Le Plan de Peio
Peio cachait sa nervosité. Sur un coin du balcon, il ne savait pas vraiment si son plan allait marcher.
- Voilà ce que tu vas faire, il faut que tu ailles te cacher pendant que les soldats te recherchent. Dés qu’ils baisseront leurs gardes, tu en profite pour filer vers les égouts.
Quelques minutes de silence passèrent où il acquiesça silencieusement devant la balustrade vide. Puis, il reprit doucement :
- Je ne sais pas laisse-moi réfléchir…
De nouveau quelques secondes d’attente dans la nuit.
- Oui, peut-être dans la Haute Ville, au magasin du couturier. Il y a une trappe derrière qui permet d’accéder à un sous-sol creuser dans la roche…
- À qui parles-tu ?
Peio grinça des dents. Léontine avait fini par s’impatienter. Son regard scrutait étrangement la balustrade. L’eau assombrie par la nuit se balançait doucement au gré des vents. Peio improvisa :
- L’un des costumes est effilé. Une des servantes me l’a informé et voulait le recoudre. Je lui ai conseillé d’aller chercher une bobine de fil chez le couturier, se justifia le jeune homme en cachant sa nervosité.
- Et où est passée ta servante, demanda Léontine d’un regard interrogateur.
- Partie aussi vite que son ombre, plaisanta Peio. Elle a dû craindre ton autorité.
Ses yeux émeraude se faisaient rieurs. Elle s’avança vers lui et posa son doigt sur son torse :
- Ne me fais plus attendre dans le froid de la nuit !
Peio l’enlaça.
- Désolé, tu me pardonnes, mon amour ?
Elle se remit à déboutonner la chemise de son amant.
- Pour ce soir…
***
De son côté, Ozanne se précipitait dans les escaliers. Son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine. Elle sauta quelques marches pour accélérer le rythme. Tout de même, il lui fallait esquiver les gardes qui rôdaient dans les parages. Les rondes se faisaient plus denses dans le secteur. Ils la recherchaient. L’odeur de braise rodait autour d’elle. Les forges avaient été éteintes à l’arrivée de la nuit.
Après quelques minutes épuisantes de course dans la fraîcheur de la nuit, Ozanne se retrouva dans une sombre ruelle. Elle fut surprise d’y discerner une silhouette qui l’attendait. Son frère…
Son regard sombre la toisait durement. Ses béquilles tremblaient sous ses bras épuisés.
- Je savais que je te retrouverais ici.
Ozanne porta sa main sur l’épée.
- Et que comptes-tu faire ? lui demanda-t-elle.
- Tu as fait rentrer un démon dans l’enceinte de la capitale. J’ai réussi à sauver Juline de justesse et l’ai mise en sécurité. Des hommes sont morts cette nuit, Ozanne. Et de ta faute. Je veux te raisonner. Baisse les armes et rends-toi ! l’intima-t-elle d’une voix sévère.
- C’est mal me connaître.
La jeune fille n’eut qu’à donner un coup d'épée du côté non tranchant dans une des béquilles pour que son frère s’écroule sur le sol. Celui-ci tenta de se relever en vain. Il se retourna pour la regarder en face. La lueur des torches se reflétait sur ses yeux clairs.
- Je ne te reconnais plus. Les plaines t’ont transformée. Je sais que tu comptes faire quelques choses de mauvais. C’est Maman qui t’a convertie. Ozanne, achève-moi maintenant avant que je ne prévienne les gardes de tes intentions.
Ozanne posa sur son frère un regard aussi froid que la glace.
- Il fallait y penser avant de me jeter en dehors des montagnes. Je n’ai pas le temps pour cela.
La jeune fille continua sa course laissant son frère allongé face au sol. Celui-ci s’époumona de rage.
- Ozanne, tu n’es qu’une lâche !
La fugitive avait disparu aux détours d’une ruelle et dans l’état ou était-il ne pouvait la poursuivre.
Le lieutenant tenta de se relevait en prenant appui sur le mur. Une béquille après l’autre, il se dirigea vers les ruelles pour trouver des gardes. Mais les avenues étaient vides. Où était-il passé ? Dans la douleur, il commença à gravir les escaliers vers le château.
***
La maison du couturier bordait une jolie place. Quelques arbustes rustiques y avaient été plantés. Les soldats étaient désormais sur leurs gardes. Chaque grincement ou suintement du vent les faisait sursauter. Liosan avançait silencieusement vers la vieille demeure silencieuse. Les habitants devaient dormir paisiblement. Son plan fonctionnait à merveille.
L’un des généraux de Bartolomé fit signe à ses soldats de se placer. Trois se mirent devant la porte, prêts à y rentrer lorsqu’on leur donnera l’ordre. D’autres fermaient les issus de la place et pour finir cinq contournèrent la maison pour rentrer par la trappe. En quelques minutes, les gardes descendirent dans une sombre cave. Silencieusement, ils allumèrent leurs torches et commencèrent à explorer les alentours. Bientôt, ils se rendirent compte que personne ne s’y cachait. En remontant, ils firent signe au commandant de donner l’ordre. Liosan vit les hommes forcer la porte.
Elle ne devait pas se trouver loin. Ozanne se trouvait de toute façon piégé. Des cris se firent entendre. Les résidents devaient s’être réveillés dans leurs sommeils. L’attente commença à se faire longue. L’homme d’affaires s’approcha :
- Que se passe-t-il ?
Un soldat se tourna vers lui, l’œil mauvais.
- Nous avons fouillé trois fois l’entièreté de la maison. Vous nous aviez trompés, vieil homme !
- Comment cela est-il possible ? s’étonna Liosan surpris.
- À moins que vous n’eussiez été trompé, laissa planer le garde.
L’homme d’affaires jura. Ils avaient collé un serviteur pour espionner son beau-fils. Celui-ci lui avait de suite confié l’information qu’en apprenant la fuite d’Ozanne, celui-ci lui avait conseillé de se cacher dans cette résidence. Il se devait de repartir dans son monde pour en savoir un peu plus sur cette affaire.
Ses pas quittèrent la place sous les regards tendus de la milice. Il regagna rapidement sa maison et traversa une porte bleu-azur. Le sentiment d’être renversé lui prit au ventre, comme lorsqu’on se fait une frayeur. Le froid disparut soudainement en une nuit douce. Le portail traversé, il déverrouilla la clé de son bureau et sortie pour rejoindre le salon. Le serviteur l’attendait avec impatience :
- Les plans ont changé, Monsieur Ferl.
- Je vous écoute, s’énerva l’homme d’affaires.
- Monsieur Jurill est directement parti après ses… échanges amoureux avec Léontine. Il a rejoint la maison du couturier en courant et semble-t-il qu’il a tout juste rattrapé Ozanne avant qu’elle ne franchisse la trappe. Il lui a intimait de se cacher dans les écuries à l’est de la Haute-Ville. Ils y sont partis à deux là-bas. J’ai positionné une servante en filature qui me prévient si leurs plans changent.
Liosan ne répondit pas et repartit vers son bureau. Il traversa le portail blanc immaculé et le froid l’engloutit de nouveau. Il devait prévenir le commandant de ses changements. Son beau-fils lui donnait du fil à retordre. Une fois le mariage passé, il s’en débarrassé pour de bon.
***
Bartolomé venait d’apprendre les dernières nouvelles. Il était soucieux.
- Un démon contrôlant les végétaux, vous dites ?
- Oui, Majesté. Il a massacré six de nos soldats et blessé trois autres.
- Les habitants ? interrogea brutalement le Roi.
- Il n’y avait que le lieutenant de la milice extérieur et sa sœur. Ils se sont réfugié à temps en voyant l'arbre fleuri. La mère et Ozanne avaient disparu.
- Je n’aime pas cela, murmura-t-il. Et le Duc Liosan ?
- Ce dernier a mené une seconde expédition dans la Haute-Ville. Des informateurs lui auraient indiqué qu’elle y aurait trouvé refuge. Nous attendons les retours du commandant.
Le démon gratta sa sombre barbe. Son regard lourd observait la pièce du trône. C’était une véritable situation de crise.
La petite révolutionnaire ne l’inquiétait guère. Les seules informations qu’il voudrait lui soutirer seraient de quel moyen elle était rentrée dans la capitale. Si elle était coopérante, il songerait peut-être à la placer à un poste intéressant. Un tel cerveau ayant déjoué les remparts centenaires ne pouvait être laissé dans des cachots.
Agatha était une autre histoire. Faire de ses ennemies une force avait été judicieux depuis le début de son règne. Mais la démone ne serait guère amicale après des siècles d’exclusion. La glace l’avait sûrement affaiblie et retranchée dans ses pires peurs. La capitale était le lieu le plus végétalisé. Elle s'en feraient plaisir à contrôler. Ses yeux parcoururent les pots qui décoraient les environs. De petits arbustes aux baies rouges enjolivaient l’endroit. Une voix essoufflée lui parvint.
- Seigneur, la révolutionnaire ne se trouvait pas non plus là où le Duc Liosan l’avait indiqué. Celui-ci a de nouveau disparu.
Bartolomé grogna. Il devait vite décider.
- Peu importe les dires de ce menteur. Envoyez des patrouilles dans tous les recoins de la ville. Armez-les de torches. Si vous voyez ne serait-ce qu’une brindille bouger, ne laissez pas le doute du vent, brûlez-la. Il faut affaiblir le démon.
Son ordre fut comme un rugissement puissant. Tous se mirent en route, armes et torches, prêtes à affronter la démone.
- Attendez !
Un garde venait de rentrer dans la salle.
- Tu oses contredire mes ordres, hurla Bartolomé.
- Seigneur… J’ai un message du frère d’Ozanne. Une patrouille l’a croisé alors qu’il tentait de rejoindre le château. Cessez les activités du Duc Liosan Ferl. La jeune révolutionnaire ne se trouve pas dans la Haute-Ville. Elle se dirige vers les sous-sols qui se trouvent en dessous du quartier des forgerons. D’après le lieutenant, ils sembleraient que sa mère et elle aient recommencé leurs activités révolutionnaires. Malgré la pénombre, ils sembleraient qu’il ait distingué une vieille épée qui ne lui appartenait pas auparavant. C’est le seul indice qui lui a sauté aux yeux, lorsqu’elle l’a vu. Pour lui c’est une preuve de son engagement.
Le soldat était essoufflé. Il tremblait comme une feuille. Bartolomé était impassible, pourtant, il savait très bien ce que cela voulait dire.
- Séparer la garde en deux. La moitié resterons combattre les plantes, l’autre devra poursuivre notre fugitive. Elle se dirige vers le nord. Elle doit être éliminée sur-le-champ. Embarquez son frère sur les traîneaux. Il la connaît et pourra profiter de ses faiblesses.
Tous acquiescèrent et partirent dans une frénésie guerrière.
***
Peio marchait lentement dans les ruelles. Ils continuaient à parler seuls tout en se dirigeant vers les écuries. Il ne savait pas combien de temps son plan marcherait. Il espérait qu’il ait un peu aidé Ozanne. La jeune fille gagnait du temps en se dirigeant vers les égouts et lui s’amusait à promener les gardes dans la ville. En parlant seul ainsi, il se disait qu’il pouvait paraître vraiment fou d’un point de vue extérieur. Cela le fit rire. Quelle drôle de monde ! Il avait retrouvé le goût de l’aventure. Il se sentait heureux.
***
De son côté, Ozanne venait de sortir de la Capitale. Sig l’avait attendu et en le voyant, la jeune fille lui avait sauté au cou. Grelottante à cause de l'eau froide, elle s'était habillée de son épais manteau en cuir et de sa grosse écharpe de laine. Dans la nuit, des éclats rosés commençaient à colorer le ciel. Aucun garde ne semblait la poursuivre pour le moment. Elle souffla de soulagement et secoua les rennes pour que son Sylaé se mette en route.
***
Une heure auparavant.
- Voilà, mon plan… Je vais faire semblant de te parler et de dire de te cacher dans la Haute Ville. Si Liosan me surveille et qu’il envoie les gardes aux endroits où nous nous voyons, il fera de même si je fais semblant.
Peio lui avait chuchoté son idée dans les oreilles. Ozanne réfléchit.
- C’est possible, mais Liosan risque de se venger de la supercherie. Fais attention à toi !
- Ne t’en fais pas pour moi. Prends soin de tes arrières, plutôt, renchérit discrètement Peio. Je suis entraînée au combat désormais.
Ozanne fit une légère moue. Peio reprit doucement.
- Je ne veux pas te voir traîner dans mes pattes, compris ?
Ozanne rigola un instant :
- Oui, chef.
- On se retrouve dans quelques jours ? s’inquiéta l'historien.
- Bien entendu. Bonne chance, Peio, lui répondit sourdement l'aventurière.
- Bonne chance, Ozanne.
Ils échangèrent des regards rapides d’au revoir et Ozanne partit en direction des souterrains en espérant que ce ne soit pas un adieu de sa part.
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