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Le soleil se leva à l’horizon. Ozanne venait de dépasser la cité pour se diriger vers le nord. Le vent soufflait violemment sur la Mer Gelée. La jeune fille devait se cacher derrière son écharpe pour se protéger le visage. Comme à l’aller, son regard scrutait soucieusement la glace, mais pour une tout autre raison. Tout avait pris sens dans ses souvenirs. Toutes ces années passées à braconner, piller les ruines, échapper aux démons, survivre…
Sans pour autant l’apprécier davantage, elle remerciait Baltazar de l’avoir lié à Peio. Peu importait les raisons pour lesquelles il l’avait fait. Son cœur lui semblait si léger. Chaque battement lui donnait envie de planter l’épée dans le sceau. Elle donna un coup de rênes pour que Sig accélère.
Ozanne s’énuméra tout ce qui pourrait se passer si elle arrivait à libérer la démone. La capitale ouverte à tous, les animaux cessant de s’attaquer aux hommes dans les plaines. Elle s’imaginait tous ces enfants chevauchant des sylaés sans aucune méfiance. La famine n’existerait plus. Et tout cela grâce à elle. Elle souffla de joie. Ozanne se sentait enfin libre. Une vive lumière apparue du dessous des glaces. Hermine venait lui montrer le sceau. Elle espérait au fond d’elle que Peio s’en sorte. Liosan Ferl ne semblait pas être un homme d’affaires des plus sages. La lueur s’arrêta au loin. La jeune fille tenta de l’apercevoir à l’horizon, mais elle était encore trop éloignée du lieu de l’emprisonnement.
Soudainement, un bruit de sifflement se fit entendre derrière elle. Ozanne se retourna et vit une flèche se briser sur le sol. Son cœur si léger s’alourdit brusquement. Une dizaine de traîneaux la poursuivaient. La milice avait compris son stratagème. Son frère avait dû prévenir Bartolomé. Avait-elle bien fait de le laisser en vie ? Sur le moment, les regrets lui tailladaient le ventre. Hermine ne pourrait l'aider, bloquée sous la glace. Impossible d'eliminer les soldats, ni des les illuminer. Sa lumière était faible sous la glace. Ozanne était seule, désormais.
Elle fouetta les flancs de Sig pour qu’il accélère. De nouveaux projectiles vinrent se fracasser à ses côtés. L’un d’eux toucha même le bois du traîneau. D’un coup violent, la fugitive tira sur les rênes pour sinuer sur la glace, une cible qui avançait en ligne droite étant plus simple à viser qu’une effectuant des virages abrupts. Les archers continuaient férocement, sans s’arrêter. Des volées de flèches pleuvaient sur elle. Une autre s’écrasa encore plus proche d’elle. La jeune fille ne fit guère attention. La lueur d’Hermine se rapprochait à toute vitesse. Une odeur de brûlé vint lui chatouiller les narines. Ses yeux s’arrondirent de panique. Elle jura. Le second projectile ayant atterri sur le traîneau était enflammé. Le feu se propagea dans ses affaires.
Ozanne se crispa de peur pendant un moment. Elle tenta désespérément d’éteindre le feu avec des couvertures, mais rien à faire. Le vent donnait de la force aux flammes qui devenaient incontrôlables. Elle sauta sur Sig, s’accrochant comme elle le pouvait à ses touffes de poils épaisses et tenta de se redresser. Une fois l’équilibre retrouvé, elle détacha le traîneau qui se fracassa sur la glace. Son cœur s’emballait et ses mains tremblaient sur les rênes raccourcis de sa monture.
Un adieu… C’était une fausse promesse qu’elle avait faite a Peio. Il n’y avait pas de retour à sa folie. C’était peut-être pour le mieux. S’il trouvait un moyen de s’en sortir, il pourrait vivre librement. Plus de fil de la vie les reliant tous les deux.
Elle continua sans s’arrêter. Leurs traîneaus avançait plus efficacement sur la glace que Sig. Les gisus accrochés avançaient férocement. Plus petit, il les avait mis en deux lignes de trois. Ils affrontaient le sol glissant avec ténacité. Mais, il lui restait encore du temps. Ozanne se rapprochait d’Hermine. Il ne lui restait plus beaucoup de temps avant d’accéder au sceau. Les flèches continuèrent à fuser dans le ciel qui se colorait de couleur orangée a l’arrivé du soleil.
Sig émit un gémissement. Ozanne se retourna et vit qu’une flèche s’était plantée dans son arrière-train.
- N’y fais pas attention ! cria-t-elle. Continue.
L’animal continua sa course sans siller alors que sa maîtresse commençait à soigner sa plaie. Ozanne la regarda plus attentivement : ses poils se tachèrent de son sombre sang. Elle passa sa main dessus ce qui valut à Sig d’envoyer un coup de sabot dans le vide. Le sang était poisseux… trop poisseux. Du poison. La jeune fille ne se l’était pas imaginé. Cette technique était le plus souvent utilisée par les traqueurs… ou la milice extérieure. Ozanne jura une seconde fois. Elle en était sûre maintenant, elle aurait dû tuer son frère dans la nuit, même bien avant. Sig ne ressentait pas encore les effets. Il devait être anesthésiant. Elle tenta d’arrêter les saignements avec son écharpe tout en vérifiant que sa monture ne faiblissait pas. Son regard se plongea vers la lumière des abysses. Ozanne en était obsédée.
Une seconde flèche érafla le flanc droit de son sylaé. Il souffla par ses narines sous la douleur. La jeune fille se sentait impuissante.
En tirant de toute ses forces dans un virage, elle sentit que les forces de Sig l’abandonnaient. La fugitive lui donna du courage. Ils n’étaient plus très loin. Ozanne discerna le sceau devant ses yeux. Des puissantes armatures en fer, incrustées dans la glace, comme un étui d’acier attendant l’épée libératrice. Son animal trébucha rattrapant son équilibre de justesse. Ozanne jeta un coup d’œil inquiet. Une flèche s’était plantée dans sa patte arrière. Les traîneaux se rapprochaient. Ils pouvaient voir les soldats bander leurs arcs vers elle. Le désespoir l’envahit. Un énième projectile atteignit le flanc gauche de l’animal. Celui de trop qui le fit s’écrouler sur le sol de glace. Ozanne roula un peu plus loin. Malgré le choc brutal, elle se relava aussitôt pour rejoindre son animal. Les larmes envahirent ses joues. Elle se jeta sur Sig. Son souffle devint irrégulier. Les archers ne s’étaient d'ailleurs pas arrêtés de tirer et la cible était désormais fixe. Tremblante, elle tenta de le secouer, mais impossible, le poison l’avait totalement envahi et son sang s’étalait sur la glace.
Ozanne fixa le sceau. Ce n’était pas encore fini. Elle s’élança en courant sur la glace. Les flèches ne visaient plus l’animal, mais elle. La jeune fille réussit à en esquiver quelques-unes, mais l’une d’elles lui érafla l’épaule. Elle sentit son sang se figer. Le poison allait l’endormir rapidement. Ozanne continua sans s’arrêter. Elle discernerait sur le sceau des pierres brillantes sous le soleil levant. Elle y était presque. Une douleur lui transperça la cuisse. La fugitive n’y fit pas attention. Sa tête se faisait lourde. Il était de plus en plus difficile de courir. Elle dérapait, tombait sur le sol.
Le sceau… sculptée dessus, l’image d’un impressionnant animal marin. Hermine continuait de l’illuminer. Elle sentait la chaleur de sa lueur la recouvrir. Deux flèches l’atteignirent. Ozanne s’écroula et continua à ramper jusqu’à ce que ses mains touchent le froid de l’acier, que ses doigts se refermèrent autour du pommeau et que l’épée entre dans le sceau.
Fracassée contre le sol, elle peinait à respirer. Le sang coulait le long de son corps. Elle n’entendait plus rien qu’un sifflement dans ses oreilles. Sa vision se brouilla.
- L’épée est dans le sceau…
- Qu’a dit Bartolomé à ce sujet.
- Rien…
Les voix se faisaient ténues. Des bruits de pas s’accentuèrent.
- Commandant, le sylaé n’a pas survécu au poison.
Ozanne tenta de se relever. Sig…
La voix de son frère apparu dans la noirceur qui la recouvrait.
- Et Ozanne ?
- Elle ne va pas tarder à y passer, si nous ne faisons rien. Médecin, prenez là en charge. Je suis inquiet, la lumière sous le sceau a disparu lorsque l’épée est entrée à l’intérieur. Malgré tous les efforts mis en place, je crains que nous ayons échoué, soldats.
Une main se posa sur elle. Ozanne se débattit. D’autres personnes la stabilisèrent au sol. Elle sanglota :
- Sig…
- Elle est coriace, celle-là !
- Oui, répondit son frère. Elle est accro aux plantes anesthésiantes. Je ne sais pas vraiment depuis combien de temps, mais les effets calmants doivent être nettement moins forts que sur une personne normale.
- Ozanne, nous voulons simplement vous soigner, lui expliqua calmement le médecin.
La jeune fille explosa de colère et de tristesse. Soudainement, un immense bruit de fracas se fit entendre au loin. Certains soldats qui essayaient de la calmer se levèrent et leur voix affolée résonnérent sur la Mer Glacée.
- C’est… c’est le dévoreur de démons qui…
- Il a détruit les remparts nord. Il s’élance vers le palais.
- Nous avons échoué !
Malgré le désespoir qui l’entourait, un léger sourire de satisfaction se dessina entre les larmes d’Ozanne. La voix de son frère se fit complètement désemparée.
- Ozanne, mais qu’as-tu fait ?
Celle-ci se perdit dans un coma profond.
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