La Jument de Théâtre
Peio s’était allongé dans de la paille. Loin de la soirée, il se sentait davantage apaisé. Il continua à parler seul. Il ne savait pas si son plan fonctionnait encore. Les chevaux ne semblaient pas gênés par sa présence. Ils dormaient paisiblement dans leurs boxes. Les lueurs du soleil se levèrent. Il aurait dû rejoindre son lit bien plus tôt. Le mariage avait lieu dans l’après-midi. Peio devait se reposer pour être en forme, mais il restait vaillamment pour Ozanne.
Dans le paisible silence de la matinée, des pas raclèrent le sol minéral. Le jeune homme se retourna et vit Liosan, son sourire disparut. Les problèmes commençaient. Peio se leva lentement et épousseta ses habits pour enlever la paille et la poussière qui s’était accrochée dessus.
- Je suis désolé de m’être échappé de la fête, j’avais besoin de repos, fit Peio en brisant le silence.
Liosan ne disait rien. Il le fixait avec attention. Peio réfléchit à toute vitesse. En venant ici, il avait eu une idée, complètement folle, mais qui pourrait lui sauver la vie. Il avait méticuleusement préparé son plan en essayant de ne pas se faire repérer.
- Vous allez bien ? continua faussement l’historien.
- Je voudrais vous retourner la question, mon cher Peio, fit Liosan, déliant soudainement sa langue. Comment vous sentez-vous ? Votre mère m’a informé que vous étiez victime d’hallucination et de mon côté, j’aurais juré vous avoir entendu parler à quelqu’un avant d’entrer dans les écuries.
La voix grave de l’homme d’affaires faisait planer la menace. Peio continua à faire l’innocent tout en s’adossant à l’une des portes d’un box.
- Je chantonnais. J’ai une renommée de bon chanteur. Je l’avais d’ailleurs présentée aux festivités des Horla avant que je ne tombe inconscient. Il faut constamment s’entraîner.
- Vous chantonniez ? Quelle était donc la mélodie ? J’avais vraiment l’impression que le ton était monotone, continua Liosan.
Les mains de Peio se resserrèrent autour d’un manche de fourche.
- À vrai dire, j’écrivais une chanson. Je cherchais mes mots sans pour autant y rajouter de mélodie.
- Peio, nous avons des preuves que vous aviez fomenté la tentative d’assassinats du conseil avec Aloïs Horla. Soldats, attrapez-le !
Le cœur de Peio battait à tout rompre dans sa poitrine. Une dizaine de soldat, lance en avant, bloquèrent les sorties de l’écuries. Ils lui intimèrent de s’agenouiller. Le jeune homme ne réagit pas. Son poing se referma fermement autours de la fourche. L’un des gardes réagit et banda son arc. L’historien se retourna en brandissant son arme d’infortune.
Un bruit de sifflement se fit entendre. Le jeune homme eut simplement le temps de se l’éviter habilement. Le soldat en fut surpris. Peio en profita pour l’attaquer avec les dents de son arme. Il les enfoncère dans le torse de son ennemi, ce qui lui coupa la respiration. Des rires se firent entendre. Liosan n’avait pas encore donner l’ordre aux soldats de passer aux armes. Les guerriers attendaient, tendus.
- Mon adorable beau-fils, Ozanne vous a appris à vous défendre contre quelques soldats. Que faites-vous contre toute la garde de la capitale ? Tuez-le !
Peio devait vite agir. Il ouvrit un box en particulier. Celle de la jument de comédie. « Cette pauvre jument n’a pas d’endurance. Elle simule les combats guerriers lors des spectacles de l’arène. » Cette partie des plaintes de sa mère lui avait sauté aux oreilles. Il mit son pied dans l’étrier.
- Montre-moi ce que tu as dans le cerveau, ma belle !
Son dos droit et sa fourche en main, il se rua vers la sortie. Des hommes pointaient des lances dangereuses vers lui. Son cœur s’arrêta. Le cheval allait s’empaler dessus si…
Sa monture sauta au-dessus des soldats, en écrasant quelques-uns aux passages. En quelques coups de sabots rageurs, elle en expulsa d’autres, alors que Peio tentait d’éloigner les épées des gardes avec sa fourche. Quelques secondes plus tard, elle galopait à toute vitesse dans les ruelles.
Les soldats la poursuivant, arc à la main. Mais ces derniers étaient trop lents pour la suivre et les ruelles trop sinueuses pour pouvoir trouver de bon angle de tir. Peio galopa en direction du port. Sa jument sauta dans les escaliers avec habilité. Le jeune homme se mit à sourire. Une véritable monture de spectacle. Les gardes tentaient de lui faire barrage, mais celle-ci s’en sortait toujours d’un saut impeccable. D’instinct, Peio se frayait des chemins dans les avenues. Arrivée sur une place de marché, sa jument bouscula les étals en y faisant glisser les denrées au sol. Le hurlement des vendeurs se firent entendre. Les passants commençaient à marcher dans les allées. Peio cria pour qu’ils s’écartent de son chemin. Une course poursuite au milieu de la nuit aurait été plus judicieuse.
Bientôt, le port se présenta devant lui. Des enfilades de bateaux s’offraient devant ses yeux. Il devait en avoir un qu’il pourrait rattraper avant qu’il ne parte. Son regard sauta de proue en proue avant de se rendre compte que les gardes avaient recouvert les navires et qu’il était le seul homme sur un cheval dans les environs. Une flèche atterrit à ses côtés, affolant les habitants qui se trouvaient non loin. Peio donna un coup de talon à sa monture et tenta de parcourir le port de long en large à la recherche d’une issue. Les allées qui permettaient de remonter de la Haute-Ville était bouchées, les navires fortement gardés et les archers prêts à profiter de sa confusion. Son cœur se serra dans sa poitrine. Il était coincé. Ses pensées se perdirent. Il pensa à Léontine. Tout était fini.
Sa jument ressentant le doute le jeta de son encolure. Peio atterrit durement sur le sol et retint de justesse les rênes avant que sa monture ne parte dans une nouvelle folie. Tremblant de tous ses membres, il ferma les yeux. Dans le brouhaha affolé de la population qui le protégeait des tirs des archers et le son des pas des soldats se précipitant vers lui, une voix familière se confronta a lui :
- Tu veux survivre ?
- Baltazar ?
Peio le vit un peu plus loin. Son front plissé, ses yeux le fixant de déception.
- Tu veux survivre ? répéta-t-il
- Oui, répondit, désespéré le jeune homme.
- Parce que je n’ai pas l’impression. Remonte sur ton cheval et monte jusqu’au phare !
- Mais je dois trouver un navire…
Peio n’eut pas eu le temps de finir sa phrase, que le démon avait disparu.
Il remonta aussitôt sur sa monture et repartit vers la Haute Ville à toute vitesse par une ruelle miraculeusement dégagée. La jument se jeta dans les allées, grimpant les escaliers, esquivant les gardes, passant par des tunnels tenus où les passants s’entassaient pour le laisser passer. Le jeune homme ferma les yeux. Il allait finir embroché. Mais la jument trouvait toujours un moyen d’accéder au palier supérieur. Les flèches se brisaient sur les murs. Certaines le frôlaient de justesse. Mais la vitesse et l’habilité de la jument lui donnait une longueur d’avance.
Le Phare était le plus haut point de la ville, situé en haut de l’île principale. Y grimper était de la folie ! Il n’y aurait aucune issue à part celle de se jeter dans le vide. Baltazar voulait peut-être se venger de lui... ou lui sauver la vie. Mais il restait son unique espoir de ne pas finir sa vie entre les mains de ce bourreau de Liosan.
En prenant de la hauteur, Peio voyait la mer s’étendre. Le soleil se leva à l’horizon éblouissant les eaux de reflet orangé. Le jeune homme se perdit dans ce magnifique décor. Au moins, s’il mourait, la dernière vision aurait été celle du lever de soleil. Son cœur se serrait dans sa poitrine. Quelle folie ! Il espérait qu’Ozanne s’en soit sortie.
Arrivé devant le phare aucun soldat n’en bloquait l’entrée. Personne ne s’était attendu à ce que le fugitif ne se cache au point le plus haut de la ville. Il descendit de sa jument et lui donna un coup sur l’arrière-train pour qu’elle s’en aille. Dans la panique, il entra dans le bâtiment et regarda vers le haut. Des escaliers en colimaçons s’empilaient au-dessus de sa tête. Sa fatigue commençait à prendre le dessus. Il lui restait des centaines de marches à escalader.
Peio espérait seulement qu’il ne les descendrait pas la tête la première.
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