…
- Moi aussi, lui répondit-elle.
Peio se rassit sur le banc et invita Léontine à venir sur ses genoux. Il continua à l’embrasser avec passion…
Un toussotement le fit tressaillir. En levant la tête, il vit une fine silhouette dans la nuit. Ozanne l’interrompit d’un air catégorique.
- Je t’ai cherché partout ! dit-elle essoufflée. Désolé de t’interrompre, mais nous devons parler. C’est urgent.
Léontine commença à déboutonner sa chemise. Peio la repoussa avec timidité. Ce n’était vraiment pas le bon moment. Si Ozanne commençait à faire comme Aloïs et toujours choisir les mauvais moments pour intervenir, il ne serait pas d’accord longtemps. Frustré, il se détacha de son amante qui le regardait avec étonnement.
- Il faut que j’aille aux toilettes, répondit-il gêné.
Léontine rigola.
- Élégant tout ça. Eh bien, vas-y. Mais ne t’étonne pas si je ne suis plus habillé quand tu reviendras. Tu connais ma patience.
Elle regarda Peio avec un air ravageur alors que le jeune homme se mordit les lèvres de frustrations. Il s’éloigna et Ozanne la suivit. Lorsqu’ils furent assez éloignés, Peio n’en pouvait plus.
- J’espère que c’est urgent, Ozanne !
- Oh que oui, Peio ! s’exaspéra-t-elle. Liosan Ferl m’a trouvé…
Le jeune homme ne comprit pas tout de suite. Ses idées s’embrouillaient dans sa tête.
- Liosan ?
- Oui, s’impatienta-t-elle. J’ai vu Baltazar qui m’a confirmé qu’en acceptant le mariage avec ta fameuse Léontine, tu m’avais mise en danger !
Peio la dévisagea avec un léger sourire.
- Tu es jalouse ?
Ozanne ne rigolait pas.
- Peio, si j’étais dans ta dimension, je t’aurais jeté de la falaise. Bartolomé, le roi de mon monde est un démon qui protège les plus aisés derrière les murailles et laisse les pauvres à l’extérieur. Tu te rappelles du Dévoreur de Démons, le monstre marin qui m’avait aidé. Elle s’appelle Hermine et est aussi une démone. Elle veut rétablir la justice. Hermine veut que je la libère !
Peio s’assombrit.
- Je ne comprends rien de ce que tu me dis. Qu’a voir Liosan dans tout cela ?
- J’y arrive, le réprimanda Ozanne. Baltazar semblait dire que Liosan avait quelques choses à voir avec les gardes qui voulait m’arrêter. As-tu parlé de moi a quelqu’un de ton monde ?
L’historien réfléchit un instant.
- Non… à part…
Il s’arrêta soudainement. Un vif éclair l'immobilisa. Ozanne finit sa phrase. Elle avait peu écouté toute ses histoires, mais le raisonnement coulait de source.
- Le fils Horla… Je lui donne peu de chance de survie à celui-la.
- Mais comment cela peut-il être possible ?
- Je n’en sais rien. Baltazar s’est montré muet et Hermine n’en savait pas plus sur ses plans et ses intentions.
Peio se sentait perdu. En voulait aider Ozanne, il l’avait mise en danger.
- Liosan a peut-être pu trouver ta maison en m’espionnant…
Ozanne acquiesça. Un éclair traversa les sombres pupilles du jeune homme et une grimace remplaça son sourire.
- S’il continue de m’espionner, il va savoir où tu es.
- Je dois partir à l’extérieur des remparts pour libérer Hermine en scellant la lame des sacrifices et le sceau incrusté dans la glace. Je n’ai que peu de temps.
- Je vais peut-être tenter quelques choses pour t’aider. Je viens d’avoir une idée, s’exclama Peio.
- Dis-moi tout, la regarda perplexe Ozanne.
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